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Révolte en vue ? Après des mois de résilience face au Covid-19, les Français ressentent une chute drastique de leur bien-être.
Révolte en vue ? Après des mois de résilience face au Covid-19, les Français ressentent une chute drastique de leur bien-être.
©MEHDI FEDOUACH / AFP

Impact de la crise sanitaire

Les données de l'Observatoire du Bien-être et du Centre pour la recherche économique et ses applications (CEPREMAP) indiquent que le niveau de bien-être des Français retombe à celui qu’ils déclaraient au moment du déclenchement des Gilets jaunes.

Mathieu Perona

Mathieu Perona

Mathieu Perona est Directeur exécutif de l’Observatoire du Bien-être du CEPREMAP (Centre pour la recherche économique et ses applications).

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Atlantico : Vous avez publié dans une note de l’Observatoire du Bien-être votre nouveau baromètre sur l’évolution du bien-être, quelle est la tendance qui se dégage ?

Mathieu Perona : Nous réalisons trimestriellement un baromètre du bien-être en France au moyen de 20 questions posées en annexe de l’enquête mensuelle de conjoncture auprès des ménages de l’Insee. En suivant ces métriques, nous avons vu que les Français étaient entrés dans le premier confinement sans savoir à quoi s’attendre. Leurs métriques de bien-être étaient ainsi au même niveau que l’année passée. Au sortir du confinement, il y a eu un énorme soulagement et toutes les métriques ont évolué positivement. Jusqu’en décembre 2020 on observait un lent glissement vers le bas, résultat de deux tendances. D’une part, la dégradation du bien-être lié à ce qui est d’ordre émotionnel ou des relations avec les autres, empêchées par les mesures sanitaires. D’autre part, un niveau de satisfaction qui restait élevé concernant les conditions matérielles, typiquement, le niveau de vie. Ce dernier est extrêmement important dans le bien-être des Français. Avec notre baromètre de mars on se rend compte que ce qui avait bien résisté jusqu’ici commence à glisser voire s’effondrer. Des métriques centrales comme la satisfaction dans la vie ou le sentiment que la vie a un sens atteignent leur niveau le plus bas depuis le début de l’enquête, en 2016.

Comment expliquer que le bien-être qui avait relativement tenu pendant les six premiers mois de la crise connaisse un fort décrochage depuis quelques mois ? Y-a-t-il des différences générationnelles importantes ?

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Il y a très probablement une forme d’usure vis-à-vis de la situation. Ce n’est pas la même chose de rentrer et sortir du confinement en ayant le sentiment qu’on a passé l’étape la plus dure et d’en être au troisième confinement, sans savoir jusqu’à quand tout cela va durer. Dans le détail, on voit que les jeunes sont particulièrement touchés. Il y a une perte de confiance quant à leur situation matérielle, leur avenir, leur temps libre, etc. Ce sont les populations les plus empêchées et qui souffrent le plus de cela. Elles voient aussi leurs perspectives se dégrader à mesure qu’on entend que le coût de l’épidémie va être très important. On voit que le coût ressenti du confinement est d’autant plus important qu’on est jeune. Ce sont eux qui, subjectivement, ont payé le tribut le plus lourd aux mesures sanitaires.

Les aînés ont vu leur bien-être commencer à diminuer un peu plus tôt en décembre. Ils ont désormais tendance à un peu mieux résister que les autres, notamment car ce sont les premiers vaccinés. En revanche, ils ressentent plus fortement le fait de ne plus avoir de contacts avec leur proches et de ne plus avoir accès aux activités qui donnent du sens à leur vie. C’est aussi la génération pour laquelle le passage au virtuel est sans doute le moins bon substitut.

Pour les jeunes, dans l’absolu, ça va plus mal que dans le reste de la population. Sur le plan de la santé mentale, 1/3 des 19-24 ans est en risque de dépression selon les données de Santé publique France. Le chiffre est de 15 % chez les plus de 65 ans, plus faible donc, mais trois fois supérieur à la normale. L’augmentation du risque de dépression est très élevée. Donc les deux catégories de la population doivent être suivies de très près, même après la crise. Ce genre d’épisode ne se guérit pas tout seul.

