Retraites : ceux qui ont (un peu) gagné, ceux qui ont (beaucoup) perdu<!-- --> | Atlantico.fr
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La journée de mobilisation du 6 juin, une des plus faibles depuis le début du mouvement, 900 000 manifestants en France selon la CGT, 281 000 selon le ministère de l’Intérieur.
La journée de mobilisation du 6 juin, une des plus faibles depuis le début du mouvement, 900 000 manifestants en France selon la CGT, 281 000 selon le ministère de l’Intérieur.
©Christophe ARCHAMBAULT / AFP

Décrue du mouvement social

La journée de mobilisation du 6 juin, une des plus faibles depuis le début du mouvement, 900 000 manifestants en France selon la CGT, 281 000 selon le ministère de l’Intérieur.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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William Thay

William Thay

William Thay est président du Millénaire, think tank gaulliste spécialisé en politiques publiques. 

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Atlantico : La journée de mobilisation du 6 juin, une des plus faibles depuis le début du mouvement, 900 000 manifestants en France selon la CGT, 281 000 selon le ministère de l’Intérieur. Quel bilan tirer de ce qui pourrait être la dernière journée de manifestation (d’après les mots de Laurent Berger) ?

Christophe Bouillaud : Beaucoup de commentateurs y verront une indéniable décrue du mouvement social. Sur le plan purement quantitatif, lié au nombre de manifestants et encore plus de grévistes, ils n’auront pas tort.

Cependant, à ce stade, après tant de manifestations depuis janvier, avec une opinion publique, telle que mesurée par les sondages d’opinion, toujours aussi opposée à cette réforme des retraites, avec une réforme bien peu légitime auprès de la majorité des experts qui se sont exprimés dans les médias à son sujet, ce n’est pas vraiment très important que cette mobilisation du 6 juin soit réussie ou non. En effet, depuis le mois de janvier, E. Macron et son gouvernement ont fait preuve d’une si magnifique surdité à une protestation pacifique représentant clairement, sondages à l’appui, une forte majorité des actifs de ce pays, qu’il aurait vraiment fallu un événement  complètement inédit pour bouger les choses. Et, d’ailleurs, y aurait-il eu 5 millions de personnes dans la rue, cela n’aurait rien changé, sauf à imaginer que, parmi ces 5 millions, il y en ait eu assez de prêt à donner leur vie pour submerger par leur masse les forces de l’ordre et prendre d’assaut l’ensemble des sites officiels parisiens.

En effet, au stade de non-écoute de la part d’Emmanuel Macron des réclamations populaires encadrées par tous les syndicats, exprimées dans l’immense majorité des cas de manière pacifique, il n’y avait pour les syndicats qu’une seule option : la grève générale à caractère révolutionnaire. Or, par sa nature même, l’intersyndicale, rassemblant tous les syndicats, y compris les plus réformistes, ne pouvait bien sûr pas avoir pour objectif la chute du régime de la Vème République. Et même si, par extraordinaire, elle avait opté pour cette option, cette perspective, typique du syndicalisme CGT d’avant 1914, n’aurait trouvé aucun soutien dans le réel : les syndicats, y compris la CGT, ne contrôlent guère des points vitaux du pays, et surtout la plupart des salariés de ce pays n’ont pas ce genre d’idées dans la tête. La violence de masse révolutionnaire est une chose du passé. Les « cortèges de tête », qui donnent de si belles et si trompeuses images de violence, pour orienter les reportages télévisés vers la délégitimation si réflexe de leur part du mouvement social, n’en sont qu’un pâle reflet, plus symbolique qu’effectif. Et notons aussi que les « bastions ouvriers » susceptibles de mener la bataille sont bien trop isolés et affaiblis pour pouvoir créer à eux seuls un rapport de force avec le pouvoir en place.

Au total, les syndicats n’ont certes pas fait fléchir Emmanuel Macron, mais ils ont prouvé par a+b que ce dernier était sourd et aveugle aux demandes de la majorité de la population active de ce pays. C’est donc clairement le choix du Président de la République de gouverner sur ce point contre l’avis de la population concernée. Il en verra ensuite les conséquences. Il lui faudra vivre avec la rancœur tenace à son égard qu’il aura ainsi provoqué. 

