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RN : l’heure de la chute finale ? Petite théorie en 7 arguments
©GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Fin de partie ?

Le PC avait tenu la fonction tribunicienne et celle de la protestation pendant 40 ans, de 1945 au milieu des années 80. Et si, bien plus que des mauvais résultats passagers, les régionales sonnaient le glas d’un RN plombé, entre autres, par le rôle central que lui a donné le nouveau monde macronien ?

Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou est l'un des fondateurs d'Atlantico dont il est aussi le directeur de la publication. Il a notamment travaillé à LCI, pour TF1 et fait de la production télévisuelle.

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Jérôme Besnard

Jérôme Besnard

Jérôme Besnard est journaliste, essayiste (La droite imaginaire, 2018) et chargé d’enseignements en droit constitutionnel à l’Université de Paris.

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Christelle  Lagier

Christelle Lagier

Maîtresse de conférences de Science politique à Avignon Université IEP Aix en provence et l'Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines.

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Atlantico : Le PC avait tenu la fonction tribunicienne et celle de la protestation pendant 40 ans, de 1945 au milieu des années 80. Le Front national l’a, en quelque sorte, supplanté dans ce rôle. Les mauvais résultats aux régionales marquent-ils la fin de cette période historique pour le Rassemblement national ? Ont-ils loupé le coche que pouvait représenter la tendance populiste occidentale des années 2010 ?

Jérôme Besnard : Le PC prospérait à une période où l’engagement collectif dans le cadre démocratique avait un sens en France. Les partis, dans leur ensemble, sont aujourd’hui délégitimés dans notre pays. Il est donc logique que le Rassemblement national rencontre des difficultés d’implantation locale, faute de cadres et de militants. D’autre part, le PCF vendait des « lendemains qui chantent » alors que le vote RN, comme force populiste, synthétise des aspirations sociales conservatrices (emploi, retraites…) et des inquiétudes quant à la survie de l’identité culturelle française. Le RN a aussi buté sur les institutions de la Ve République qui ne favorisent pas les coalitions permettant d’exercer le pouvoir avec d’autres forces politiques, comme c’est le cas en Italie.

Jean-Sébastien Ferjou : Le RN a joué depuis 40 ans un rôle bien précis. C’était celui tenu auparavant par le PC. Une contestation radicale du système. Mais une contestation limitée à 30% des Français. Quand le système lui-même change, ou que la réalité géopolitique change, cette contestation perd de son intérêt  Paradoxalement le RN pourrait être affaibli car vainqueur de la guerre des idées, sur l’immigration, la délinquance, l’islamisme ou la contestation d’un capitalisme trop mondialisé et financiarisé  Le RN na absolument pas su surfer sur les gilets jaunes  Et c’est maintenant la droite qui les courtise.

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Atlantico :Aux régionales, comme dans une moindre mesure aux municipales, les résultats électoraux du RN ne sont pas bons et chose nouvelle l’électorat frontiste se démobilise, la dédiabolisation du parti a-t-elle poussé ses électeurs à l’indifférence comme vous l’évoquez dans le journal 20 minutes ? 

Christelle Lagier : C’est une hypothèse oui. L’analyse du partage du FN/RN en deux courants existe depuis longtemps :  d’une part un socle électoral assez idéologique ancré sur des positions extrémistes et d’autre part l’agrégation d’électeurs qui viennent d’autres formations ou de l’abstention. SI on se rappelle la scission de Bruno Mégret en 1998, elle était déjà sur cette ligne idéologique de dédiabolisation et d’éloignement des provocations de Jean-Marie Le Pen. Cela structure ce parti depuis longtemps mais ça a été accentué par l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du parti. Ce qui est nouveau c’est que cette dédiabolisation a été accompagnée assez largement par les médias et autres responsables politiques qui l’ont pris comme quelque chose d’acquis. Elle a été très peu questionnée, ce qui a permis l’entrée du Rassemblement national dans le jeu médiatique. Cela lui donne une forme de notoriété mais en même temps cela froisse sans doute une partie de son électorat qui est plus extrême et dans une logique de renversement du système.

Atlantico : Le clivage mondialistes-nationaux qu’a pu défendre le RN (mais aussi Emmanuel Macron) était-il un bon choix électoralement parlant ? Était-il pertinent pour remplacer le clivage gauche-droite ?

