Retraites : la stratégie risquée d’Emmanuel Macron<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron, Elisabeth Borne et Alexis Kohler à l'Elysée.
Emmanuel Macron, Elisabeth Borne et Alexis Kohler à l'Elysée.
©Christophe PETIT TESSON / POOL / AFP

Pari du chef de l'Etat

Après la réunion ratée à Matignon entre les syndicats et la Première ministre, la journée de jeudi a été marquée par de nouveaux rassemblements contre la réforme des retraites. Emmanuel Macron est-il entré dans une stratégie de pourrissement du conflit ?

Jean-François Amadieu

Jean-François Amadieu

Jean-François Amadieu est sociologue, spécialiste des déterminants physiques de la sélection sociale. Directeur de l'Observatoire de la Discrimination, il est l'auteur de Le Poids des apparences. Beauté, amour et gloire (Odile Jacob, 2002), DRH le livre noir, (éditions du Seuil, janvier 2013) et Odile Jacob, La société du paraitre -les beaux, le jeunes et les autres (septembre 2016, Odile Jacob).

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Luc Rouban

Luc Rouban

Luc Rouban est directeur de recherches au CNRS et travaille au Cevipof depuis 1996 et à Sciences Po depuis 1987.

Il est l'auteur de La fonction publique en débat (Documentation française, 2014), Quel avenir pour la fonction publique ? (Documentation française, 2017), La démocratie représentative est-elle en crise ? (Documentation française, 2018) et Le paradoxe du macronisme (Les Presses de Sciences po, 2018) et La matière noire de la démocratie (Les Presses de Sciences Po, 2019), "Quel avenir pour les maires ?" à la Documentation française (2020). Il a publié en 2022 Les raisons de la défiance aux Presses de Sciences Po. 

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Atlantico : Au lendemain d’une tentative de dialogue ratée entre le gouvernement et les syndicats réunis à Matignon, la journée de jeudi a été marquée par une nouvelle mobilisation nationale. A quel point Emmanuel Macron est-il entré dans une stratégie de pourrissement du conflit ?

Jean-François Amadieu : Vous parlez d’une réunion ratée, mais celle-ci s’est déroulée de manière tout à fait logique. La Première ministre et les syndicats ont fait ce qui était attendu d’eux et avaient prévu de se voir de manière courtoise. Le vrai problème à l’heure actuelle c’est la relation du président avec les partenaires sociaux. La question de fond qu’il faut se poser, c’est quelles sont les obligations de l’Etat vis-à-vis de la démocratie sociale et des syndicats. Il y a en France, une prédominance de l’Etat et la place de la démocratie sociale est un vieux serpent de mer. Il n’y a pas de place constitutionnelle prévue pour les partenaires sociaux. Donc tout dépend de la manière dont les gouvernants vont traiter ces derniers. Or il se trouve qu’Emmanuel Macron n’est pas convaincu que les partenaires sociaux soient des corps intermédiaires importants. Les syndicats réaffirment régulièrement leur volonté d’une place plus importante dans la démocratie sociale. Emmanuel Macron avait dit que les partenaires sociaux n’avaient pas le courage de réformer. Mais le patronat et les syndicats disent que ce n’est pas ça qui est le problème. Elles savent prendre leurs responsabilités pour équilibrer un régime. Mais ils estiment qu’il faut que le gouvernement cesse de faire du cadrage qui enlève leur autonomie.

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Pour qu’une réforme marche en France, le pouvoir doit s’appuyer sur les syndicats dits réformistes, majoritaires dans le pays, pour construire son projet. Sauf que depuis 2017, et en particulier sur cette réforme des retraites, le président ne l’a pas fait. Et des mots très violents ont été utilisés contre Laurent Berger de la CFDT. Le blocage de la démocratie sociale actuel est en grande partie due à la manière dont a été traité le syndicat réformiste par Emmanuel Macron. Il n’y a pas de marginalisation inévitable des partenaires sociaux. 

Luc Rouban : Emmanuel Macron a clairement dit qu’il n’était pas question de reculer, que le pays n’était pas à l’arrêt et que de nouveaux chantiers de réforme allaient s’ouvrir. Donc, la stratégie de l’Élysée semble claire : en attendant la décision du Conseil constitutionnel qui doit clore le processus de décision, il suffit d’attendre et de jouer sur la perte de rémunération que représentent les journées de grève, la crainte d’aller manifester alors que des violences réapparaissent et la fatigue générale des Français face à une situation de chaos qui commence à durer. Le temps joue en faveur de l’Élysée car rien ne dit que l’intersyndicale va résister très longtemps surtout si du côté de la CGT on durcit le ton et qu’on envisage des actions de blocage qui ne seront pas du goût de la CFDT. D’autres sujets de première importance, comme la dégradation du climat, la sécheresse dans certaines régions ou la guerre en Ukraine vont vite se rappeler à notre bon souvenir. L’idée générale semble donc être de laisser le mouvement social s’épuiser voire de s’enliser et de se transformer en protestation politique assez générale dans le sillage du mouvement des Gilets jaunes, ce qui peut être assez risqué car cela fait des années que la crise démocratique, née elle-même d’une société à la recherche d’une plus grande équité dans la reconnaissance du mérite et du travail, nourrit des explosions de colère à répétition comme les mouvements du magma ont créé des tremblements de terre sporadiques avant l’éruption du Vésuve. Cela étant, rien n’indique non plus que l’on soit dans une situation pré-révolutionnaire quoiqu’en dise LFI. On peut craindre en revanche le retour d’une forme de terrorisme comme celui des Brigades rouges dans l’Italie des années de plomb, ce qui serait évidemment terrible.

