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Rétro 2015 "Chronique d’un retour mitigé : Sarkozy II, le doute"
©REUTERS/Jean-Paul Pelissier

Sarko : le come-back raté

Le 29 novembre 2014, Nicolas Sarkozy redevient président. Certes, c’est une présidence de "roi de Bourges" qui ne saurait satisfaire l’appétit élyséen le taraudant depuis le 6 mai 2012, 17h30, quand, prenant connaissance des premières " sorties des urnes ", il a compris qu’il était battu. Cette présidence en miniature, c’est celle de l’UMP. Et pourtant, bien que réputée facile, cette conquête ne le fut guère. Déjà, sous la victoire étriquée, peu digne de celui qui fut un magnifique hussard, bousculant tout sur passage au temps de son épopée vers l’Olympe (2004 -2007), déjà pourtant pointait l’ombre grise d’un retour qui allait se révéler, à l’usage, plutôt manqué.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Une reconquête autant laborieuse que douloureuse : un retour au goût amer

En politique, caractériser le succès ou l’échec n’est pas toujours aisé. Certes, la sanction électorale, la défaite, peut paraître un critère " objectif " incontestable, permettant de dire, sans trop de risques d’être contredit : ici il y a bien échec. Pourtant, là encore, les exemples abondent de défaites porteuses de victoires éclatantes, d’échecs fondateurs et d’insuccès prometteurs. À l’inverse, depuis Pyrrhus Ier d’Epire et sa célèbre victoire, on sait que certains gains sont tellement coûteux pour le vainqueur que ce dernier ne saurait survivre à un prochain affrontement. Pour distinguer le succès de la faillite, il est parfois plus aisé de comparer le premier à l’aune de ce qui était attendu avant que ne s’engage le combat.

À la rentrée 2014, Nicolas Sarkozy, sortant d’un silence d’autant plus assourdissant qu’il ne s’était jamais tu depuis l’automne 2012, annonce à sa manière (sans trop se préoccuper de l’état du relief et de celui de ses contradicteurs éventuels) qu’il est candidat à la présidence de l’UMP. L’affaire semble entendue. En 2004, dans un meeting célèbre, sorte de plébiscite et de grand-messe, tenant tout autant du show que du cirque, de rampe de lancement que de convention à l’américaine, Nicolas Sarkozy s’était emparé de la machine UMP, conçue, produite et réalisée par et pour Alain Juppé en 2002, avec un seul et unique objectif : l’Elysée. Avec 85% des suffrages militants exprimés et 53,29% de participation, Nicolas Sarkozy en 2004 avait tout raflé : l’organisation, l’appareil, les cadres, les notables, les adhérents. Le " Bonne chance mon papa " du petit Louis, 7 ans, prononcé ce 28 novembre 2004, cachait peut-être une cassure familiale et une rupture intime (on ne le saura que plus tard et peu importe d’ailleurs), le souhait était touchant et la prédiction heureuse. Le " patron " de la " firme " connut alors trois " glorieuses " années vers l’Elysée et la marche n’en fut que plus triomphale jusqu’au 6 mai 2007.

