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Retour chez Whirlpool : ce que devrait dire Emmanuel Macron (et comment le dire) pour avoir un espoir d’être écouté par la France des perdants de la mondialisation
©ludovic MARIN / POOL / AFP

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Emmanuel Macron se rendra sur le site de Whirlpool France à Amiens, ce mardi 3 octobre, notamment pour échanger une nouvelle fois avec les salariés,​ et ce, après sa première visite datant de l'entre deux tours de l'élection présidentielle.

Chloé Morin

Chloé Morin

Chloé Morin est ex-conseillère Opinion du Premier ministre de 2012 à 2017, et Experte-associée à la Fondation Jean Jaurès.

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Atlantico : Une intervention qui devrait être "utilisée" par le chef de l'Etat pour s'extraire d'une image de "Président des riches" qui semble s'installer dans l'opinion. Au regard des craintes formulées par la population, comment Emmanuel Macron peut il se sortir de cette ornière ? Quels sont les thèmes à évoquer pour y parvenir ?

Chloé Morin : Pour bien situer le moment dans lequel nous sommes, il faut revenir un instant sur les causes de la chute d’Emmanuel Macron dans les sondages cet été. Deux reproches lui ont été faits: tout d’abord, le sentiment que son audace réformatrice et sa promesse de solutions et de méthodes neuves cédaient peu à peu la place à de la « politique à l’ancienne », gestionnaire... une politique du coup de rabot plutôt que de la transformation porteuse de « vrai changement ». À cela s’est ajoutée une deuxième critique: celle de l’injustice, d’une politique faite pour quelques uns - avec comme mesure cristallisant cette impression, la baisse de 5 euros des APL, vécue par beaucoup comme le signe que « ceux d’en haut » ne mesuraient pas les difficultés quotidiennes des gens d’en bas. La seconde critique a eu raison de Nicolas Sarkozy en 2012. La première est largement responsable de l’incapacité dans laquelle François Hollande s’est trouvé de se représenter en 2017.

Depuis la rentrée, Emmanuel Macron a lancé de très nombreux chantiers, tenu bon sur les ordonnances travail, et remanié sa communication. Cette offensive a porté ses résultats : la première critique citée plus haut a largement disparu dans les dernières enquêtes. L’électorat d’Emmanuel Macron, et une grande partie des électeurs de droite, applaudissent. Ils louent le courage du réformateur, sa détermination à tenir ses promesses, et à tenir face à la rue et à une opposition parfois virulente. 

Il est clair qu’Emmanuel Macron cherche désormais, à travers des signaux comme le déplacement à Amiens, à réactiver dans la mémoire collective le souvenir d’un épisode qui a fortement marqué sa campagne, et est devenu en quelques sortes un symbole  (de son courage, de sa franchise, de sa capacité à entendre la colère et à comprendre les gens...). Ce déplacement intervient à point nommé, car il semblerait qu’autour de l’idée d’injustice sociale, une sorte de « malentendu » soit en train de s’installer entre Emmanuel Macron et une partie de ceux qui avaient soutenu (je pense aux électeurs venus de la gauche) ou du moins consenti (je pense à une partie des catégories populaires, ceux qui n’ont pas voté aux législatives et ne sont pas entrés dès le 7 mai dernier dans une opposition déterminée à sa politique) à son élection. Ce malentendu provient du sentiment que la politique menée serait injuste, favoriserait une partie de la population, et que le Président n’écouterait pas - voire mépriserait - une partie des français. Les adversaires politiques du Président parleront de trahison plutôt que de doute ou de malentendu, mais je ne pense pas qu’en l’état actuel de l’opinion, on puisse dire les choses ainsi: jusqu’ici en tout cas, les personnes que nous interrogeons régulièrement à travers nos enquêtes ne parlent pas de rupture de confiance claire définitive par rapport aux engagements pris pendant la campagne. Mais s’ils avouent bien que la réforme de l’ISF ne les prend pas par surprise, on constate toutefois que le malaise grandit (je ne parle évidemment pas là du cœur électoral de Mélenchon ou de Le Pen, qui eux sont en opposition depuis le début et se montrent de plus en plus virulents vis à vis du Président). Et ce malaise risque de gagner le cœur de l’électorat d’Emmanuel Macron: un sondage Elabe en date du 27 septembre dernier indiquait que 58% des électeurs de premier tour du Président jugeaient sa politique « injuste ». 

L’exécutif a sans doute conscience de tout cela, c’est pourquoi il insiste beaucoup sur les mesures prises pour le pouvoir d’achat des actifs, ou en faveur des plus modestes. Cela explique également les signaux envoyés par François Bayrou depuis quelques jours sur le besoin d’un rééquilibrage social de la politique menée...

