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Restructuration (sans suicides) mode d’emploi : mais d’où viennent vraiment les difficultés du management comme des salariés du secteur public à s’adapter à leur environnement ?
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Performance du dialogue social

Après France Telecom, rebaptisé Orange, et Renault, une nouvelle vague de suicides s'est produite à la Poste au cours de ces trois dernières années. Un phénomène dramatique, que les candidats de la droite, qui appellent aujourd'hui de leurs vœux une réforme de la fonction publique, devront analyser avant d'agir en cas de victoire en 2017.

Xavier  Camby

Xavier Camby

Xavier Camby est l’auteur de 48 clés pour un management durable - Bien-être et performance, publié aux éditions Yves Briend Ed. Il dirige à Genève la société Essentiel Management qui intervient en Belgique, en France, au Québec et en Suisse. Il anime également le site Essentiel Management .

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Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico : Selon une information révélée par RTL, des experts indépendants s'apprêtent à alerter le gouvernement suite à une série de suicide à la Poste. 9 facteurs se seraient donné la mort, et 5 employés auraient commis une tentative de suicide sur leur lieu de travail. En cause, des réorganisations "incessantes", un manque d'effectifs, et des tournées de facteurs rallongées. En mai dernier, la Cour des comptes avait épinglé la faible productivité de la Poste. Existe-t-il des différences en termes de capacité d'adaptation entre privé et public ? Comment décrire les deux cultures professionnelles face au changement, du point de vue du bien-être ou du mal-être en entreprise notamment ?

Xavier Camby : Cette pathétique série de suicides ou de tentatives rappelle celle qui jadis se produisit chez France Télécom, pour les mêmes raisons : tenter d'imposer un changement à marche forcée, changement décidé ailleurs que dans l'entreprise ou sur le terrain, ne peut manquer de créer de graves détresses psychiques personnelles comme de nombreux troubles au sein des équipes (absentéismes, sabotages, conflits destructeurs, départs...), pouvant mener au burn-out, à la dépression ou au suicide. L'expérience montre que public et privé se confondent face à cette toxicité et qu'une même violence managériale produit les mêmes désastreuses conséquences.

Je voudrais insister sur un point essentiel, qui accroît encore l'inexcusable responsabilité de l'employeur : c'est toujours les salariés les plus fragiles qui souffrent le plus ! Pour la majorité des dramatiques incidents de France Télécom, il a été clairement établi que la vie privée de ces malheureuses personnes était déjà le plus souvent gravement obérée. Et lorsque que le dernier point stable de votre vie, fût-il professionnel, vacille ou devient un lieu de souffrance, alors le pire demeure la seule issue !

Eric Verhaeghe : On voit bien comment la culture d'entreprise dominante à la Poste constitue aujourd'hui un handicap pour faire face aux mutations imposées par la révolution numérique. Ce handicap laisse songeur. La Poste pourrait être une entreprise exceptionnelle, avec un maillage du territoire qui ferait envie à n'importe quelle entreprise en France, et un capital de sympathie dans l'opinion pratiquement sans limite. Malgré ces atouts, la privatisation de l'établissement et son adaptation au droit communautaire sont extrêmement laborieux. On voit bien que la Poste, malgré un retour d'environ 400 millions d'euros grâce au CICE, malgré une attention forte des pouvoirs publics, est engluée dans des liens compliqués, des empêchements, des entraves, qui la pénalisent. Le poids des personnels fonctionnaires joue évidemment beaucoup dans cette rigidité et cette lenteur. En tout cas, il est manifeste que les restructurations sont vécues, ressenties, avec beaucoup plus de violence ou de passion dans les entreprises publiques ou fraîchement privatisées que dans les entreprises privées classiques. .

Quelles sont selon vous les causes de cette particularité de la part de la fonction publique ?

Xavier Camby :Il existe bien en effet une culture différente entre ces 2 typologies de "communauté laborieuse" que sont l'entreprise et l'administration. Elle n'est pas du tout caricaturale : dans l'une, le risque et l'audace sont moteurs, dans l'autre, c'est essentiellement la sécurité dans la durée qui y est recherchée. Alors bien sûr, vont travailler en entreprise ceux que le risque ou l'aventure professionnelle n'effraient pas. A l'exception notable des pompiers, des militaires ou des policiers, l'employeur public (ou administratif) attirera plutôt ceux qu'une plus grande stabilité intéresse. Le changement sera moins simple, la pesanteur des habitudes sera plus lourde, les remises en cause intensément plus émotionnelles et en cas de pression de la hiérarchie, les craintes, les angoisses, la peur ou les conflits, mêmes larvés, y seront plus intenses.

Néanmoins, cela peut se changer ! Je ne saurais trop citer l'exploit de Laurent Ledoux, qui transforma une administration belge sclérosée en lui redonnant une incroyable dynamique positive. Mais bien sûr, il y a la manière...

Eric Verhaeghe : Je ne la réduirais pas, contrairement aux habitudes, à la sécurité de l'emploi. Certes celle-ci joue dans l'appréhension du changement et de ses enjeux, et elle ne pousse pas les collaborateurs, les fonctionnaires, à se montrer très volontaires dans l'adoption des nouvelles méthodes ou des nouvelles organisations. Mais il me semble surtout que le statut est porteur d'une difficulté principielle. Le fonctionnaire est l'homme (ou la femme) de l'intérêt général. Son job est d'être neutre et de servir une sorte d'institution supérieure, métaphysique, qui transcende les dirigeants qui lui donnent des ordres. Dans une entreprise, le salarié est fait pour décliner une politique tournée vers le profit, vers l'intérêt particulier. Imaginer qu'on puisse transformer l'un en l'autre relève évidemment du fantasme ou de l'utopie. Quelqu'un qui choisit de bâtir sa vie professionnelle autour d'un objectif désincarné et qui s'entend dire soudain que son objectif est tourné vers des résultats mesurables subit forcément un choc d'adaptation.