William Thay : On observe un essoufflement de la mobilisation contre la réforme des retraites. Cet essoufflement apparait aussi bien sur cette dernière journée de mobilisation puisqu’il s’agit de la journée qui a réuni le moins de personnes que l’on prenne les chiffres du ministère de l’Intérieur ou de la CGT depuis le début des manifestations en janvier. Cela se remarque également sur les sondages d’opinion portant sur le soutien des Français à la mobilisation (58% des Français soutiennent la mobilisation selon Elabe soit -5 points depuis le 17 avril 2023), le souhait de poursuite de la mobilisation (55% selon Harris Interactive soit -5 points depuis le 14 avril 2023). Dans la même idée, les sondages mesurant le taux de popularité ou de soutien à l’action du duo exécutif montre un regain en faveur du président de la République et de la Première ministre. 

On remarque ainsi une baisse des différentes mobilisations depuis l’adoption de la réforme des retraites au Parlement, qui démontre un certain fatalisme des manifestants à pouvoir s’opposer davantage au projet gouvernemental. Ainsi, 82% des Français selon Harris Interactive, estiment que la réforme des retraites rentrera en vigueur. De même, 76% des opposants à la réforme sont du même avis. Or, la mobilisation dure depuis le mois de janvier, dans un contexte économique et social difficile marqué par une forte inflation. Est-ce que les grévistes peuvent se permettre de continuer à faire grève en se privant de pouvoirs d’achats alors que de moins en moins de Français et d’opposants pensent que le Gouvernement peut retirer son projet ? 

En conséquence, le Gouvernement ne paie pas ses tentatives d’éviter un débat parlementaire autour de la proposition d’abrogation de la réforme des retraites par le groupe LIOT. À la différence des journées qui ont suivi l’adoption de la réforme par le biais du 49.3, ce qui aurait pu être assimilé comme un déni de démocratie par les opposants à la réforme, n’a pas provoqué une hausse de la mobilisation ni une radicalisation du mouvement. Cela pourrait signifier une lassitude des Français et des manifestants, permettant au Gouvernement d’emporter une victoire à la Pyrrhus. De l’autre côté, les syndicats sont face à un dilemme : maintenir une mobilisation contre la réforme des retraites comme le souhaite leur base radicalisée ou alors changer de méthode pour conserver l’unité de l’intersyndicale et ne pas créer une fracture entre les syndicats ?

Les différents syndicats et les partis s'opposant à la réforme des retraites ressortent-ils individuellement gagnants ou perdants de cette séquence? Qu'ont-ils gagné et perdu ? A l’heure de rendre les copies, qu’en est-il pour : les syndicats (notamment CGT CFDT), la NUPES, et en son sein : LFI, le PS, EELV et le PC, et le RN ?

Christophe Bouillaud : Pour l’instant, les syndicats ont été plutôt gagnants sur le plan de leur image dans l’opinion publique. Le caractère finalement très localisé des grèves a empêché pour une fois la rhétorique médiatique de la « prise en otage » des usagers de fonctionner à plein à leur encontre. Tous leurs leaders ont été excellents. Ils ont su parler clair.

Surtout, ils ont réinventé une formule unitaire qui leur manquait depuis des décennies. Il faut aussi noter que, dans beaucoup de secteurs, en particulier dans la fonction publique, le modèle de l’intersyndicale semble s’imposer en dehors même de la question des retraites. En fait, il n’y a plus grand monde pour signer des accords avec le gouvernement. Il n’y a que de regarder l’accueil fait par tous les syndicats au « Pacte » proposé par l’actuel Ministre de l’Education.

Pour ce qui est des partis d’opposition, regroupés dans la NUPES, il me semble que l’on a vu un retour en force du PS, grâce essentiellement à Jérôme Guej, et à son grand professionnalisme politique. C’est tout de même lui qui a complètement ridiculisé Olivier Dussopt sur la fable de la retraite minimum à 1200 euros qui concernerait une masse significative de gens. LFI à l’inverse a trop donné l’impression de vouloir s’arroger seul le droit de s’opposer, aussi bien au Parlement que dans la rue. Les syndicats n’ont pas apprécié cette tentative de mise sous tutelle, et de politisation inutile de leur mouvement.

Quant au RN, force est de constater qu’il n’a presque rien fait. Il s’est contenté de proposer en boucle une sortie électorale de la crise des retraites, en annonçant sa propre victoire aux prochaines élections.  Les sondages le donnent pourtant gagnant de cette période. Il est probable que son message qui appelle à une revanche par les urnes ait exercé une forte séduction sur les salariés, opposés à cette réforme des retraites, mais totalement rétifs au syndicalisme par idéologie ou très éloignés de  la sphère de l’action syndicale. Typiquement, l’ouvrier non syndiqué d’une PME du nord-est de la France n’a sans doute pas manifesté cette année à l’appel des syndicats, mais il a basculé encore plus d’un vote de droite ou du centre-droit vers un vote pour le RN.

