Salto se meurt, Netflix 3.0 se prépare<!-- --> | Atlantico.fr
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L'ancien PDG de Netflix, Reed Hastings, lors d'un discours au Consumer Electronics Show à Las Vegas.
L'ancien PDG de Netflix, Reed Hastings, lors d'un discours au Consumer Electronics Show à Las Vegas.
© Robyn BECK / AFP

Streaming

Alors que la plateforme de streaming Salto pourrait cesser ses activités dans les prochains mois, Netflix va se transformer après le choix de Reed Hastings, qui a piloté Netflix depuis sa fondation, de confier la direction opérationnelle de l'entreprise à un tandem.

Julien Pillot

Julien Pillot

Julien Pillot est Enseignant-Chercheur en économie (Inseec Grande Ecole) / Chercheur associé CNRS.

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Atlantico : Reed Hastings, cofondateur et PDG de longue date de Netflix, se retire après des années à la tête du service de streaming. Selon Wired, la plateforme pourrait ouvrir la page d'un Netflix 3.0. De quoi s'agit-il?

Julien Pillot : Tout d'abord, il convient de rappeler que Reed Hastings reste dans la structure de Netflix, en qualité d'executive chairman. Comprendre par là qu'il va continuer, pendant un certain temps, à être consulté régulièrement quant à la stratégie de Netflix, et ce de façon à assurer une transition douce avec ses successeurs Ted Sarandos et Greg Peters.

En faisant référence à "Netflix 3.0", le site Wired suggère que Netflix est à l'aube de sa 3e grande (r)évolution de business model. Le modèle originel de Netflix était celui d'une plateforme de location de contenus audiovisuels au format physique acheminés par voie postale. Puis, Netflix et devenu à la fin des années 2000s la plateforme de streaming que nous connaissons aujourd'hui, d'abord en tant que pur distributeur de contenus tiers, puis désormais également en tant que producteur de ses propres films, séries et documentaires. Le "Netflix 3.0" serait un Netflix qui ferait coexister le modèle de streaming par abonnement bien connu, avec un modèle de streaming à prix réduit, et financé par de la publicité. Or, il est vrai qu'il s'agit d'une révolution de palais dans la mesure où 1° intégrer de la plublicité à son modèle requiert de nouveaux investissements et l'acquisition de nouveaux savoir-faire (notamment en matière de régie publicitaire), et 2° la publicité est un modèle dont la rentabilité exige d'emblée des volumes importants. Ce qui veut dire que si Netflix veut aller sur un modèle publicitaire, son engagement doit être fort. Pour mener cette petite révolution de modèle, il est probable que Reed Hastings - qui s'est toujours montré très critique vis-à-vis du modèle publicitaire (mais qui n'a jamais été opposé au placement de produit dans ses productions) - n'était pas tout à fait l'homme de la situation.

Ceci dit, si je devais conclure cette réponse par un avis plus personnel, la grande révolution pour Netflix ne réside pas tant dans l'intégration de la publicité à son modèle, que dans le fait qu'il est le leader d'une industrie arrivée à un certain niveau de maturé. Par conséquent, ses performances reposeront moins dans les prochaines années dans sa capacité à prendre des parts de marché (ou à l'élargir à l'international) que dans sa capacité à générer davantage de revenus ou à renforcer sa productivité. Les dernières annonces vont d'ailleurs toutes dans le sens de l'amélioration des marges, qu'il s'agisse de lutter contre le partage de comptes, de développer une manne publicitaire, ou encore d'être plus rationnel et pragmatique dans la production de contenus originaux. 

A l'heure ou Netflix semble pouvoir retrouver un nouveau souffle, Salto, elle, se rapproche de sa dissolution. Comment comparer ces deux destins ? Pourquoi deux chemins si différents ?

Comparer Netflix à Salto, c'est comparer des pommes et des poires. Netflix est une entreprise de technologie, à très forte intensité capitalistique, qui a d'emblée visé une audience internationale en misant sur des contenus nombreux, mais surtout à fort rayonnement culturel et nativement adaptés à une consommation délinéarisée. Salto est une petite plateforme nationale, née d'un mariage que je qualifierais au mieux "d'étonnant" entre des entreprises de télévision publique (France TV) et privées (TF1 et M6), pour qui le streaming est un domaine très différent de leur coeur de métier et dans lequel ils n'ont jamais démontré d'appétence particulière. Mais le plus gros point faible de Salto concerne sa surface capitalistique, bien trop faible pour pouvoir jouer un rôle significatif dans une industrie globalisée où les concurrents se nomment Netflix, Disney, Amazon ou Apple. Et comment en vouloir aux co-actionnaires, pour qui le streaming était une tentative de diversification en mode exploratoire, que d'avoir d'autres priorités à gérer, alors que les problèmes s'accumulent ? La fusion avortée entre TF1 et M6 a eu de profondes répercussions, tandis que du côté de France TV, on a des difficultés à boucler les budgets dans un contexte où la dotation à l'audiovisuel public ne suit pas l'inflation. Au final, le manque d'ambition autour de cette plateforme s'est traduit par des contenus souvent inadaptés (beaucoup d'émissions TV, déjà disponibles gratuitement en replay sur les plateformes des différentes chaînes actionnaires), à faible potentiel d'attractivité à l'international, et pour terminer, à faible potentiel de marché. 

