Revenu, patrimoine ou les deux : qui se sent (vraiment) riche aujourd’hui ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L'Observatoire des inégalités a publié un nouveau rapport sur les riches en France.
L'Observatoire des inégalités a publié un nouveau rapport sur les riches en France.
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Vision incomplète

L’Observatoire des inégalités a publié un nouveau rapport sur les riches en France. L’Hexagone compterait 4,5 millions de personnes aisées (gagnant plus de 3.673 € après impôt ou ayant 490.000 € de patrimoine). Quelle est la réalité pour les Français derrière ces conclusions ?

Nicolas Duvoux

Nicolas Duvoux

Nicolas Duvoux est professeur de sociologie à l'université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, chercheur au Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris (CRESPPA-LabTop), spécialiste des questions de pauvreté, d’inégalités sociales et des politiques publiques.

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Atlantico : Dans un article publié en 2019, Qui se sent riche en France ?, vous reveniez sur le rapport 2019 sur les inégalités, de l’Observatoire des inégalités. Selon cet organisme, dans son nouveau rapport, la France compterait ainsi 4,5 millions de personnes aisées, c’est-à-dire gagnant plus de 3673 € après impôt ou ayant 490 000 euros de patrimoine. Dans quelle mesure regarder uniquement ces données donne une vision incomplète de qui sont les riches ?

Nicolas Duvoux : D’abord, il faut rappeler que l’Observatoire des inégalités joue un rôle très utile en mettant ces questions sur la table. Quand Louis Maurin dit qu’il faut poser des critères pour la richesse et pas seulement pour la pauvreté, c’est une démarche importante. Ensuite, nous avons appris, grâce aux travaux de Thomas Piketty notamment, que la question du patrimoine est centrale pour saisir les recompositions de la richesse. Donc un chiffre fixant un seuil de revenus, c’est insuffisant, même si toute fixation de seuil a l'évident intérêt d'ouvrir un débat. Mais il faut intégrer le patrimoine. C’est une composante de plus en plus importante et de plus en plus rattachée à l’héritage, et non à la capacité individuelle de constituer un patrimoine. J’ai la conviction que la question des frontières sociales et de leurs perceptions par les intéressées ne se joue pas seulement sur des questions de revenus, il faut les articuler avec le patrimoine. Par ailleurs, il est pertinent de s’intéresser aux classes moyennes supérieures et pas seulement au 1%, mais il y a des capacités de contrôle (médiatique, économique, politique) de ces derniers qui sont essentielles à appréhender. Cela reste une focale difficile à objectiver mais c'est une démarche à poursuivre. Il y a une dimension élitaire de la société que le seul de 3673 € ne met pas bien en lumière. Il faut, à mon sens, conjuguer l'intérêt pour une approche élargie de la richesse et du privilège, qui transparaît dans de nombreux travaux de l'Observatoire des inégalités (que ce soit la fixation d'un seuil de richesse ou des privilèges que détient la bourgeoisie culturelle et sur lesquels elle opère un déni) et celle sur le 1% pour faire simple.-

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Dans votre étude Class and relative wealth accumulation in five European countries: Sociological Lessons from the Household Financial and Consumption Survey (European Central Bank, 2014 Wave) vous essayez entre autre d’apporter une vision plus fine de qui sont les riches. Quelles sont vos conclusions ?

Le point qui nous intéressait, était de dire qu’il fallait regarder, au-delà des très très riches, les effets de la diffusion du patrimoine à la moitié supérieure de la distribution. Piketty a surtout été lu comme quelqu'un qui soulignait l'importance des super-riches alors que son travail souligne aussi l'importance de l'existence de ce qu'il appelle la "classe moyenne patrimoniale". En dessiner les contours et l'intégrer à la réflexion sur la structure sociale est essentiel. L’idée est donc de croiser revenu et patrimoine, car les deux comptent. L indicateur que nous avons retenu, c’est le ratio capital-revenus : le nombre de fois où il faut multiplier le revenu brut annuel pour obtenir le stock de patrimoine net. Cet indicateur introduit une relation qui permet de décrire à nouveaux frais la hiérarchie des classes sociales. Et ce que l’on observe c’est que la hiérarchie des classes reste déterminante de la richesse, donc des niveaux de revenus et de patrimoine relativement au revenu. Cette hiérarchie doit se penser en comparant les structures nationales (qui fait notamment varier les niveaux d'endettement et de propriété de la résidence principale) et en intégrant la question de l’âge (car l'accumulation patrimoniale se joue sur le cycle de vie). Sur certaines questions, comme celle de l'accès à la propriété pour les classes moyennes, la question la plus urgente est de savoir si les trajectoires d'accumulation ouvertes aux générations précédentes des classes moyennes voire populaires vont rester ouvertes, possibles, disponibles, pour les plus jeunes. Cela permet d’approcher les écarts entre les espérances des gens et la réalité des possibilités.

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Avec vos travaux, peut-on avoir une esquisse de réponse de qui est riche et de qui se sent riche ?

Ce qu’on peut dire, c’est que deux catégories ressortent. Chez les indépendants -avec une très grosse disparité entre les petits et les gros indépendants- on trouve des pauvres mais aussi des très très riches. C’est intéressant car pour devenir indépendant, souvent, il faut déjà du patrimoine. L’autre catégorie, ce sont les CPIS et notamment les cadres du privé. Ils ont des trajectoires de revenus et d’accumulation du patrimoine très dynamiques, bien plus que les autres groupes. Ce que nous avons voulu faire c’est déployer complètement la thèse de Piketty autour de la classe moyenne patrimoniale. Il y a eu une démocratisation de l’accès à la propriété qui a rendu les sociétés moins inégalitaires, même si elles le redeviennent. Même chez les classes moyennes et modestes, accéder à la propriété est quelque chose de structurant. C’est ce qui crée un attachement qui, à mon sens, crée un rejet de la taxation sur les patrimoines y compris au sein des classes populaires alors qu’elles en seraient les bénéficiaires objectives. Ce qui nous intéresse, ce sont les trajectoires. Même si nous ne pouvons pas les mesurer directement, nous pouvons saisir comment les individus se projettent, en fonction de leur position de classe et de leurs ressources. Si vous êtes un. jeune cadre, vous allez vous projeter dans une trajectoire d’accumulation. C’est pour cela qu’il faut rajouter, à la question posée par l’observatoire des inégalités, celle de la manière dont les gens se projettent dans l’avenir. En fonction de leurs ressources, quels avenirs sont-ils ouverts ou fermés pour eux ?

La question de la sécurité face à l’avenir est donc importante ?

Oui le sentiment de sécurité, ou d’insécurité, est essentiel. Pour ceux qui n’ont pas accumulé, encaisser les chocs est plus difficile car il n’y a pas de réserve pour le faire. si on a des réserves, on est en capacité d’accumuler encore plus, car on est plus audacieux, etc. Il y a une dimension dynamique et profondément cumulative. C’est pour cela que la question de la temporalité est primordiale. Car le patrimoine, qui est le principal critère de la richesse, est une notion qui ne peut se comprendre que de manière dynamique.

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