William Thay : Les syndicats sont les gagnants de cette séquence politique. Ils ont redoré une image ternie, ce qui a démontré dans toutes les enquêtes d’opinion aussi bien dans leur capacité à s’unir malgré des divergences. En effet, les syndicats étaient solidaires et concurrents, dans la mesure où chacun pouvait jouer sa partition mais si l’un le faisait trop alors c’était l’image de tous les syndicats qui allaient en pâtir. À ce titre, deux syndicats ont particulièrement renforcé leur image, la CGT renforce sa position de syndicat contestataire et la CFDT celle de syndicat réformiste. Cependant, nous pouvons poser une limite puisque si les syndicats ont pu démontrer leur utilité comme opposant à un projet gouvernemental, ils n’apparaissent pas pour autant des acteurs crédibles du dialogue social. 

Sur le plan politique, la NUPES apparait comme perdante et le RN gagnant. Le Rassemblement national s’est renforcé politiquement à l’issue de cette séquence. Marine Le Pen a amélioré son image et ses intentions de votes dans l’ensemble des enquêtes d’opinion. Cela s’explique par le double échec de la NUPES et du Gouvernement. La première n’a pas été en capacité de répondre à l’angoisse économique et sociale de la fin du mois de la part des catégories populaires et intermédiaires touchées par l’inflation. Ainsi, par le spectacle affligeant démontré à l’Assemblée nationale, la NUPES s’est montrée incapable de porter les revendications économiques et sociales notamment sur les inquiétudes sous-jacentes portées par le relèvement de l’âge de départ à la retraite (quid du maintien dans l’emploi et de la formation professionnelle, du chômage des seniors, des petites retraites, etc.). De son côté, le Gouvernement a été incapable de conserver sa fonction de parti de l’ordre, acquis au moment du mouvement des Gilets jaunes. Ainsi, la majorité présidentielle n’a pas su maitriser les débats à l’Assemblée nationale et le Gouvernement n’a pas répondu à la demande d’ordre engendrée par les journées de mobilisation et ses (rares) excès. Ainsi, le Rassemblement national et notamment Marine le Pen, capitalisent sur la double demande sociale et d’ordre.

De son côté, comment s’en sort la macronie ? Renaissance et les différentes composantes d’Ensemble (Modem, Agir, Horizon) sortent-ils affaiblis ou renforcés ?  Dans quelle mesure ?

Christophe Bouillaud : Apparemment, le camp présidentiel a certes gagné la bataille, sauf retournement de dernière minute lors du vote de la proposition de loi LIOT le 8 juin. La réforme des retraites est devenue une loi. Cela peut satisfaire leur base électorale- retraités, cadres supérieurs du privé et du public -, mais cela  coupe sans doute pour longtemps tous ces partis de la masse des actifs de ce pays. Tous les partis de la majorité sont en effet concernés. Aucun d’entre eux n’a su se différentier suffisamment de la réforme des retraites portée par Emmanuel Macron pour ne pas avoir à l’assumer devant les électeurs ensuite. Aucun n’a d’ailleurs su mieux la défendre que les proches d’Emmanuel Macron.

Par ailleurs, on ne peut pas dire que ces partis de la majorité présidentielle aient donné l’impression de comprendre encore l’esprit qui devrait présider à une démocratie vraiment avancée. Ils ont suivi le légalisme étroit impulsé d’en haut par Emmanuel Macron, lui-même en total rupture avec l’esprit « plébiscitaire » de la Ve République tel que voulu par le Général De Gaulle. Dans un tel esprit, un référendum ou des élections législatives anticipées auraient dû être organisées pour trancher la question. Il n’a été que trop facile de constater que Macron a décidé de passer outre l’opinion majoritaire de la population.

William Thay : La majorité présidentielle remporte une victoire à la Pyrrhus aussi bien sur le plan politique que sur celui de la gouvernance. Sur les politiques publiques, la réforme des retraites a permis d’économiser plusieurs milliards d’euros pour tenter de maintenir à flot notre régime de répartition. Seulement, à la différence de la réforme systémique proposée par Emmanuel Macron en 2020, cette réforme ne corrige pas les inégalités de fait induites par ce système de répartition, ne permets pas d’en assurer sa pérennité financière à très long terme en y ajoutant pas des spécificités comme une dose de capitalisation ou la création d’un fonds souverain. De plus, la notation de la dette française a été dégradée par l’agence Fitch qui relève une instabilité politique et sociale. Ainsi, l’argent, économisé par la réforme des retraites, pourrait servir à payer la hausse des taux d’intérêt à venir. Le Gouvernement voulait réformer les retraites pour conserver leur image réformatrice capable d’être crédible vis-à-vis des marchés financiers, et si la réforme des retraites y a répondu partiellement, le cout est très important.