Christelle Lagier : C’est un clivage que l’on retrouve régulièrement chez les partis dit nationalistes. La question de l’identité, notamment, est essentielle et l’idée d’une priorité aux Français, à la nation est déjà présente aux débuts du Front national. Elles ont sans doute été réinterprétées au moment de la mondialisation. C’est donc un clivage structurant et d’autant plus dans des périodes d’incertitudes. On l’a vu dans cette élection qui a fait jouer le local contre le national. Et le candidat Macron a effectivement beaucoup joué lui aussi sur ce clivage. 

Quand on fait un peu de sociologie électorale du second tour de la présidentielle on voit très clairement qu’il y a un vote de classe. Macron a ramené vers lui les catégories les plus diplômées, les catégories socio-professionnelles supérieures de manière nette. Il a aussi récupéré dans l’électorat de Fillon les individus dotés en capitaux culturels et économiques de la droite. Marine Le Pen a davantage incarné les catégories populaires. A mon sens, plutôt les classes moyennes basses et catégories populaires. Cela contribue à entretenir une confusion sur l’idée que Marine Le Pen incarnerait la gauche aujourd’hui et Macron le libéralisme de droite. Ce n’est pas si simple. Marine Le Pen offre une voix aux électeurs de droite des catégories populaires que Nicolas Sarkozy avait notamment ramené vers lui sur les thématiques comme la valeur travail, etc. Ils trouvent dans l’expression de ce choix politique un moyen de dire leurs difficultés. C’est une catégorie qui travaille, paie des impôts mais a le sentiment de ne pas profiter du système de redistribution sociale en France. Les catégories populaires se partagent entre ce vote et une abstention massive, notamment sur la frange gauche. On voit la fragilité de cet électorat frontiste qui, tiraillé, déserte lui aussi les urnes.

Jean-Sébastien Ferjou : Le clivage mondialistes contre nationaux ne structure que très imparfaitement la vie politique. La sociologie explique beaucoup plus le clivage du nouveau monde Macron/ Le Pen que ne le fait ce clivage idéologique. La sociologie joue pour les Français de souche: les milieux aisés et les bobos votent pour Macron et les LR qui lui ressemblent mais les classes populaires votent RN. Ce n'est pas le cas pour l'électorat issu de l'immigration maghrébine et africaine. Cet électorat ne vote pas aux élections intermédiaires mais vote pour la présidentielle et il votera contre le RN) Le gros problème de Le Pen, c'est qu'elle na pas su mobiliser son électorat populaire qui ne s'est pas déplacé pour voter. Le regard porté par les Français sur l’Europe ou la mondialisation est bcp plus complexe Et les Français sont somme toute assez peu souverainistes d'un point de vue idéologique même s'ils sont en demande de frontières et de protection

Atlantico : Vous évoquiez les classes populaires, Marine Le Pen a pourtant été dans l’incapacité de tirer parti de la mobilisation des gilets jaunes…

Christelle Lagier : Ce n’est pas faute d’avoir essayé. Et elle n’est pas la seule. Ce qui structure les gilets jaunes c’est effectivement une agrégation de colères qui se retrouve aussi au sein du vote RN. Mais les enquêtes qui ont été faites montre qu’il y a aussi parmi les gilets jaunes des abstentionnistes qui ne croient plus en la politique. Il y a sans doute parmi les gilets jaunes des gens qui peuvent voter Marine Le Pen de manière plus ou moins régulière mais aussi de nombreuses autres personnes. D’où la difficulté du mouvement à se fédérer. 

Jean-Sébastien Ferjou : La droite semble refermer la phase de l’irenisme ouverte depuis les années 90 si on peut se demander si c’est vraiment le cas Pécresse où Bertrand sont capables de tenir des propos très durs sur l’immigration et la délinquance comme sur l’islamisme  Et l’échange Marine le Pen/ Darmanin ("vous êtes bien molle Mme Le Pen à refuser de faire le lien entre Islam et islamisme") restera peut être rétrospectivement comme un tournant. À écouter en outre Bertrand et Wauquiez sur la « protection » des Français on voit qu’ils tentent de récupérer les gilets jaunes. Cette aspiration au populaire était d’ailleurs antérieure aux Gilets jaunes. Xavier Bertrand vient du peuple et c'est sa force et Laurent Wauquiez a été le premier à droite à plaider pour les classes moyennes). Le RN a l’inverse n’a pas su capter les gilets jaunes 

Atlantico : Avoir été placé comme adversaire politique par LREM a-t-il profité au rassemblement national ?