Qu'est-ce que cela nous apprend sur le milieu du streaming ?

Que cette industrie a atteint un certain niveau de maturité. Et que nous en connaissons désormais les principaux facteurs clés de succès : plateforme technologique robuste (algorithme de recommandation, UX...), distribution multi-canaux (internet, applications, TV connectées, consoles de jeux...), énormément de cash (pour se doter d'un catalogue fourni, à renouvellement rapide, et avec quelques exclusivités de qualité) et déploiement à l'international pour jouer sur l'effet taille, et rechercher les indispensables économies d'échelle et d'envergure.

Il faut, ensuite, distinguer les acteurs spécialisés tels que Netflix, pour qui le streaming constitue le coeur de métier, des acteurs tels Amazon ou Apple pour qui le streaming est une activité de diversification. Pour ces derniers, on peut éventuellement investir durablement à perte dans l'activité de streaming audiovisuel, pourvu qu'il serve d'autres intérêts stratégiques ou qu'il autorise des revenus indirects. La rentabilité d'Amazon Prime Vidéo se mesure ainsi à l'aune de la contribution de ce service à l'attractivité et la fidélisation du service Amazon Prime, et aux consommations additionnelles qui sont occasionnées par son intermédiaire. 

Enfin, il ne faut pas occulter que ce marché s'inscrit pleinement dans l'économie de l'attention. Les plateformes de streaming ont intérêt de capter et de conserver durablement l'attention de leurs abonnés qui n'ont ni un budget illimité, ni le don d'ubiquité. Elles sont donc en concurrence non seulement entre elles, mais aussi avec toutes les autres industries qui s'inscrivent également dans l'économie de l'attention. Industries dans lesquelles on va trouver d'autres géants tels que Meta ou TikTok (pour les réseaux sociaux) ou encore Microsoft et Sony (pour les jeux-vidéo).

Bref, dans un marché tel que celui-ci, les petites plateformes nationales doivent avoir une très forte singularité et un très haut niveau de professionnalisme pour espérer exister. En l'absence de quoi, elles sont des victimes désignées et risquent soit une disparition lente, soit une absorption par une plus grosse plateforme. C'est d'ailleurs ce qui est arrivé à Molotov qui a été racheté par l'agrégateur FuboTV. 

En 1997, Netflix proposait la location de DVD, envoyés par la poste. Une activité qui aux grandes heures de cette première ère comptait 15 millions de souscripteurs. Netflix a su opérer une véritable mue pour devenir le leader du streaming. Est-ce cette capacité d'innovation, d'instinct, couplé à du talent personnel et de bons investissements qui permet à des plateformes comme Netflix de s'installer ? De ce point de vue, Salto était-il coincé d'avance, engoncé dans les réglementations de l'administration française et d'un écosystème tech trop faible ?

Il est clair que la capacité d'innovation de Netflix est à souligner. Je connais peu d'entreprises qui ont su, en si peu de temps, pivoter tel qu'ils l'ont fait. Déjà, le modèle initial était "agile" : là où Blockbuster, le leader des vidéo-clubs outre-Atlatinque a fini par disparaître, étranglé par une structure de coûts fixes hérités d'un passé glorieux mais révolu, Netflix a conservé un certain niveau de liberté stratégique en n'investissant jamais dans les vidéo-clubs locaux physiques et le personnel qui va de pair. Ils ont d'emblée misé sur une distribution par Internet, à une époque où le taux de connectivité de la population était encore confidentiel. Mais, Reed Hastings a vu le potentiel de développement de ce mode de distribution... et il a trouvé des talents et des investisseurs pour le suivre dans cette aventure. L'histoire du tournant vers le streaming pourrait s'écrire de la même manière. Reed Hastings et ses équipes ont vu très tôt le potentiel du marché, et l'essoufflement à terme de leur business model d'origine. Ils se sont donnés les moyens technologiques et commerciaux de réussir cette transition, et là encore, ils ont pu bénéficier des clusters universitaires et d'innovation locaux et de la grande vitalité du corporate venture aux Etats-Unis. Au-delà du cas de Netflix, si les GAFAM et autres NATU ont émergé outre-Atlantique, ce n'est pas le fruit du hasard, mais bien de cette conjonction assez unique de facteurs macrostructurels favorables à l'innovation : formation de très haut niveau, culture entrepreneuriale forte, performance des clusters d'innovations, vitalité du corporate venture sans oublier une réglementation favorable. Tout cela crée un écosystème de soutien à l'innovation à nul autre pareil. De ce point de vue, l'Europe - sans démériter - a failli à créer les conditions de l'émergence d'un écosystème comparable. Mais attention : nos faiblesses relatives sur le plan macrostructurel ne sont pas des fatalités et n'ont pas empêché l'émergence de belles sociétés du numérique, notamment Sorare ou Spotify. Il n'y a donc pas de fatalité. Et le laisser à penser n'est certainement pas une posture permettant une remise en question quant à la bonne orientation stratégique de certaines de nos aventures entrepreneuriales : comme nous l'avons vu plus haut, ce n'est pas tant son environnement structurel qui a été fatal à Salto, que ses problèmes de gouvernance et une stratégie mal définie.

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