Sur le plan politique, il est encore un peu tôt pour donner un verdict définitif sur la macronie dans son ensemble. On observe que le duo exécutif a perdu du soutien dans l’opinion comme le révèle l’ensemble des instituts de sondages avec un Emmanuel Macron proche de son niveau d’impopularité du temps des Gilets jaunes. De même, les intentions de vote en faveur de la majorité présidentielle sont en chute que ce soit dans les enquêtes portant sur la prochaine élection présidentielle ou sur des élections législatives anticipées en cas de dissolution. Sur cette hypothèse, la coalition Renaissance, Horizons et Modem obtiendrait moins de sièges qu’ils n’en n’ont actuellement, ce qui rendrait la situation intenable politiquement. Dans l’hypothèse de la prochaine élection présidentielle, l’ensemble des personnalités testées (Bruno Le Maire, Gérald Darmanin, Gabriel Attal ou François Bayrou) n’obtiendrait que des résultats faibles, ne les permettant pas d’accéder au second tour. En revanche, Edouard Philippe dont les tensions avec Emmanuel Macron sont connues, serait le seul en capacité de l’emporter face à Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. C’est-à-dire que c’est la personnalité de la coalition la plus éloignée à l’actuel Chef de l’État qui aurait le meilleur score, ce qui révèle l’état dans lequel se retrouve Ensemble, seulement un an après la réélection d’Emmanuel Macron.

Quid de LR dans cette séquence et pour la suite ?

Christophe Bouillaud : Ce sont les grands perdants de toute cette affaire, tout au moins si l’on suppose, peut-être naïvement, que les LR ne veulent pas se rallier en bloc à Emmanuel Macron. En effet, la direction des LR a choisi de sauver la mise au gouvernement Borne lors du vote de confiance lié au 49.3, et encore récemment lors du vote de la Commission des affaires sociales sur la proposition de loi du groupe LIOT. Pour l’instant, je ne vois pas leur intérêt électoral à ce soutien à une réforme qui les coupe encore plus des actifs de ce pays. Déjà en 2022, à la présidentielle, l’électorat de Valérie Pécresse était essentiellement constitué de retraités aux valeurs (catholiques) conservatrices. Les LR se rendent-ils comptent que E. Macron est meilleur qu’eux sur ce segment retraité de l’électorat ? Il leur faudrait repartir à la conquête des actifs, et non pas se plier à leur propre aile sénatoriale qui ne semble elle-même refléter que la vision de maires depuis bien trop longtemps éloignés de la vie ordinaire des salariés de ce pays.  A part Aurélien Pradié et de quelques autres figures moins connues, les LR semblent avoir mis une croix sur leur opposition à Emmanuel Macron. Laurent Wauquiez aurait pourtant eu un boulevard pour fustiger l’incompétence de la « macronie », il a choisi un pieux silence. C’est une manière bien illogique de se poser en opposant.

William Thay : Pour les Républicains, on pouvait penser que la séquence serait négative avec leur soutien à la réforme des retraites ainsi que la division de leur rang. Pourtant, ils ne semblent pas sanctionnés dans les enquêtes d’opinion que ce soit dans l’hypothèse d’élections législatives anticipées en cas de dissolution ou lors des prochaines élections européennes. Ainsi, cela démontre que leur position a été comprise à minima par leur base électorale. En revanche, l’absence de clarté de position que ce soit d’un côté ou de l’autre, les empêche d’obtenir des gains électoraux puisqu’il ne réussisse pour l’instant qu’à se stabiliser. Un soutien unanime sur la réforme des retraites aurait pu permettre de séduire de nouveau l’électorat de droite qui s’est portée sur un Emmanuel Macron, réformateur mais incapable de maintenir l’ordre dans les rues. Une opposition unanime, les aurait ancrées dans une rivalité avec Marine Le Pen pour les électorats populaires et les catégories intermédiaires (employés, etc.).

Ce que l’on peut remarquer pour l’instant, c’est que l’opposition au président de la République bénéficie davantage à Marine Le Pen. Tandis que le soutien au Gouvernement sur la réforme des retraites n’a pas permis aux Républicains d’améliorer leur score. Pour autant, cette seconde hypothèse ne doit pas être exclue à plus long terme. En effet, les sondages portant sur la prochaine élection présidentielle, démontrent qu’excepté Edouard Philippe, aucun prétendant à la succession d’Emmanuel Macron dans la majorité présidentielle n’arrive à séduire le socle électoral du chef de l’État. Ainsi, au fur et à mesure que l’on avancera vers la fin du quinquennat, cet électorat sera orphelin et cherchera un nouveau champion pour porter ses idées. Or, les difficultés croissantes du Gouvernement qui ne dispose que d’une majorité relative, peuvent convaincre ces électeurs de tenter une nouvelle formule pour le prochain quinquennat.

