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Ces riches qui veulent être taxés : sincérité ou stratégie ?
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Temps de crise

Seize grands patrons ont demandé la semaine dernière l'instauration d'une "contribution exceptionnelle" sur les très hauts revenus. Une solidarité bienvenue par temps de crise ?

Anthony  Mahé

Anthony Mahé

Anthony Mahé est sociologue à l'ObSoCo (Observatoire Société et Consommation). Il est spécialisé dans les domaines de l'imaginaire de la consommation et de la sociologie du quotidien. Il a réalisé une thèse de doctorat sur le recours à l’endettement bancaire à l'Université Paris-Descartes.

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Seize des plus grandes fortunes de France déclarent publiquement, par voie de presse, à ce que le gouvernement les taxe davantage à l’heure où notre pays doit plus que jamais redresser la barre des finances. Véritable solidarité ou coup de publicité ? Y a-t-il une nouvelle classe de riches sincèrement soucieuse de participer à l’effort collectif ? Des riches plus solidaires voire plus « communistes » ? Sans prétendre répondre en quelques lignes à cette grande question, envisageons simplement, pour dresser un premier contour de ces « nouveaux » riches, la question suivante comme fil directeur : pourquoi demander une taxation et pourquoi le faire aujourd’hui ?

Le double jeu des grand patrons

Il est vrai que ce comportement pose question. Il soulève quelques ambiguïtés aussi. Celle par exemple de voir ces grandes fortunes, qui sans rien enlever à leur mérite et à leur réussite, doivent une partie de leur richesse à des stratégies de défiscalisation. Que ce soit sur le plan professionnel ou sur celui de la gestion de leur fortune personnelle d’ailleurs. Entourés de gestionnaires de patrimoine et de fiscalistes à la pointe, il est pour le moins amusant de réclamer justement un prélèvement fiscal exceptionnel. Sauf que ce n’est peut-être pas un hasard de demander un impôt à leur encontre et pas autre chose.

En effet, s’ils souhaitaient réellement contribuer financièrement à la résorption de la dette de l’Etat, tel est bien le but exprimé dans leur déclaration, ils pourraient tout autant proposer un don à l’Etat, du montant qu’ils souhaitent. Ces dons, appelés « don en remboursement de la dette publique » sont permis à chaque citoyen et ils ont été utilisés plusieurs fois dans l’Histoire pour soutenir un Etat en difficulté.

Oui mais voilà, supposons que Madame Bettencourt fasse un don conséquent à l’Etat, ce don, loin d’émouvoir, serait perçu par l’opinion publique comme dérisoire par rapport à sa fortune personnelle, un geste presque anecdotique. Sur le plan symbolique, les Français ont tendance à considérer comme un « vrai » don lorsqu’il y a pour l’émetteur une privation, un sacrifice. C’est ce qui rend les dons d’argent, même les prêts, entre amis ou familiaux si forts sur le plan affectif, bien au-delà du montant en jeu.

En demandant une taxe plutôt qu’en proposant un don, ils évitent de « trop » s’attirer la critique et de passer pour des bourgeois arrogants. S’ils ne font rien, ils seront accusés de mépris envers la société et l’Etat qui ont contribué à leur succès. D’autant que la polémique enfle sur ces riches qui payent proportionnellement moins d’impôts que le reste de la population.

Une manière de détourner les critiques

Puisqu’il faut agir, c’est avec une certaine habileté qu’ils s’approprient en quelques sortes la critique sociale et réclament désormais un impôt pour donner l’illusion qu’ils sont comme le « peuple ». On sait depuis longtemps, avec Marx ou Bourdieu, que la logique des classes les plus élevées repose sur la distinction, faire en sorte de ne pas ressembler aux autres classes de la société en adoptant des comportements différents.

Ici, ils brandissent un symbole « douloureux » des autres couches de la société: la taxe, et veulent ainsi faire preuve d’empathie. D’une certaine manière, et c’est peut-être le grand renversement, les riches tentent d’imiter les plus pauvres, de faire preuve de similitude pour contrebalancer la logique de distinction. Cette stratégie équilibriste permet à ces protagonistes de se mettre sur le plan symbolique au même niveau là où un simple don financier les aurait placés sur un piédestal creusant un peu plus le fossé entre les riches et les autres.

Qu’importe la sincérité ou non de cette empathie et la réalité ou non de cette similitude, personne n’est dupe. Ce principe de similitude adopté ici, ne serait-ce que dans l’intention, est à moindre mal et participe d’une stratégie d’image qui pourrait s’avérer utile en ces temps de crise.

Dans l’Antiquité Grecque, quand survenait une crise, on désignait un « bouc émissaire » pour purifier la Cité et rétablir l’ordre. Le « bouc émissaire » dans son acceptation courante consiste à faire porter à celui qui est différent la responsabilité du malheur et à le chasser de la communauté.

Aujourd’hui, en temps de crise, le maître mot est la taxation. On entend moins « il faut de l’argent » que « il faut des taxes ». Comme si le caractère obligatoire sous-tendu par l’impôt avait une efficacité symbolique plus détonante. Par-là on désigne insidieusement celui qui échappe à l’impôt (alors qu’il est en capacité d’en payer) comme portant la responsabilité des malheurs de la société. Est-ce là une clé pour comprendre ce soudain empressement de nos seize fortunés ? Faire en sorte de ne pas être le bouc-émissaire de la crise… et par-là de ne pas être la cible d’une contestation sociale à venir ?

On voit en ces temps d’agitation une nouvelle figure du riche décomplexé, culotté même, adoptant une certaine humilité en maniant la communication qui lui permet justement de conserver sa position tout en restant intégré, juste ce qu’il faut (on ne pourra pas leur reprocher de n’avoir rien fait). Brouiller les frontières, voilà qui caractérise par ailleurs bien notre époque et notre société en devenir.

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