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Alors qu’il essaie de remobiliser ses troupes ayant commencé à douter de la réforme, comment expliquer la mise en place d’une telle stratégie par Emmanuel Macron ? Dans quelle logique plus large s’inscrit-elle de la part de Macron pour lui-même, son parti et le pays ? Quel après prépare Emmanuel Macron ?

Luc Rouban : En fait, on assiste à la disparition du macronisme de 2017 ni de droite ni de gauche. Le macronisme de 2022 s’inscrit dans la reconfiguration des droites et s’affiche clairement au travers du projet de réforme des retraites comme un mouvement de droite ayant perdu ses attaches avec la gauche. Je dirais que la dynamique politique est celle d’une droitisation dans le cadre d’une concurrence désormais directe avec le RN puisque LR est en voie de disparition. Comme l’a montré un récent sondage Elabe pour BFM-TV, si on rejouait l’élection présidentielle de 2022 aujourd’hui, Marine Le Pen arriverait largement en tête du premier tour et gagnerait au second avec 55% des suffrages exprimés. C’est bien entendu une uchronie puisqu’Emmanuel Macron ne se représentera pas en 2027 mais un nouveau paysage politique s’est dévoilé. Contrairement à ce qu’ont affirmé de nombreux commentateurs, la contestation du projet de réforme des retraites n’a nullement profité à la gauche qui s’est sans doute trop radicalisée autour de LFI et reste sur le fond profondément divisée. Donc, ce qu’Emmanuel Macron prépare pour l’après ce sont des projets marqués à droite, notamment en matière d’immigration, à la fois pour rassurer son électorat vieillissant qui commencent sérieusement à douter de lui, comme en témoignent les enquêtes, attirer les électeurs voire les élus de LR et miner le terrain du RN.

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Laurent Berger (CFDT) a fait savoir qu’"il n'est pas question de contester la légitimité du Conseil constitutionnel". Tandis que Sophie Binet a indiqué que "quoi qu’il se passe, la mobilisation continuera". Cette journée pourrait-elle marquer un mouvement de bascule dans le conflit ? Les syndicats sauront-ils trouver la force et le soutien nécessaire pour continuer la mobilisation ?

Luc Rouban : On voit bien que deux logiques s’affrontent puisque la CFDT reste légitimiste alors que la CGT va sans doute pousser l’argument du jusqu’au-boutisme même sans espoir sauf celui d’incarner un syndicalisme de combat. Mais la phrase de Laurent Berger comme celle de Sophie Binet sous-entendent que le Conseil constitutionnel va globalement valider le projet de loi même si certaines dispositions techniques seront censurées. Il faut comprendre que cette décision sera éminemment politique et qu’une censure globale serait désavouer le gouvernement et l’Élysée de plein front, ce qui serait peut-être une tentation pour Laurent Fabius, le président du Conseil. Néanmoins la composition de celui-ci et le fait qu’y siègent deux anciens ministres d’Emmanuel Macron, trois membres nommés par Gérard Larcher, le président du Sénat, sans oublier la présence d’Alain Juppé, font que six des neuf membres ne s’opposeront pas au fond du projet, à savoir le recul de l’âge légal de départ à 64 ans. On peut penser qu’une censure pourrait intervenir sur l’utilisation de l’article 47.1 concernant la procédure législative mais je n’y crois pas trop. En fait, après une décision qui confirmera sans doute le projet de loi, le front syndical va sans doute éclater.

Si le Conseil constitutionnel entérine la réforme, l’épisode des retraites va-t-il se refermer ? Avec quel rapport de force ? Quel capital politique restera-t-il que ce soit à la majorité ou aux oppositions (politiques et syndicales) ?

Luc Rouban : C’est la grande question de savoir comment Emmanuel Macron va encore pouvoir tenir quatre ans dans un climat politique détestable de conflit permanent et d’opposition de la grande majorité des syndicats comme des citoyens. L’épisode des retraites va se refermer mais il va laisser des cicatrices profondes et les comptes vont se régler non plus sur le front syndical mais directement sur le terrain politique. C’est d’ailleurs la stratégie du RN. Marine Le Pen a promis d’annuler cette loi si elle est élue. Elle a un boulevard devant elle car il lui sera facile de montrer que la gauche comme les syndicats auront échoué à obtenir gain de cause, laissant les salariés à leur labeur quotidien et à leur colère. Donc, c’est une position de force pour le RN qui pourra mobiliser ses soutiens électoraux populaires mais également les classes moyennes voire une partie des catégories supérieures. Ces divers groupes pourraient très bien converger électoralement vers la candidature de Marine Le Pen bien que pour des raisons différentes : immigration et réforme des retraites, craintes des violences d’une ultra-gauche qui s’en prend systématiquement aux forces de l’ordre, style présidentiel trop vertical, détestation généralisée de la personne d’Emmanuel Macron, un facteur à ne pas négliger car ce rejet du style et de la parole présidentiels n’ont jamais atteint un tel niveau. Cela étant, il reste à Emmanuel Macron des ressources importantes comme celle d’incarner une nouvelle droite conquérante mais libérale et ouverte à l’Europe, de maîtriser les dossiers internationaux et les dossiers experts comme la question de la transition écologique. Or c’est bien sur ces terrains que Marine Le Pen a toujours été mise en difficulté. On n’a jamais été dans une telle incertitude politique.

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