Retraites : bras de fer saison 2 (mais Emmanuel Macron pourrait-il gagner la bataille de l’opinion cette fois-ci ?) <!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron s'exprime sous le regard d'Elisabeth Borne lors de leur rencontre avec les organisations patronales à l'Elysée, le 18 avril 2023.
Emmanuel Macron s'exprime sous le regard d'Elisabeth Borne lors de leur rencontre avec les organisations patronales à l'Elysée, le 18 avril 2023.
©STEPHANIE LECOCQ / POOL / AFP

Stratégie de l'opposition

Les députés du groupe Liot ont déposé un texte visant à abroger la réforme des retraites. A force de remettre la bataille sur le tapis sans vrai accord politique de toutes les oppositions pour faire tomber le gouvernement et/ou provoquer une dissolution, les opposants à la reforme ne vont-ils pas finir par faire la preuve de leurs faiblesses là où ils avaient fait la preuve de leur force pendant la saison 1…?

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

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Atlantico : Le groupe Liot à l’Assemblée nationale a annoncé vouloir déposer une proposition de loi pour abroger la réforme des retraites. A force de remettre la bataille sur le tapis sans vrai accord politique de toutes les oppositions pour faire tomber le gouvernement, les opposants à la réforme ne vont-ils pas finir par faire la preuve de leurs faiblesses et renforcer Emmanuel Macron ?

Arnaud Benedetti : C’est une vision conjoncturelle que de penser cela. Il s'agit d'une crise structurelle profonde, sociale, politique et démocratique, comme l’ont très justement dit Laurent Berger ou Pierre Rosanvallon. Ce qui est en train de se passer, c’est que le fossé ne cesse de s'accroître entre le peuple et le pouvoir qui ne comprend pas qu’il est avant tout le mandataire de la souveraineté populaire. Lorsque la grande majorité des corps intermédiaires sont opposés à la réforme, que les syndicats restent unis et que la réforme a été menée sans tenir compte des prérequis de la république sociale (qui est un élément constitutionnel), il n’est pas étonnant que la situation fasse que vous soyez politiquement et socialement esseulés. Ce n’est pas une campagne de communication qui va pouvoir dissoudre la difficulté. La crise est bien plus profonde. La bataille de l’opinion publique est d’autant plus perdue qu’Emmanuel Macron essaie de refaire ce qui l'a fait au moment de la crise des gilets jaunes. Sauf que la crise actuelle est différente en raison de trois éléments fondamentaux. Premièrement, il est au pouvoir depuis six ans, et non pas une année comme en 2018. Donc ses traits psychopolitiques sont durablement installés dans l’opinion. Ensuite à l'époque,  Emmanuel Macron avait alors reculé sur les revendications des gilets jaunes en abandonnant la taxe carbone et en ouvrant les vannes budgétaires. Enfin, Emmanuel Macron n’a plus de majorité absolue à l’Assemblée nationale. Aujourd'hui, le macronisme cristallise un mouvement qui s'est ossifié depuis de nombreuses années : la défiance de petites élites dirigeantes à l'encontre du peuple. Cette inversion du principe démocratique qui veut que ce soit aux dirigeants d'être en mesure de chercher la confiance dans le peuple est tout simplement mortifère. 

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Malgré tout, les oppositions semblent incapables de proposer un contre-projet. Ne vont-elles pas se retrouver à court d’options ?

Il y a déjà  eu par le passé dans l'histoire politique des oppositions divisées entre elles, mais dont l’une finit par s’imposer. Le jeu politique a toujours fonctionné comme cela. Le plus notable, c’est qu’il y a un bloc de 28-30%, minoritaire, qui gouverne. Or ce n’est pas tenable de gouverner avec 70 % du corps politique qui vous est défavorable, surtout sans majorité à l’Assemblée nationale. Nous sommes dans un mandat politique où le président de la République interprète les résultats des législatives conformément à sa vision idéologique, mais pas au mandat que les Français ont donné aux députés. Mais, effectivement, nous sommes dans une situation de blocage. Les oppositions sont désunies voire inconciliables, mais il ne faut pas exclure que l’une d’entre elles réussisse à l’emporter électoralement et politiquement.  Il ne faut éviter de  penser de manière trop convenue une situation qui est sortie du cadre. Le risque est grand que la législature ne puisse aller jusqu'à son terme . Les déplacements du président sont compliqués, ses ministres sont également très contraints sur le terrain. L’opinion publique reste opposée à la réforme et favorable à ce que les syndicats poursuivent le mouvement. Il n’y a certes pas d’opposition alternative, mais sans le consentement de la majorité de la population et sans l’utilisation des outils institutionnels qui pourraient absorber la situation (le référendum ou un exercice parlementaire moins contraint par l'hyper rationalisation) le président pourrait éventuellement desserrer l'étau de la crise. Or, Emmanuel Macron ne veut pas de démocratie directe, il a bridé la démocratie parlementaire très fortement lors de la réforme des retraites. Tous les outils du parlementarisme rationalisé ont été utilisés de manière cumulative. Quant à la démocratie sociale, il suffit d'écouter les leaders syndicaux pour comprendre que le pouvoir en a fait un usage pour le moins très relatif. 

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Vous estimez que la législature n’ira sans doute pas jusqu’à son terme. Mais hormis par une dissolution peut-on vraiment imaginer les oppositions réussir à renverser le gouvernement ?

C’est une possibilité qu’il ne faut pas totalement exclure. La motion de censure a échoué à 9 voix près, après moins d’un an de législature. On ne peut pas considérer que le vote d’une motion de censure soit impossible. D’autant que, certes si les oppositions sont divisées, la majorité, elle aussi, est fissurée. L’un des blocs qui a permis l’agrégation du macronisme, c’est celui de la deuxième gauche, dont Pierre Rosanvallon est un théoricien et que Laurent Berger incarne. Donc même la majorité d’Emmanuel Macron dans son noyau d'origine est instable. Quatre parlementaires ont suivi Barbara Pompili et quitté le groupe Renaissance. Ce sont des signaux faibles inquiétants pour Emmanuel Macron.

Comment expliquer que dans ce contexte, les récentes actions politiques du gouvernement semblent plus tenir du happening politique que de la vision globale ?

C’est une manifestation de la crise. Nous sommes dans une situation anomique. Le matin, Bruno Le Maire dit qu’il faut désendetter l’Etat, l’après-midi, le président distribue les chèques aux professeurs. Ce n’est plus du en-même-temps, c’est tout et son contraire. Encore une fois considérer que la communication est suffisante pour se sortir de la situation constitue une erreur d'appréciation typique du déni et de l'incompréhension de ce que nous vivons. Le bateau a quelque chose de  ivre qui n’arrive plus à maintenir le gouvernail. Mais la dérive peut être encore longue. La situation peut lentement se dégrader mais aussi rapidement. La dynamique d'une crise est par nature imprévisible. Dans un cas comme celui-ci, De Gaulle serait allé au référendum, mais Emmanuel Macron n’en veut pas car il veut se sauver d'abord politiquement, quitte à surinfecter la crise démocratique. Il use  des ressources de basse intensité pour contourner la crise. D’abord la communication, puis peut être un remaniement et éventuellement un changement de Premier ministre. Mais aucune des armes qu’il est prêt à utiliser n’est suffisante pour régler le problème.

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