Les entreprises du secteur privé semblent, elles, plus disposées à mettre en place des changements, imposer des objectifs de productivité, ou à être confrontées à la concurrence... Le personnel d'encadrement de la fonction publique, pourrait-il s'inspirer du privé pour mieux faire passer les décisions ? Que pourrait-elle importer concrètement du privé, que ce soit en termes de culture d'entreprise comme pour les décisions managériales ?

Xavier Camby :Non, je ne crois pas au transfert de méthodes du privé vers le public. Tout d'abord parce que le privé aussi a sa singulière toxicité, très contagieuse, qui se propage comme une pandémie, d'entreprise en entreprise. Il est important de souligner qu'il existe de très nombreux cas de détresse psychique dans les entreprises aussi, malgré -ou peut-être à cause- de très nombreuses formations dites de management. Mais ces organisations sont habituellement moins grosse que les administrations et l'Etat n'en est pas l'actionnaire principal ! Il est plus simple de rejeter les conséquences d'un réel mismanagement dans la sphère privée du malheureux et de s'exonérer ainsi de sa responsabilité d'employeur.

Je pense plutôt qu'il serait possible d'inventer un management nouveau au sein de l'administration. Notamment en acceptant de changer de paradigme et de référentiel. Albert Einstein l'a très magistralement observé : ce n'est pas le mode de pensée qui a engendré un problème qui permettra de le résoudre.

Eric Verhaeghe : Mettons les choses à plat de façon simple: tôt ou tard, la France sera contrainte de réformer en profondeur le fonctionnement de ses administrations. Cette réforme sera vitale, essentielle pour éviter la banqueroute de l'Etat et les gains de productivité qu'ils supposeront. L'un des problèmes majeurs du service public est que son management n'est aujourd'hui ni prêt ni formé pour opérer ce mouvement de façon souple. Or, pour se mettre à niveau, le management public devra beaucoup travailler et apprendre à gérer le changement autrement que de façon autoritaire. La culture du changement dans la concertation est en effet loin d'être maîtrisée par les managers publics. Pourtant, si l'on veut réformer le service public, celui-ci devra renoncer à sa rigidité habituelle et intégrer des logiques de flexibilité et de mobilité.

Les candidats à la primaire de la droite appellent de leurs vœux une réforme historique de la fonction publique. Comment ces derniers devraient-ils se poser la question de cette réforme selon vous ? Politiquement, il apparaît difficile de faire face à d'autres drames comme celui de la Poste...

Xavier Camby :Oui, bien sûr, comme depuis des années... Je crois pourtant possible qu'un Emmanuel Macron, s'il participait à un nouveau gouvernement ou le présidait, pourrait entreprendre une réforme non-violente et performante, bien plus que celle opérée jadis chez France Télécom ou actuellement à la Poste. Aucune réforme réelle ne peut se décréter. Il est essentiel d'emporter, pas à pas, l'adhésion de ceux à qui ont demande de changer leurs habitudes, leurs comportements, voire leurs attitudes intimes. Les consignes péremptoires, les ordres impérieux à base de "y faut, on doit" ne font que renforcer la résistance au changement. Toute communauté aspire à créer, pour elle-même un Bien Commun à partager. Je pense que cette compréhension du psychisme individuel et du fonctionnement collectif constituerait le pré-requis, l'âme et l'objectif de toute action de changement ou de réforme.

Eric Verhaeghe : Je pense que le risque psycho-social, comme on dit, constituera un sérieux frein à la réforme de l'Etat et à la mise en place des plans annoncés dans les programmes électoraux de droite. Il ne suffit pas de coucher sur le pied plusieurs dizaines de milliers de suppression d'emplois pour y parvenir. Il faut encore les faire admettre par les personnels en leur offrant un sens et une perspective stratégique et des conditions de reclassement crédibles et tenables. Pour ce faire, il n'est pas sûr que la façon dont les programmes sont amenés aujourd'hui soit très positive ou aidante, ni rassurante. On peut d'ailleurs s'étonner de voir des élus lâcher des chiffres de suppression d'emplois en pâture, comme si la réforme de l'Etat se limitait à supprimer des postes. On imagine mal un candidat à la présidence d'une entreprise expliquer que son plan stratégique consiste à tailler dans les effectifs. Tous ceux qui ont ce cynisme finissent généralement mal.

Pourtant, un sondage IFOP datant du mois d'avril 2016 signalait que 81% des répondants du secteur public indiquaient être heureux au travail (contre 19% de "pas heureux") alors que 72% des salariés du privé faisaient le même constat (contre 28% de "pas heureux"). L'idée de salariés du privé plus "adaptés" masque-t-elle une réalité sociale différente ?

Eric Verhaeghe : D'une manière générale, les conditions de travail des fonctionnaires sont quand même meilleures que celles des salariés du privé. Cette différence me paraît expliquer en soi les différences de bonheur.

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