Sauver Bridgestone à tout prix ? Et si on parlait de ces emplois industriels qui ne trouvent pas preneurs...<!-- --> | Atlantico.fr
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Bridgestone entreprise industrie
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©DENIS CHARLET / AFP

Industrie

Alors que le contexte social est marqué par les fermetures industrielles, comme le cas de l’usine Bridgestone, des emplois ne trouvent pas preneur. Comment se porte le taux d'emploi industriel en France ? Y-a-t-il un problème de compétences sur le marché du travail ?

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul est économiste et professeur à l'université Toulouse I.

Il est l'auteur du rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) intitulé Immigration, qualifications et marché du travail sur l'impact économique de l'immigration en 2009.

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Thomas Carbonnier

Thomas Carbonnier

Thomas Carbonnier est Avocat, fondateur & coordinateur pédagogique du diplôme Start-up Santé (bac+5) à l'Université Paris Cité. Il est également Président de l'UNPI 95, une association de propriétaires qui intervient dans le Val d'Oise. Il est titulaire du Master 2 droit fiscal, du Master 2 droit financier et du D.E.S. immobilier d’entreprise de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne.

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Atlantico.fr : Comment expliquer que dans un contexte social marqué entre autres fermetures industrielles par celle de l’usine Bridgestone, autant d'emplois ne trouvent pas preneur. Comment se porte le taux d'emploi industriel en France ?

Gilles Saint-Paul : Quelle que soit la conjoncture, il existe des emplois qui ne trouvent pas preneur. Le marché du travail est caractérisé par des frictions : cela prend du temps à une entreprise pour trouver la bonne personne. Cela prend du temps à un demandeur d’emploi de trouver le poste qui lui convient. Ces frictions sont liées au caractère spécifique du marché du travail : chaque poste est différent, chaque personne est différente. Une telle spécificité s’observe aussi sur d’autres marchés, comme celui du logement : chaque logement est différent et le taux de logements qui ne trouvent pas preneur est relativement élevé. En revanche, sur des marchés à faible spécificité comme le pétrole brut ou la criée aux poissons, l’offre s’écoule rapidement pour autant que les prix s’ajustent. 

Cela dit, il est faux d’affirmer que beaucoup d’emplois ne trouvent pas preneur. La DARES publie des statistiques sur le taux d’emplois vacant et aujourd’hui celui-ci se situe, pour l’industrie, en deçà de 1 %. Cela signifie qu’il y a moins d’un emploi non pourvu pour 99 emplois occupés. Et naturellement, comme les mesures sanitaires ont plongé la France en récession, le taux d’emplois vacants est sensiblement inférieur à son niveau antérieur à la crise. 

Avant la crise, Philippe Darmayan, président de l’UIMM, se plaignait qu’il y avait 30.000 emplois vacants dans l’industrie. En réalité, ce chiffre est faible rapporté à la taille totale du secteur. Et il a baissé à à peine plus de 20.000 sous l’effet de la crise. Il n’y a aucune raison d’interpréter ces 1 % d’emplois vacants comme un signe de difficultés de recrutement. Cela est peut-être le cas pour certains emplois spécifiques, mais du fait des frictions sur le marché – personnes qui quittent leur emploi, temps nécessaire pour pourvoir un poste, etc – il y aura toujours une certaine proportion d’emplois vacants. La très grande majorité d’entre eux sont pourvus rapidement. 

Les secteurs où le nombre d’emplois vacants est le plus élevé sont les arts et spectacles, l’enseignement et plus généralement le secteur non marchand. Ces emplois vacants sont sans doute faiblement rémunérés et c’est pour cela qu’ils ne trouvent pas preneur. Mais, même dans ces secteurs, le taux d’emplois vacants reste faible et n’excède pas 3 %. 

Thomas Carbonnier : En juillet 2019, le New York Times titrait que 18 000 emplois dans l'Ain étaient à pourvoir. Même si les chiffres sont discutables, l'ordre de grandeur est à considérer.

Plusieurs phénomènes s'entrecroisent. Il y a le problème de l'apprentissage dans le secteur des services et une délocalisation de l'emploi dans des pays à faibles charges sociales.

Si pour l'instant le taux d'emploi ou le taux de chômage plutôt reste stable en France, le pire est à craindre. En effet, beaucoup de faillites d'entreprises sont attendues en en octobre. Elles impacteront l'emploi.

Y-a-t-il un problème de compétences sur le marché du travail ? 