Pour quelles raisons les mêmes causes ne produisent-elles pas les mêmes effets ? En présentant sa candidature à la présidence de l’UMP à l’automne 2014, Nicolas Sarkozy a toutes les raisons de penser que la magie, une fois encore, va opérer. Il se trompe. Il a perdu un premier atout majeur en politique : il ne fait plus peur. Pire : il inspire la résistance. Un Mariton (un auteur de politique fiction n’aurait aucun mal à mettre dans la bouche d’un Sarkozy éberlué par tant d’audace de savoureuses répliques au sujet de ce " Mirliton "), autrement dit, un " presque rien ", ose sortir du bois et défier le lion. S’appuyant sur l’aile " catho-tradi " de l’UMP, celle qui s’est mobilisée pour la Manif pour tous et qu’il représenta fort bien dans le débat parlementaire sur la loi Taubira, Hervé Mariton obtient 6,32% des suffrages militants. La participation (58,1%) est supérieure à celle de 2004. Officiellement 268 341 adhérents à jour de leur cotisation pouvaient voter… Mais comme le chiffre est invérifiable, il est sans doute faux. 6,32% à Mariton… Manquerait plus que Le Maire frôle les 30%... Et justement le très ambitieux député de l’Eure, drapé dans sa tunique de " jeune rénovateur ", récolte 29,18% des voix. Le gendre idéal a bousculé le leader maximal. Un mois plus tôt, Nicolas Sarkozy pensait obtenir 85% des suffrages militants. Au fur et à mesure que l’échéance électorale se rapprochait, il n’a eu de cesse, lui et ses proches, de " recaler " le pronostic sur la réalité… Mais de là à ne pas dépasser les 65% (le chiffre précis est de 64,5%), la victoire a parfois un goût amer. C’est ce goût-là que Nicolas Sarkozy ressent encore régulièrement : celui d’un retour manqué, d’une remontée sur le ring dans un état quasi-second, d’une reconquête autant laborieuse que douloureuse.

Le changement de nom ne change pas le ton du retour : besogneux dans la forme, incertain dans la ligne, inefficace dans le combat

Il avait promis une refondation de la cave au grenier. L’UMP devait et pouvait mourir, " Les Républicains " allaient tout changer. Le nom en lui-même était une provocation. Le truc marchait encore. Comme hier, comme toujours. Sarkozy créait l’événement, et l’événement construisait Sarkozy. L’as du story telling n’avait rien perdu de son art. Les donneurs de leçon de la gauche bien-pensante étaient retombés dans le même panneau à la première occasion : " Quoi ? Les Républicains ? Scandaleuse appropriation par un clan politique ! Honteuse privatisation du patrimoine commun !... ". Toutes ces jérémiades, ces reproches bêlant n’avaient aucun sens…Nicolas Sarkozy a pu penser qu’ils étaient toujours aussi bêtes, réagissant, comme hier, comme toujours, à chacune de ses provocations, à chacun des chiffons rouges agités devant le mufle des Mélenchon et autres Hamon réunis. Mais passé le " coup des Républicains ", qu’a-t-on eu ? En dehors des gamineries et enfantillages d’un Wauquiez (numéro 3) détestant une NKM (numéro 2) dont il voulait piquer le bureau ? Où était passé le " magicien d’ose " ? Plus occupé à faire siffler son principal concurrent aux primaires (Alain Juppé) dans des salles de meetings faites à sa main, qu’à concevoir la grande formation politique des années 2017-2020…

Les départementales de mars 2015, encore " courues " sous la casaque UMP n’ont pas été le triomphe prédit et escompté… Victoire certes, mais victoire en demi-teinte. Deux mois plus tôt, le 11 janvier 2015, le président de l’UMP est filmé en train de  jouer des coudes pour se faufiler au premier rang des chefs d’Etat et de gouvernements venus du monde entier aux côtés de François Hollande pour dire leur soutien à la France. Fallait-il être réélu à la tête de l’UMP pour se livrer à ce petit gymkhana tout juste digne de la cour de récréation ?  La préparation des primaires de la droite et des centres révèle une succession permanente de tentations de chausse-trappes, de coups plus ou moins tordus, requérant de la part des concurrents de Nicolas Sarkozy à la primaire, une vigilance de tous les instants. Combien de bureaux de vote ? Quelle implantation ? Il n’est pas jusqu’à la date qui semble devoir être remise en cause désormais…Une semaine joviale, une semaine cassante, une semaine au " top ", une semaine " down " : il n’est pas jusqu’à l’entourage immédiat qui manque de suffoquer. En 2006 la " firme " vivait sous la pression de la victoire à venir. En 2015, la PME Sarkozy expérimente le harcèlement moral dans la crainte d’une défaite envisagée.

Le président Sarkozy était incontestablement à l’aise dans son costume élyséen ; le président Nicolas court le risque d’être irrémédiablement mesquin dans son tailleur " républicain ".

