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Retour sur un bouleversement, un an après l'élection de Donald Trump
©JIM WATSON / AFP

Disraeli Scanner

Lettre de Londres mise en forme par Edouard Husson. Nous recevons régulièrement des textes rédigés par un certain Benjamin Disraeli, homonyme du grand homme politique britannique du XIXè siècle.

Disraeli Scanner

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Benjamin Disraeli (1804-1881), fondateur du parti conservateur britannique moderne, a été Premier Ministre de Sa Majesté en 1868 puis entre 1874 et 1880.  Aussi avons-nous été quelque peu surpris de recevoir, depuis quelques semaines, des "lettres de Londres" signées par un homonyme du grand homme d'Etat.  L'intérêt des informations et des analyses a néanmoins convaincus  l'historien Edouard Husson de publier les textes reçus au moment où se dessine, en France et dans le monde, un nouveau clivage politique, entre "conservateurs" et "libéraux". Peut être suivi aussi sur @Disraeli1874

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Londres, 

Le 29.10.2017

Mon cher ami, 

Vous rappelez-vous nos conversations d’il y a un an. A une semaine environ de l’élection présidentielle américaine, nous étions, vous comme moi, convaincus que l’élection de Donald Trump était possible. Vous étiez non moins certain que bien des électeurs de Trump seraient déçus de ne pas le voir prendre réellement ses distances avec le Pentagone. Je me rappelle vos propres mots: « Si Trump est élu, il devra bien trouver un terrain d’entente avec le complexe militaro-industriel. Ce dernier pèse trop dans l’économie américaine pour qu’un président désireux de relancer la croissance du pays puisse prendre le risque de défier le parti militariste en même temps qu’il voudra imposer son tournant néo-protectionniste ». Selon toute évidence vous aviez raison. 

Je voudrais, si vous me permettez, profitez de notre échange épistolaire hebdomadaire pour mettre au clair ma perception du phénomène Trump. 

1. Nous assistons depuis un an à une opposition systématique, radicale et forcenée à celui qui a été élu puis installé comme président des Etats-Unis. Cette opposition me semble ne pas être d’abord politique mais essentiellement religieuse. Je vous encourage à lire « An Anxious Age » de Joseph Bottum. L’auteur y montre comment le discours public américain a longtemps été orienté par un implicite religieux (protestant) qui stabilisait les discours politiques, même les plus agressifs. Or, nous explique Bottum, cette relgiosité fondamentale s’est affaiblie pour laisser la place à une version sécularisée. Le christianisme de toile de fond a été remplacé par un progressisme qui a gardé de son père religieux  le refus du compromis. La thèse de Bottum a l’avantage de faire comprendre comment la plupart des dirigeants du parti démocrate n’ont toujours pas accepté la défaite de leur championne, voici un an; comment ils se sont d’abord persuadé, contre tout réalisme, que Trump serait « empêché » avant la fin de son mandat. Puis comme ils se sont jetés à corps perdu, avec la complicité d’un John McCain, dans la tentative de construire un dossier à charge, sur des liens étroits entre Trump et la Russie. Un néo-maccarthysme de gauche s’est emparé d’une partie des élites américaines. Il a toutes les chances de se briser sur la réalité des collusions entre la famille Clinton et la Russie, oppotunément ressortie ces derniers jours, comme s’il s’agissait de précipiter l’entrée dans l’ère du compromis avec Trump. 

2. Trump aura, en un an, réussi à créer une véritable « dissuasion du faible au fort » entre les médias et lui. Regardez comme beaucoup de titres et de médias mainstream se sont attaqués à lui sans relâche. Pourtant, Trump est toujours là; parce qu’il a refusé ce que lui demandaient les gens raisonnables: qu’il cesse de tweeter. Mais c’est par ses tweets qu’il maintient le contact avec l’opinion. On pourra me dire tout ce qu’on veut sur la franchise brutale qui préside à beaucoup de messages du plus célèbre twittos actif sur cette planète; je n’en disconviens pas. Mais je remarque que Trump a fait ce qu’on devait déconseiller à tout candidat à la présidence: attaquer de front les médias. Et il s’en est largement sorti à l’heure qu’il est. Cet homme qui maîtrise les nouveaux médias comme les anciens a fait le pari que jamais les GAFA ne prendraient le risque de l’attaquer avant que soient passées les élections de mi-mandat. Et il fait le pari que les faux rebelles de la Silicon Valley vont en fait se rallier à son grand compromis avec le complexe militaro-industriel, dont ils sont déjà devenus de fait un allié. 

3. Trump, confronté à une oppositon systématique, a choisi de faire un compromis avec le parti militariste. Il a proposé au Congrès d’augmenter le budget de la défense. Il a redéfini la liste des « ennemis de l’Amérique », reprenant largement la vision de Bush Jr., au moins en apparence: l’Iran et la Corée du Nord. En fait, on comprend bien que le président américain n’a qu’un objectif, qu’il poursuit avec persévérance, parachever la conquête du parti républicain amorcée lors des primaires et de la présidentielle de 2016. Pour pouvoir imposer son tournant politique (sur l’immigration, sur le commerce, sur l’investissement public), Donald Trump doit actionner quelques-unes des obsessions des actuels représentants et sénateurs républicains: fiscalité, défense, valeurs familiales.  Le président prépare les élections de mid-term de novembre 2018 et il fera tout pour se retrouver à la tête d’une majorité de « nouveaux républicains », beaucoup plus alignés sur son programme. Mais pour cela il faut lui éviter de trébucher sur l’actuelle composition du camp républicain au Congrès. 

Voilà, mon cher ami, des éléments d’analyse qui me font penser que Donald Trump, que cela plaise ou non, est parti pour gagner son pari politique. Ses adversaires, tout à leur slogan du « Never Trump » , n’en finissent pas de répéter l’erreur qu’ils ont déjà commise durant la campagne: sous-estimer Trump; confondre sa vulgarité avec de la bêtise; son sens de la provocation avec de l’impulsivité; ne pas voir que derrière chacune des attaques qu’il porte, il y a le terrain, choisi par lui, d’une négociation possible. 

Je n’aime pas Trump. Je ne le considère pas comme un véritable conservateur: en particulier je déteste son militarisme; et je le vois réduire les budgets de l’éducation et de la recherche, ce qui me semble un énorme contresens. Mais je dois bien reconnaître que, tout populiste qu’il soit, Trump tente de s’emparer du parti républicain, c’(est-à-dire de faire revivre le débat politique, nécessairement structuré entre un parti conservateur et un parti progressiste. 

Je pars cette semaine en Finlande, après bien d’autres, pour mieux comprendre la réussite éducative de ce pays. Je pense vous en reparler à la fin de la semaine.  

Très fidèlement à vous

Votre dévoué Benjamin Disraëli

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