Christelle Lagier :  Sans doute à la présidentielle. Je trouve surtout que c’est dangereux pour l’ensemble de la classe politique que de simplifier le débat politique à l’opposition entre deux personnalités. On ne parle pas des préoccupations des gens et on en reste à de la communication politique. Cela fonctionne dans le temps court d’une campagne électorale mais tend à mon sens à éloigner les citoyens de la politique sur le long terme. En dramatisant les scrutins on suscite de l’intérêt pour un scrutin national mais ça efface les autres scrutins car on ne parle pas du fond. 

Jean-Sébastien Ferjou : La pandémie a souligné le fait que le RN n’était pas une force d’alternance. Ils n’ont pas challengé des mauvaises décisions sanitaires et de la déshérence des pouvoirs publics.  Personne, sauf les complotistes anti vaccins et autres théoriciens de la pandémie comme coup de force politique visant à imposer des restrictions de liberté ne croit que le RN aurait fait mieux que Macron. 

Atlantico : La reprise de certaines idées du RN par d’autres partis, on se souviendra du tacle de Darmanin à Marine Le Pen trop molle sur l’immigration et de certains discours de LR, le parti peine-t-il à se démarquer ? 

Christelle Lagier : Je pense que ça dessert surtout les autres formations politiques car le Rassemblement national qui a contribué à les mettre au cœur du débat politique sera toujours en avance. Quand la droite fait de la surenchère programmatique, ça ne marche qu’à court terme. Ça a très bien marché pour Sarkozy en 2007 mais derrière il y a une déception car on gouverne au centre. La droite a beau chercher des électeurs très à droite, elle a beaucoup de mal à être dans la fermeté quand elle gouverne. Il y a à mon sens, un vrai problème de clarté. Les électeurs ne comprennent plus ce qu’il se passe, ce que sont les offres politiques en présence, ce que signifie être à gauche ou droite, quelles sont les idées défendues, quelles sont les personnes, etc. Tout le monde brouille les cartes et l’électeur a du mal à s’y retrouver et ça contribue à l’éloignement du citoyen de la vie politique.

Jean-Sébastien Ferjou : La normalisation et la dédiabolisation font perdre en capacité de sidération du système et donc en capacité d’attraction des plus en colère ou des plus angoissés. Sans pour autant effacer l’image de l’extrême droite et celle du nom Le Pen. Plusieurs éléments se superposent ici. En se normalisant, M Le Pen perd en chemin une partie de ses troupes mais elle n'en récupère pas nécessairement sur les autres segments. En voulant se "normaliser", je dirai plutôt en voulant se "diluer" ou s'affadir, elle est tombée dans le piège qui lui était tendu par le Système qui lui dénie ensuite le droit de se "normaliser" et sait réactiver, en cas de nécessité pour sauver ses postes, la phobie en invoquant le "front républicain". Une partie de ses adhérents ne se déplace plus et d'autres qui auraient pu voter pour elle prend peur et ne franchit pas le pas. Le PC est mort -entre autres- de son alliance avec le PS. Le RN meurt de ne pas avoir su se rapprocher de la droite qui l’a toujours rejeté. L’anti gaullisme du RN d’origine -que cherche à corriger Marine Le Pen- joue encore

Jérôme Besnard : Le développement des réseaux sociaux a évidemment marqué un tournant quant au rapport avec la politique. On privilégie désormais le militantisme sur Twitter plutôt que les réunions publiques. La politique se désocialise et s’individualise, délégitimant le rôle des partis politiques. En optant pour un discours moins saillant et plus rassurant, le RN a probablement renoncé à attirer de possibles cadres militants animés un corpus de convictions tranchant avec la doxa politique dominante dans les médias et l’université. Cela a forcément des conséquences dans son rapport à l’électorat. On observe la même évolution chez ses alliés de la Lega italienne, désormais concurrencés voir dépassés par les héritiers du MSI. Mais en France, cette force concurrente n’existe pas. Tout au plus cet espace attise des ambitions présidentielles, comme celle d’’Éric Zemmour, sans que l’on puisse encore trancher sur son potentiel électoral réel.

Atlantico : Une union des droites aurait-elle permis de clarifier cela ? N’est-ce pas que le RN a échoué à faire ?

Christelle Lagier : Sans doute. Il y a chez les Républicains des personnalités comme Éric Ciotti qui sont très à droite et qui n’ont qu’un pas à faire, celui qu’a fait Thierry Mariani, pour rejoindre le Rassemblement national. Le pan de la droite qui est dans le courant de la droite populaire pourrait tout à fait rejoindre le RN. Mais il y a toujours des réserves sur sa capacité à pouvoir gouverner, sur sa crédibilité. Le frein principal qu’on a observé dans le report des électeurs de François Fillon vers Marine Le Pen est économique. Elle n’a pas de crédibilité économique. Les électeurs de droite, bien conscients de leurs intérêts économiques, ne sont pas convaincus. C’est un verrou qui perdure et qui fait que les électeurs restent fidèles à leur famille ou ont pu se résoudre au vote Macron. 