Alors que devrait bientôt s’engager une nouvelle “séquence” médiatique et politique, quels sont les rapports de force ? 

Christophe Bouillaud : Il me semble que la séquence imposée par le récit promu par le pouvoir a déjà commencé. Il s’agit pour lui de répondre au malaise de l’électorat des classes populaires et moyennes en mettant la focale sur les problèmes liés à l’immigration. Comme le RN est monté dans les sondages, le pouvoir s’est en effet lancé dans une opération de séduction de l’électorat sur les thématiques classiques du RN, la « décivilisation » pour parler comme Emmanuel Macron. Il n’est, semble-t-il, pas venu à l’esprit de nos géniaux dirigeants, que certains électeurs ont basculé vers le RN, à cause de la promesse de Marine Le Pen de revenir sur la réforme de retraites promue par E. Macron. En leur montrant qu’en plus le RN a bien raison aussi sur l’immigration, cela ne risque pas de les faire revenir vers un autre vote. Pour reprendre une formule un peu datée, « les fâchés pas fachos » auxquels on explique à longueur de journée que les fachos au final ont bien raison de l’être risquent fort de finir fachos.

Par son action brouillonne, Emmanuel Macron met donc « à l’insu de son plein gré » le RN en position de force.

William Thay : La tripartition de la vie politique semble conforter par la mobilisation contre la réforme des retraites. La NUPES a maintenu son unité qui doit résister à l’épreuve des élections européennes. Elle ne réussit pas à améliorer ses intentions de vote par rapport à la dernière échéance, mais reste une force importante qui peut légitimement terminer en tête d’un premier. Au sein de cette coalition, la France insoumise maintient sa domination et le Parti Communiste de Fabien Roussel semble tirer son épingle du jeu en se distinguant de Mélenchon. En fonction des prochains événements, pourrait se poser l’éventualité de l’émergence d’une force de gauche anti-NUPES comme nous avons pu voir des brides lors des élections législatives avec des dissidents de gauche contre les candidats NUPES.

Au sein du bloc central, la majorité présidentielle semble en chute libre, et on ne peut pas savoir s’ils ont la capacité de rebondir en initiant une nouvelle « séquence ». Trois hypothèses sont possibles : une baisse longue et lente du taux d’adhésion qui conduira la macronie à subir le même sort que les socialistes avec François Hollande lors du quinquennat 2012-2017 ; un maintien au niveau actuel compris entre 25 et 33% d’opinions favorables ; un rebond comme l’a déjà effectué Emmanuel Macron soit en reprenant la main soit à la faveur d’un événement extérieur comme d’une crise. Les Républicains sont pour l’instant installés dans ce bloc central, et espèrent que Emmanuel Macron termine dans l’une des deux premières hypothèses. La clarification idéologique et politique pourrait toutefois venir au moment des prochaines élections européennes et plus certainement lors de la désignation de leur champion en vue de la prochaine élection présidentielle.

Enfin, le dernier bloc est dominé par le Rassemblement national qui ne voit que la faible concurrence du parti d’Eric Zemmour, Reconquête. Le parti de Marine Le Pen a ancré son positionnement et fait désormais figure de parti attrape tout qui capte les différentes colères. En revanche, il existe deux limites : leur capacité à briser le plafond de verre lors d’une élection à deux tours ; le doute sur leur compétence gouvernementale. Du côté de Reconquête, leur absence du jeu parlementaire, les oblige à jouer leur va-tout lors des élections européennes pour profiter de cette tribune pour tenter de faire flancher le Rassemblement national. En cas d’échec, il est probable que cela signe la fin du parti d’Eric Zemmour. 

En conclusion, la prochaine séquence doit normalement déboucher sur une prise d’initiative de la part d’Emmanuel Macron pour enrayer la baisse et éventuellement tenter de reprendre la main. Dans cette séquence, les Républicains conservent leur rôle essentiel de pivot capable de faire et défaire les majorités parlementaires. Ils vont ainsi conforter cette position institutionnelle avec une victoire lors des prochaines élections sénatoriales. Pour autant, chaque parti va essayer d’instaurer une dynamique afin d’être dans la meilleure position en vue de la prochaine grande échéance électorale : les élections européennes 2024 qui ne doivent pas être analysés comme une prédiction de l’élection présidentielle mais comme le véritable état du rapport de force électoral actuel.

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