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Réunion de Ventotene : ce que l’arrivée de Matteo Renzi au milieu du couple franco-allemand signifie de l’évolution du rapport de force européen
©Reuters

Invité surprise

Au cours de leur rencontre à Ventotene, les dirigeants français, italien et allemand se sont donnés pour but de remettre au centre l'idée fédérale européenne. Mais il s'agit surtout d'un nouvel équilibre des pouvoirs dans lequel chacun compte mener à bien sa vision de l'Europe.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : François Hollande, Angela Merkel et Matteo Renzi se sont rencontrés le 22 août à Ventotene pour discuter de la rentrée européenne post-Brexit. L'originalité de cette rencontre est qu'elle vient ajouter l'Italie au classique couple franco-allemand. Quelle est la signification politique de ce nouveau trio européen ? Que traduit-il des rapports de force actuels au sein de la communauté ?

Christophe BouillaudCette rencontre entre les dirigeants des trois pays principaux de l’ancienne Communauté européenne à six pays à l’origine de l’actuelle Union européenne pourrait effectivement dépasser le couple franco-allemand si ce format devenait habituel. De fait, le couple franco-allemand a très mal géré la crise de la zone Euro depuis 2010, or l’Italie représente l’une des principales victimes de cette mauvaise gestion, ce qui pourrait à terme amener ce pays à quitter la zone Euro. Cette rencontre à trois permet donc d’avoir une vision plus globale des problèmes qu’affronte l’Union européenne en général que le seul couple franco-allemand. En fait, c’est l’importance même de l’Italie et la faiblesse de sa reprise économique depuis 2013 qui imposent en quelque sorte l’Italie à la table franco-allemande. Cela traduit aussi le fait que Matteo Renzi aurait absolument besoin de montrer aux électeurs italiens qu’il a réussi à changer le cours de l’Union européenne pour pouvoir gagner son référendum constitutionnel de cet automne. Il n’est en effet plus possible de croire en 2016 que les choses vont s’arranger comme par miracle en suivant les mêmes politiques que celles suivies depuis 2010. Tout cela traduit plutôt un affaiblissement de la position allemande, qui a tout de même mené l’Union européenne dans ses difficultés actuelles. 

Entre une Allemagne austère et une France plus portée à la relance, quel rôle peut avoir l'Italie ? Angela Merkel fait-elle "rentrer Renzi dans le jeu pour de nouveau créer une concurrence interne qui ré-affaiblira la France" comme l'affirmait il y a quelques temps Emmanuel Todd dans nos colonnes ?

Non, la vision d’Emmanuel Todd est erronée. Elle ignore complètement le fait qu’en réalité l’opinion publique, les partis d’opposition (les droites d’une part et le M5S d’autre part), voire les associations patronales, sont très remontés en Italie contre A. Merkel et sa politique d’austérité. M. Renzi, un pro-européen, est donc poussé à bouger par un anti-germanisme désormais répandu dans son pays que ne connaît pas vraiment F. Hollande de son côté. En France, l’opposition de droite reste en effet pro-germanique, et presque tous ses candidats à la présidentielle rêvent de 100-150 milliards d’économie sur le budget public pour faire comme les Allemands. Ce n’est plus du tout le cas en Italie depuis la cure d’austérité Monti de 2011. Les dirigeants italiens ont donc autant besoin que les dirigeants français d’aller bien au-delà du relâchement actuel de l’austérité. Ils ont besoin de relancer vraiment l’économie européenne, et donc d’aller au-delà de la seule politique monétaire hétérodoxe de Mario Draghi qui, par ailleurs, irrite déjà passablement les dirigeants allemands. Les dirigeants italiens ne se sont d’ailleurs pas privés au printemps derniers de renvoyer le Président actuel de la Bundesbank à son impéritie économique, en soulignant que pour qu’un pays puisse payer ses dettes, il lui faut de la croissance économique, et non de l’austérité à tout crin qui empêche cette même croissance. La proposition italienne d’un "Schengen de la défense" va d’ailleurs dans ce sens. A l’échelle continentale, il faudrait dépenser plus pour la défense, pourquoi ne pas le faire en commun ? L’Italie est d’ailleurs l’un des pays qui a le plus réduit ses dépenses militaires depuis 2010… justement au nom de la nécessaire austérité, tout en étant de plus en plus face à une Méditerranée pleine de dangers nouveaux. Pouvoir inverser la route "au nom de la sécurité européenne" et aller ainsi contre toute idée d’équilibre budgétaire à la Merkel-Schauble serait tout à fait possible pour les Italiens, comme sans doute pour les Français au nom de la "guerre contre le terrorisme". L’industrie de défense française serait sans doute ravie de recevoir de nouvelles commandes.

Quelles sont les stratégies européennes des trois gouvernants ? Lesquelles sont les plus compatibles ?

J’ai bien peur qu’on ne puisse pas parler de stratégie européenne de ces trois gouvernants nationaux. Cette réunion, ce n’est que trois gouvernants nationaux qui essayent tant bien que mal de concilier leurs contraintes internes et les contraintes européennes. Ils ont chacun des agendas nationaux, en particulier des contraintes  électorales  à respecter et des groupes d’intérêts nationaux à défendre. Sur certains points, ils seront facilement d’accord, par exemple, sur le fait que l’Union européenne ne peut accueillir toute la misère du monde, mais ils le seront moins sur le point de savoir comment se répartir la misère arrivée sur les côtes européennes… Les Italiens, en tant que porte d’entrée des migrations, ne veulent absolument pas se trouver à gérer seuls le problème. Les Allemands estiment sans doute qu’ils ont fait leurs efforts, et que les Français pourraient en faire plus. Sur la défense, tout le monde est désormais assez d’accord qu’il faudrait dépenser plus, mais comment payer ces dépenses ? C’est en fait, sur la gestion de l’économie européenne, ou sur les mesures à prendre à propos des banques italiennes, que les désaccords sont les plus profonds, répétés, persistants. Ces derniers correspondent à la fois à des visions économiques différentes, à des soutiens électoraux dissemblables, et enfin à des oppositions entre capitalismes nationaux. L’opposition germano-italienne tient aussi à un conflit en matière de suprématie industrielle sur le continent.

En quoi est-ce que le choix de Ventotene est-il intéressant ? La question de l'unité européenne et du fédéralisme n'est-elle pas particulièrement mise à mal ?

Le choix de ce lieu se veut symbolique. Au cœur de la Seconde Guerre mondiale, deux intellectuels italiens y relancent en effet l’idée fédéraliste européenne. Au moment où l’Union européenne parait menacée dans son existence même, c’est là revenir à un récit fondateur fédéraliste de cette dernière. C’est cependant maladroit. D’une part, les trois dirigeants soulignent malencontreusement ainsi l’écart entre la vision utopique et optimiste de cette époque et les réalisations actuelles. D’autre part, vu l’état des opinions publiques et des rapports de force partisans dans l’Union actuelle avec une montée en puissance des forces nationalistes, le saut fédéral – qui paraissait réalisable aux rêveurs de 1941 – est exclu des avenirs possibles à court terme. Les Européens ne veulent pas d’une fédération européenne, mais ils souhaitent de l’efficacité européenne pour régler les problèmes nationaux qu’ils affrontent. Malheureusement, l’Union européenne offre bien peu de "valeur ajoutée" aux Européens en ce moment, et donne même l’impression inverse d’être devenu une entrave à l’action publique. Ce n’est pas en se réunissant à Ventotene que ce problème de fond qui traine depuis un bon moment désormais va se résoudre.

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