La difficulté pour Emmanuel Macron lors de son déplacement, ce sera évidemment de percer le voile de défiance qui s’est installé, alors même que les gens décryptent tout et se méfient de tout ce qui pourrait avoir l’air d’une simple opération de communication. Notons aussi que ce moment se veut une piqure de rappel vis à vis de ses prédécesseurs: de manière subliminale, il rappelle les espoirs de Florange déçus par Hollande, et les renoncements de Nicolas Sarkozy. Depuis son élection, il a toujours pris soin de souligner sa différence avec ses prédécesseurs, avec succès.

​De quelle manière s'expriment ces craintes de la part de la population ? Quels sont les moteurs principaux de la cristallisation de l'image d'un Emmanuel Macron "Président des riches" ? ​

La critique sur « l’injustice sociale » part d’un doute qui a toujours existé dans les perceptions de l’opinion vis à vis d’Emmanuel Macron, et ce, même de manière très marginale, ou quand il était encore ministre : sait-il comprendre « les gens comme moi », saura-t-il mener une politique « pour tous », aurais-je ma place dans la « start-up Nation » même si je suis vieux, peu diplômé, habitant en zone rurale, etc. ? Ce doute là existait, mais Emmanuel Macron avait su (notamment à Amiens entre les deux tours de la Présidentielle) y apporter des réponses, et rassurer.

 Mais la fracture s’est rouverte au cœur de l’été, à la faveur de mesures jugées injustes et défavorables aux classes populaires et moyennes (flottements sur le calendrier fiscal suite au discours de politique générale, alors que la suppression de la taxe d’habitation était une mesure phare, réforme de l’ISF, craintes chez les plus âgés sur la hausse de la CSG, baisse des APL, suppression brutale de contrats aidés...). Toutes ces annonces ont heurté l’électorat de gauche (dont il faut rappeler qu’une bonne part a voté pour lui dès le premier tour), et creusé la fracture avec les catégories populaires. 

S’y sont ajoutées certaines postures et expressions présidentielles qui ont été vécues, par certains électeurs - et l’opposition en a largement fait usage dans sa bataille contre les ordonnances travail - comme des signes de mépris à leur égard: l’emploi du mot « fainéants » par exemple. 

Je note à ce sujet qu’on entend de plus en plus, dans la bouche des commentateurs, des comparaisons avec Nicolas Sarkozy. Mais la comparaison a ses limites. Il faut en effet souligner que Nicolas Sarkozy souffrait de plusieurs critiques, qui se renforçaient mutuellement: sa politique était perçue comme injuste (avec le symbole du bouclier fiscal), était perçue comme inefficace (ce qui n’est pas encore le cas de celle d’Emmanuel Macron, l’immense majorité des français considérant qu’il est trop tôt pour juger), en rupture avec la promesse de campagne de favoriser le pouvoir d’achat de la « France qui se lève tôt »... Par ailleurs, le rapport personnel de Nicolas Sarkozy à l’argent était lui aussi questionné. Or, sur ces deux derniers points, la comparaison ne tient pas: les gens ont plutôt l’impression qu’il tient ses engagements, même s’ils les désapprouvent pour certains, et le rapport du Président à l’argent n’est pas un sujet (en tout cas à l’heure qu’il est).

​De la France insoumise eu Front national, en passant par les partis de gouvernement, comment s'inscrit une telle image au sein des différentes catégories de l'électorat ? Avec quel impact ?

Le sentiment d’injustice touche assez fortement la France « du non », celle qui a majoritairement soutenu soit Jean-Luc Mélenchon soit Marine Le Pen: une France populaire, plus rurale, qui cumule les insécurités sociales, économiques, physiques, et/ou culturelles. Ces deux électorats là sont très radicalisés à son encontre, comme en témoigne le très faible niveau de soutien recueilli par le Président dans les baromètres de popularité. 

Mais ce clivage (qu’on peut appeler France du oui vs. France du non, progressistes contre conservateurs, ouvert vs. Fermé...) recouvre un autre clivage qui a sans doute perdu de sa force mais reste pertinent : le « vieux » clivage gauche/droite. 

Il n’y a qu’à regarder l’évolution des cotes de popularité depuis la rentrée pour le mesurer: la remontée à droite est spectaculaire, mais à gauche cela ne bouge pas, voire se dégrade. Il y a donc bien, dans la politique menée, des éléments qui plaisent fortement à la droite, mais déplaisent à la gauche (par gauche, j’entends la partie de la gauche qui a voté Mélenchon ou Hamon, car il faut noter que les électeurs de gauche qui ont rallié Macron dès le premier tour se déclarent à ce stade contents du Président).

De cet état des lieux nous pouvons, à mon sens, déduire les deux défis majeurs que le Président aura à relever pour les semaines et les mois à venir: montrer à la France populaire qui se sent de plus en plus oubliée ou méprisée qu’il gouverne aussi « pour elle », et éviter, à travers les mesures mises en œuvre et l’orientation que prendront les débats, de réactiver un clivage gauche/droite qui n’est pas mort (en tout cas pas sur tous les sujets) et pourrait fracturer son socle électoral.

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