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Certains indicateurs sont à leur niveau le plus bas depuis la création du baromètre. En 2019, le baromètre était également descendu très bas. Qu’est-ce qui avait expliqué cette chute ? Y-a-t-il des parallèles dans les deux situations ?

Le point bas correspond à décembre 2019, au cœur du mouvement des Gilets jaunes. On avait observé à l’époque une baisse assez marquée de la plupart des indicateurs de bien-être, due à cette fragmentation manifeste de la société française. On pense que c’est un phénomène d’une autre nature que celui de l’épidémie mais qui reflète la sensibilité du bien-être ressenti à la conjoncture.

La chute du bien-être constatée en 2021 pourrait-elle aboutir à une mobilisation de l’ordre de celle des Gilets jaunes ?

Dans les travaux que nous avons mené à l’Observatoire du Bien-être et qui a donné lieu à l’ouvrage Les origines du populisme, nous avons mis en évidence un lien entre la faible satisfaction de vie et le vote aux extrêmes. Il nous semble que ce qui se passe aujourd’hui est d’un ordre différent. C’est une autre forme d’insatisfaction qui s’exprime, la réaction à une situation ponctuelle dégradée. Nous sommes donc assez prudents sur les conséquences électorales que cela peut avoir.

Si le Covid disparait, le bien-être devrait donc rapidement remonter ? Certains indicateurs pourraient-ils rester dans le rouge sur plus long terme ?

Oui. C’est ce qu’on a vu sur les autres mouvements conjoncturels. Pour les Gilets jaunes, ça a duré un trimestre. Un mouvement positif temporaire avait eu lieu lors de l’élection présidentielle de 2017. On le constate aussi dans le bien-être face aux accidents de vie. Les gens se remettent assez vite.

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L’impact psychologique du Covid est-il dû aux mesures de restrictions sanitaires ou à la pandémie elle-même ?

Comme je le disais, jusqu’à présent le bien-être était très lié au niveau de vie. Donc à moyen terme, le traitement ou non des conséquences économiques de la crise va être très important. Les plans de relance vont-ils être suffisants pour limiter les cicatrices de la crise ? À une échelle plus longue, les analyses montrent le poids énorme de la santé mentale. Elle pèse très lourd, notamment dans les cas de grande insatisfaction de vie. Et c’est donc là que les indicateurs de Santé publique France qui montrent une augmentation des risques dépressifs doivent être suivis de près. Nous n’étions déjà pas les meilleurs avant la crise sur ce terrain, il faut désormais savoir si on va réussir à résorber le problème ou non.

Vous avez aussi étudié la relation entre le niveau de bien-être et le respect des règles sanitaires, que constatez-vous ?

On observe dans les données de Santé Publique France une corrélation non significative entre le degré d’insatisfaction et le degré de respect des gestes barrières. Donc les gens en ont marre mais ils serrent les dents et continuent. Inversement, il ne faut pas donner au non-respect des gestes barrières une dimension contestataire.

Sources : Observatoire du Bien-être / Cepremap

Suggestion de références pour aller plus loin :

Yann Algan, Elizabeth Beasley, Claudia Senik, Les Français, le bonheur et l’argent, Cepremap/Rue d’Ulm, 2018 (téléchargeable)

Yann Algan, Elizabeth Beasley, Daniel Cohen, Martial Foucault, Les origines du populisme, Seuil, 2019

Mathieu Perona (dir.), Claudia Senik (dir.), Le Bien-être en France : Rapport 2020, Cepremap, 2020 (téléchargeable)

Mathieu Perona et Claudia Senik, « Le Bien-être des Français – mars 2021, Un an après : l’usure », Observatoire du Bien-être du Cepremap, n°2021-02, 14 avril 2021 (téléchargeable)

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