Revue des risques que les parents font courir à leurs enfants en les exposant partout sur le web<!-- --> | Atlantico.fr
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Ces images sont des projections des parents dans l’enfant.
Ces images sont des projections des parents dans l’enfant.
©DR

Minis-Stars

Deux tiers des parents postent des photos de leurs bébés seulement 60 minutes après leur naissance. Au-delà de la simple photo de famille, les enfants y posent souvent comme des minis-stars : c'est le phénomène des enfants modèles du web. Pourtant, les problèmes que cela pourraient leur causer en grandissant sont nombreux.

Nathalie Nadaud-Albertini

Nathalie Nadaud-Albertini

Nathalie Nadaud-Albertini est docteure en sociologie de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) et et actuellement chercheuse invitée permanente au CREM de l'université de Lorraine.

 

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Atlantico : Apparaît depuis quelques temps un phénomène d'"enfants modèles du web", souvent âgés de moins de 6 ans, que les parents les prennent en photo - toujours très stylisés - et les postent sur des sites spécialisés comme "children with swag". Pourquoi les parents ont-ils cette envie de vouloir afficher leurs progénitures sur le web ? Sont-ils utilisés comme un trophée marquant une appartenance sociale ?

Nathalie Nadaud-Albertini : On est loin de la théâtralisation de l’enfance. Les enfants n’apparaissent pas avec des jouets ou leur doudou favori, ou dans une situation représentant des valeurs familiales (comme en train de faire un gâteau, quitte à exagérer le chocolat autour de la bouche ou sur les joues). Ici, ils sont mis en scène comme des mini-mannequins de magazine de mode ou comme des stars du showbiz en miniature, à la fois par leurs vêtements, leurs accessoires et leurs poses. En regardant les images, il est évident qu’aucun enfant aussi jeune n’aurait eu l’idée de poser ainsi. Ce qu’ils donnent à voir a été pensé par un adulte et n’a strictement rien de spontané. On leur demande d’être de mini-adultes. Parfois, les photos font se demander si elles n’ont pas été prises par des professionnels.

Ces images sont des projections de soi dans l’enfant dont la mise en scène dit : « j’ai bien intégré les codes de la mise en scène de soi valorisés par la société, puisque je suis capable de les faire reproduire à mon enfant ».  C’est une façon de se présenter comme appartenant à une catégorie sociale privilégiée et favorisée, et une mise en image de l’espoir que leur enfant en fera partie. On essaie de socialiser l’enfant selon des critères dont on pense qu’ils lui permettront d’avoir la vie que l’on prête aux personnes qui posent dans les magazines ou les pipoles en général.

Les enfants sont de plus en plus exposés : Facebook avant même la naissance, photos dès les premiers jours... Quels sont les risques pour eux ?

Le risque majeur est de se construire dès le plus jeune âge dans le regard de l’autre, en quêtant son approbation. Il est plus difficile de se construire comme une personne ayant sa propre personnalité, qui plaira à certains, mais déplaira à d’autres, de faire ses propres expériences. Autrement dit, le risque est d’avoir plus de difficulté à dire « je » et surtout « je suis moi, avec mes qualités et mes défauts, dans mes réussites comme dans mes échecs, et surtout dans mes choix personnels ».

En grandissant, quelles peuvent être les répercussions de ce phénomène sur ces enfants ?

Plusieurs répercussions possibles. Tout d’abord, ils n’ont pas donné leur consentement à la diffusion de ces photos et en grandissant d’avoir été exposé dans telle ou telle pose peut les gêner dans le métier qu’ils choisiront ou dans leur vie personnelle. En effet, leurs choix propres peuvent être très éloignés de ce que leurs parents ont projeté sur eux.

Ensuite, lorsque leur exposition va prendre fin, ils risquent de penser qu’ils ont fait quelque chose de mal et qu’il faut à présent les cacher, ou qu’ils n’ont plus (ou moins) de valeur aux yeux de leurs parents et des autres.

Qu’est-ce que cette tendance, ainsi que la mode « enfantine chic », révèle de notre société actuelle ? Les réseaux sociaux ont-ils amplifié ce phénomène ?

Cela montre que l’on demande à certains enfants d’être autre chose que des enfants : des mini-adultes. C’est-à-dire, à la fois un idéal de ce que leurs parents aimeraient être et aimeraient qu’ils deviennent. C’est aussi bien un surinvestissement qu’un travestissement de l’enfant.

Les réseaux sociaux contribuent au phénomène parce qu’ils permettent à tout un chacun de donner à voir son enfant sous tel ou tel jour. Mais le phénomène existait déjà avant. Quand les parents se vantent des résultats (scolaires, sportifs, artistiques etc.) de leurs enfants, ou de leur beauté, on est déjà dans la valorisation de soi à travers l’enfant.

Touchons-nous ici les limites de la société de l’image ?

Oui, parce qu’on est dans une exposition qui viole le libre-arbitre et le consentement (les enfants sont trop jeunes pour pouvoir le donner en pleine connaissance de cause). J’ai la réputation d’être plutôt tolérante vis-à-vis de la téléréalité qui est aussi une exposition des personnes. Mais la situation est différente : dans le cas de la téléréalité, les personnes sont suffisamment adultes pour prendre des décisions par elles-mêmes, elles savent à quoi elles s’engagent et peuvent se soustraire à l’exposition télévisuelle si elles le souhaitent et quand elles le souhaitent (elles peuvent quitter l’émission à tout moment).  

Propos recueillis par Manon Hombourger

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