Comme si cela ne suffisait pas, les nuages s’amoncèlent. Les finances du nouveau parti sont toutes aussi à plat que celles de l’UMP. Et celui qui, hier, a vidé les caisses ne peut pas l’ignorer puisqu’il est celui qui doit désormais les renflouer. S’ajoute à cela l’impossible conception d’un projet dans l’attente éperdue de primaires censées désigner un champion qui ne voudra pas être prisonnier d’un programme qu’il n’aura pas conçu. S’accumule par-dessus tout cela un Front national qui ne cesse de harceler celui qui sut le contenir en 2007 en siphonnant ses voix mais qui échoua à " buissonner " sur la droite de sa droite en 2012.

Survient alors la séquence des régionales de décembre 2015. Ce qui aurait pu être un autre " 2 décembre " (un nouvel Austerlitz électoral) va se révéler la pire des configurations. Jusqu’à cette image saisissante : a-t-on jamais vu un soir de second tour électoral le chef du principal parti de l’opposition parlementaire aller assister à un match de football au Parc des Princes, à 20h45 ? A-t-on jamais entendu un des candidats à la présidence d’une des régions les plus disputées (Nord-Pas-de-Calais-Picardie) demander " qu’ils se taisent puisqu’on ne peut pas les enfermer ", parlant ainsi, entre les deux tours, du président de son parti et de son entourage immédiat ? A-t-on déjà vu un président de parti récusé pour ses meetings dans toutes les régions où les coalitions des droites pouvaient l’emporter au soir du 13 décembre et seulement autorisé à franchir le " périphérique " pour venir en Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes (à Rochefort… excusez du peu !...), là où la défaite était évidente ? Celui qui voyait tout avant tout le monde, celui dont le flair politique agaçait même un Jacques Chirac, celui qui avait la baraka du chasseur et l’instinct du tueur politique, le Sarkozy de l’incandescence tactique, de la vista opportuniste, n’a pas même été à la hauteur du retrait des listes socialistes en Nord-Pas-de-Calais-Picardie et PACA, persévérant dans un " nini " abscons et têtu, répétant cette non-ligne stratégique comme un mantra inepte. Quand il aurait été plus simple de considérer et de reconnaître que si la liste PS ne s’était pas retiré en PACA, Christian Estrosi aurait été battu par Marion Maréchal-Le Pen qui obtient, malgré le retrait du PS, plus de 46% des voix. Et que cette situation, pour le moins inédite, a crée une configuration nouvelle. Même Christian Estrosi a fait cette démarche et ce constat. Ce faisant d’ailleurs, il s’attire une réflexion qui ressemble fort à un dernier dérapage avant les fêtes.  Nicolas Sarkozy,  à propos de Xavier Bertrand et de Christian Estrosi  et de leurs dernières prises de parole, ne peut s’empêcher de lâcher  : " Il va falloir attendre qu’ils dessaoulent… ça va bien leur prendre deux mois ".

C’est sans doute à l’aune des répliques manquées que l’on constate, tristement, que l’artiste passe de la lumière à l’ombre, qu’il lasse autant qu’il se lasse. Nicolas Sarkozy a de la ressource, n’en doutons pas. Et rien n’est écrit en 2016 sur son sort politique et personnel. Mais il est incontestable aussi que les douze derniers mois de sa trajectoire politique ont plus révélé une caricature de lui-même qu’un véritable chef ;  plus montré un personnage en quête d’auteur qu’un lutteur au mieux de sa forme ; plus traduit une sourde nostalgie de la gloire passée qu’un flamboyant enthousiasme pour franchir allégrement les obstacles à venir. Il lui reste 11 mois, tout au plus, jusqu’aux 20 et 27 novembre 2016, dates des primaires (à condition qu’elles ne changent pas…) pour retrouver le Sarkozy-le-Conquérant qu’il fut.

On saura alors seulement si son retour de 2015 était le commencement de la fin pour lui, ou la fin du commencement de sa reconquête élyséenne.

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