Retraites : décaler l’âge de départ ou augmenter la durée de cotisations, qui en seraient les gagnants et les perdants ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des jeunes participent à une manifestation à Paris le 16 février 2023 dans le cadre d'une cinquième journée de grèves et de rassemblements contre la réforme des retraites.
Des jeunes participent à une manifestation à Paris le 16 février 2023 dans le cadre d'une cinquième journée de grèves et de rassemblements contre la réforme des retraites.
©Emmanuel DUNAND / AFP

Points clés de la réforme

Quelles sont les catégories de la population les plus concernées par l'augmentation de la durée de cotisations et du report de l'âge de départ à 64 ans ?

Eric Weil

Eric Weil

Eric Weil est un ancien conseiller retraites qui tente d’informer sur le sujet.

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Décaler l’âge de départ ou augmenter la durée de cotisations ? C’est essentiellement autour de cette alternative que se structure le débat parmi les soutiens de mesures budgétaires.

Faut-il encore avoir une idée claire des perdants/gagnants de chacune de ces mesures…

Commençons par une évidence : toute réforme visant à générer des économies suscitent des perdants. Il revient dès lors aux politiques publiques de faire un choix en ciblant l’effort sur certaines catégories plutôt que d’autres.

On entend souvent que décaler l’âge légal cible les CSP- (qui ont commencé à travailler tôt) quand la hausse de la durée d’assurance requise pour le taux plein cible les CSP+, entrés plus tardivement sur le marché du travail.

Si seulement c’était si simple.

C’est parti pour l’épisode 543 bis de la série « Le système de retraites, c’est pas de la tarte ».

Commençons par rappeler que l’âge de départ à la retraite réel est essentiellement déterminé par l’articulation de trois paramètres :

- l’âge d’ouverture des droits (AOD) ;

- la durée d’assurance requise (DAR) pour le taux plein ;

- l’âge d’annulation de la décote (AAD).

On ne peut isolément analyser l’effet de l’un sans comprendre les interactions avec les deux autres.

Par exemple, dans un régime où la DAR est très élevé par rapport à l’AOD, cet âge légal n’a plus qu’une valeur théorique/symbolique.

C’est aujourd’hui le cas, même après réforme, pour certaines catégories, au régime de la RATP ou de la SNCF comme je l’expliquais :

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« Demain la SNCF et la RATP se joignent au mouvement intersyndical contre la réforme des retraites. Pourtant, elle aura des conséquences très modérées pour la plupart de leurs agents ».

Dans une moindre mesure, cela tend à devenir la situation générale à regarder l’augmentation de l’âge réel de départ (hors mesures dérogatoires) du fait de la hausse de la DAR à 43 annuités.

Cet âge moyen est amené, hors réforme, à largement dépasser l’AOD actuel (près de 64 ans pour la génération 80 vs. 62)

A l’inverse, quand la DAR est « facilement » atteignable avant l’AOD, décaler l’âge impacte fortement l’âge réel de départ.

Citons les mères de familles qui grâce aux trimestres pour enfant (8 dans le privé) peuvent souvent atteindre le taux plein bien avant l’AOD.

Enfin notons le cas particulier des plus petites pensions, surtout sensibles à l’âge d’annulation de la décote (AAD) : environ la moitié du D1 liquide sa retraite à 67 ans indépendamment de l’AOD, la DAR étant inatteignable pour des carrières hachées.

Ainsi les perdants d’une mesure par rapport à l’autre ne peuvent pas être déterminés dans l’absolu mais seulement à l’aune de l’articulation AOD/DAR/AAD.

Commençons par l’AOD : qui sont les perdants d’un décalage de ce paramètre ? (hors mesure de compensation sur carrières longues, inaptitude/invalidité ou pénibilité).

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Pour mesurer l’impact d’une mesure, il faut prendre en compte l’effet sur l’âge de départ et sur le niveau de pension pour mesurer la perte en pension cumulée pendant la retraite.

Sauf erreur, on ne dispose pas de données précises isolant le seul effet décalage de l’AOD pour la réforme de 2010 ou pour celle actuellement en débat.

Mais on peut les estimer à partir des âges et des motifs de départ selon le niveau de pension ainsi qu’à partir des données de l’étude d’impact de la réforme actuelle.

Un décalage de l’AOD produit en synthèse les effets suivants :

- les plus petites pensions (D1-D3) augmentent peu leur âge de départ et haussent peu leur niveau de pension car ce sont souvent des carrières hachées qui partent à l’AAD et continueront à le faire.

- les pensions intermédiaires (D4-D7), qui commencent à travailler relativement tôt et ont des carrières peu hachées, se voient contraints de décaler leur âge de départ relativement plus que les autres catégories, car ils atteignent plus tôt que les autres le taux plein.

En contrepartie leur niveau de pension augmente mais pas toujours en proportion des années travaillées en plus (car ils ne peuvent pas surcoter avant l’âge légal). C’est particulièrement le cas pour les mères qui grâce aux T pour enfants atteignent souvent le taux plein bien avant 64 ans.

Enfin les pensions élevées (D8-D10) sont relativement moins affectées par ce type de réforme car leur entrée sur le marché étant plus tardive, ils ont souvent du mal à atteindre le taux plein avant l’AOD (même décalé) : âge de départ et pension sont donc moins impactés (sauf pour les mères).

Poursuivons avec la DAR : quels seraient les profils de perdants d’une hausse de ce paramètre ?

Le précédent de la réforme Touraine fournit des éléments de réponse assez précis qu’a bien décortiqués @fipaddict avec ces 2 graphiques

Disons en synthèse que la hausse la DAR touche uniformément à peu près toutes les catégories mais de façon différenciée :

- les plus bas salaires (carrières hachées) augmentent peu leur âge de départ (souvent l’AAD avant comme après) mais voient leur pension diminuer car même à 67 ans ils n’ont pas le nombre de T suffisant : leur pension est donc proratisée plus encore qu’avant ;

- Les classes moyennes augmentent leur âge. Pour autant, certains (pas forcément les mêmes) n’arrivent pas à atteindre la nouvelle DAR ou ne souhaitent pas travailler suffisamment pour l’atteindre : leur pension en moyenne diminue.

- les classes supérieures augmentent largement leur âge car, à la différence des classes moyennes, peu atteignaient le taux plein avant l’AOD (sauf les mères) donc pour atteindre le taux plein ils doivent travailler bien plus.Mais leur pension baisse très peu car ils ont moins de problèmes à travailler plus.

En synthèse :

- Décaler l’AOD revient à toucher relativement plus les classes moyennes. Globalement, l’âge augmente ainsi que le niveau de pension ;

- la hausse de la DAR revient à toucher tout le monde de manière assez uniforme y compris les plus modestes. Et globalement, cela fait augmenter à la fois l’âge (différemment selon CSP) tout en diminuant le niveau de pension (différemment selon CSP).

Faites vos jeux.

Pour retrouver le Thread d'Eric Weil : cliquez ICI

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