Gilles Saint-Paul : Une étude récente de Robert Gary-Bobo montre qu’en réalité, le salaire réel des diplômés de haut niveau ne cesse de baisser. C’est l’effet de la politique de hausse constante des effectifs dans les grandes écoles et de la prolifération des masters universitaires. De plus en plus, ces diplômés doivent accepter des postes de niveau inférieur à celui pour lequel ils ont été formés,  se contenter d’emplois précaires, ou changer de secteur. Le problème des compétences ne se situe donc pas du côté de l’offre de travail, mais du côté de la demande. On constate que les entreprises rémunèrent fort peu le talent, surtout si on les compare à leurs homologues anglo-saxonnes– d’où la volonté de bien des jeunes diplômés de s’expatrier pour échapper au risque de déclassement socio-économique. C’est, comme on l’a vu, en partie parce que l’offre de talent est élevée, ce qui crée une pression à la baisse sur les salaires des diplômés. Mais ces derniers coûtent beaucoup plus cher à leur employeur que la somme qui leur reste à dépenser, à cause du poids des charges sociales et autres prélèvements. De plus, les réglementations du marché du travail rendent les entreprises frileuses à l’embauche et les conduisent à préférer des candidats ayant une forte expérience au détriment des jeunes diplômés. Enfin, la prolifération des contraintes réglementaires : formation continue, responsabilité sociale et environnementale, temps de travail, taxe carbone, égalité hommes-femmes, représentation du personnel, hygiène et sécurité, insertion des handicapés, comités d’entreprise, conventions collectives, etc., sans même mentionner les mesures COVID, réduit sensiblement la productivité des entreprises et les contraint à moins rémunérer les postes productifs pour financer l’emploi imposé de salariés nécessaires pour se conformer à la législation. 

Il en résulte que les emplois offerts aux travailleurs qualifiés sont à peine plus attractifs que pour ceux qui n’ont aucune qualification et que les entreprises ne sont pas en mesure d’accroître le salaire net offert aux candidats pour un poste qu’elles auraient du mal à pourvoir. Ce n’est donc pas les compétences qui font défaut mais la marge de manœuvre des entreprises pour leur offrir des conditions attirantes sans se mettre en péril financièrement. 

Il y a un manque d’investissement de la part des entreprises ? Le contexte ne les y incite guère…

Thomas Carbonnier : Le contexte économique s'annonce très morose et beaucoup s'attendent au pire et préfèrent décaler leur investissement dans le temps.

Les usines françaises ont besoin de se moderniser pour améliorer leur productivité. Les emplois deviennent plus pointus en termes de compétences. Cette évolution est générale. A titre de comparaison, le légionnaire français se devait autrefois d’être dans une condition physique parfaite, ses compétences intellectuelles paraissaient moins fondamentales. Aujourd’hui, avec l’évolution technologique des matériels, le légionnaire se soit d’être
physiquement irréprochable et, en plus, d’avoir des compétences intellectuelles développées pour pouvoir utiliser son matériel. Dans les usines françaises, l’évolution est identique. C’est un phénomène bien connu en économie qu’on ne présente plus.

Le problème n'est pas de nouveau et ce gouvernement, comme les précédents, est en panne d'inspiration quand il s'agit de trouver des solutions.

L'industrie doit-elle séduire les jeunes pour redynamiser son marché de l'emploi ? De quelle manière ?

Gilles Saint-Paul : Comme je l’ai déjà dit, les entreprises n’ont, globalement, aucune difficulté à recruter. De plus, la crise COVID a un effet dévastateur sur certains secteurs industriels : aéronautique, voire automobile…  Il n’y a donc pas lieu, actuellement, pour l’industrie de se montrer plus attractive. A plus long terme, la compression et la stagnation des salaires risquent de détourner les jeunes de postes à haute technicité ou responsabilité, voire des études longues. C’est une question essentielle mais qui ne se résoudra pas par des opérations de séduction. Ce qui est en cause, ce sont les tendances lourdes de l’économie française : le financement d’un Etat-providence excessivement généreux par la fiscalité sur le travail ; le déplacement graduel du poids de cette fiscalité au détriment des classes moyennes, afin d’endiguer la hausse du chômage des moins qualifiés ; la transformation des entreprises, au départ centres de profits, en unités bureaucratiques chargées d’appliquer les directives des ministres ou de la commission européenne…

La solution serait une harmonisation du marché du travail au niveau européen ? Comment éviter alors une baisse des salaires ?

Thomas Carbonnier : Pour se relancer, l’Europe doit se doter d’armes de créations massives d’emploi. Une piste sérieuse vise à créer un vrai marché du travail européen.

L'objectif est d'améliorer la transférabilité des pensions et le sort fiscal des travailleurs frontaliers tout en informant mieux les travailleurs de leurs droits et obligations. Ceci doit également se traduire par l’exportabilité des prestations de chômage des chômeurs qui se rendent dans un autre pays à la recherche d’un emploi ; l’adéquation de la demande et de l’offre de main-d’œuvre, un portail de recherche d’emplois innovant pourrait constituer un véritable outil de placement et de recrutement d’envergure européenne.

Ces mesures permettraient une vraie politique européenne économique et de sortir de l'impasse actuelle des plans de relance keynésiens qui ne fonctionnent jamais.

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