Atlantico : Face à ces constats des échecs du RN, le parti est-il désormais condamné à perdre ? 

Christelle Lagier : En PACA, où j’enseigne, cela fait vingt ans que l’on répète qu’il va gagner la région. Bien sûr, le mode de scrutin ne l’avantage pas, mais cela reste laborieux. Je pense que le RN est aujourd’hui un problème de la droite. C’est à elle de clarifier ses positions. Lorsque la droite est claire sur sa ligne républicaine et indique qu’elle ne fera pas d’alliance, cela devient, en général, très clair pour les électeurs. Cela ne veut pas dire qu’elle doit renier ses propositions, au contraire. Mais il est très dur de tenir à la fois le centre droit et la frange plus proche du Rassemblement national. La droite a donc un choix à faire. Si elle clarifie sa position par rapport au RN, je pense que celui-ci ne sera jamais victorieux car les victoires se font à droite. Le RN a besoin de réserves de voix qu’il ne trouvera pas à gauche car l’essentiel des soutiens vient de la droite. Sans alliance au second tour c’est impossible et Marine Le Pen n’a pas une figure de rassembleuse. Elle reste une Le Pen, elle a œuvré dans le sens d’une dédiabolisation mais il y a des verrous maintenus. Plus la droite sera claire, plus ils tiendront.  Renaud Muselier a recapitalisé une partie de l’électorat qui était allé vers le RN durant ces dix dernières années. Ce qui ne veut pas dire qu’il en sera de même à la présidentielle. Il est très difficile d’extrapoler le local au national. 

Jérôme Besnard : La nature a horreur du vide. Si le RN a capté la fonction tribunicienne du PCF, il a aussi beaucoup profité de l’évolution de la droite. Rappelons-nous que jusqu’au général Boulanger et au Ralliement, la droite fut surtout portée par des sentiments religieux. Puis elle fut, avec le colonel de La Roque ou le général de Gaulle, profondément patriote voire nationaliste. Au cours des années 1970, se détachant de ses  fondamentaux historiques, elle est devenue simplement gestionnaire, abandonnant le domaine régalien. Le quinquennat de Nicolas Sarkozy, qui prétendait jeter les bases d’un néo-conservatisme français, n’a pas vu au final la droite française s’abstraire de cette tendance gestionnaire. Il est fort à parier que le RN de Marine Le Pen comptera encore d’une façon ou d’une autre dans les années à venir car la droite classique est incapable d’effectuer sa mue, de sortir de sa notabilité gestionnaire et que, d’autre part, il n’y a pour l’instant aucun Bonaparte ou de Gaulle en réserve de la République pour sortir de l’étau politique actuel.

Jean-Sébastien Ferjou : Nous sommes peut être dans un moment post populiste  Trump est venu, a fait le show mais a finalement perdu sans perdre en voix. Il était parti pour être réélu au vu de ses résultats économiques mais a fait l'impardonnable erreur de ne pas faire jouer le principe de précaution face à un virus dont on ignorait tout. Il a mis les gens en danger en les appelant à braver les interdits en se regroupant sans masque. Concomitamment, il y a eu un défilé de malades puis de morts dans les hôpitaux. Images cataclysmiques. Le Brexit a eu lieu mais vu de loin, ça ne ressemble pas spécialement à un grand succès  Matteo Salvini a perdu le pouvoir et n’a pas su y revenir. Il a été diabolisé jusqu'à être trainé devant la justice pour avoir seulement refusé que des bateaux de migrants accostent en Italie. On peut dire que le Système traditionnel a triomphé et c'est naturel, car il détient quasi tous les pouvoirs, y compris celui dans les médias qui formatent l'opinion publique.

Plus les fractures montent, moins les électeurs veulent de pompiers pyromanes jetant de l’huile sur le feu. En outre, plus le réél est cruel et moins les peuples occidentaux veulent le regarder.  Trump a largement perdu à cause de cela. L’été dernier, les électeurs républicains étaient largement d’accord avec ce qu’il disait sur sur le fond pendant les émeutes du Black live Matter mais ne le suivaient pas sur la forme car ils considéraient qu’il précipitait les risques de guerre civile.

Avec le concours de Malika Sorel

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