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Rentrée scolaire : l’école a-t-elle besoin d’argent… ou de tout autre chose ?
©FREDERICK FLORIN / AFP

Système éducatif dysfonctionnel

Sur les deux dernières décennies, la France a connu une dégradation de son système éducatif, mais pour y remédier l'argent n'est pas forcément la solution miracle.

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli est délégué Education de Debout la France. Professeur agrégé de lettres, enseignant et essayiste français, il est également l'auteur ou le co-auteur d'un grand nombre d'ouvrages parus chez différents éditeurs, notamment La Fabrique du crétin (Jean-Claude Gawsewitch, 2005) et La société pornographique (Bourin, 2012). 

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Charles Reviens

Charles Reviens

Charles Reviens est ancien haut fonctionnaire, spécialiste de la comparaison internationale des politiques publiques.

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Atlantico :  Selon une enquête de l’INSEE, en France, de 25 à 29 ans, près d’un jeune sur cinq est NEET, de l’anglais « Not in EducationEmployment or Training » . Comment expliquer un pourcentage d’individus sans aucune activité scolaire ou professionnalisante aussi élevé ?
Jean-Paul Brighelli : Si l’Education Nationale était une entreprise, elle aurait déposé le bilan depuis longtemps, tant le « retour sur investissement » est dérisoire.
Imaginons alors que ce soit effectivement une entreprise. La tentation est grande de la brader en vrac, alors qu’il faudrait la vendre par départements. Les Classes Préparatoires, qui comme leur nom l’indique « préparent » aux grandes Ecoles, ont un retour sur investissement — un investissement important — tout à fait remarquable. Près de 100% de leurs élèves trouvent un job, et un job de bonne qualité, dans les trois à six mois qui suivent leur sortie du cursus.
C’est vrai également des IUT. Et de nombre de BTS — en fait, toutes les filières à exigences fortes. Dès que l’on remet en place l’élitisme, au lieu de l’égalitarisme qui prévaut depuis quarante ans, les chiffres s’améliorent. Nos étudiants sont aussi capables que les autres. Simplement, le système français ne leur permet pas de le manifester. 
C’est donc que l’état d’esprit, bien plus que le compétences, n’est pas adéquat. 
À noter que je serais partisan d’interdire pendant dix ans aux lauréats des concours d’aller exercer ailleurs qu’en France : c’est à nous de recueillir les fruits de nos investissements. Un Polytechnicien qui trouve confortable de se délocaliser aux USA ou au Canada devrait se voir demander le remboursement des sommes qu’il a coûtées à l’Etat. La France d’abord.

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Atlantico : Comment la France se place-t-elle face aux autres pays européens dans le cadre de son organisation éducative ? De quoi a réellement besoin l'école pour améliorer ses résultats ?
Jean-Paul Brighelli : L’Ecole a besoin de changer son mode de fonctionnement. Elle n’a pas besoin de « moyens » supplémentaires, comme le clament les syndicats (et où irait-elle les chercher, entre crise des vocations et inflation budgétaire, elle vit déjà au-dessus de ses moyens) mais d’une mutation de son état d’esprit. L’enseignement est peut-être un dû, mais le travail est une obligation — ou devrait l’être : voir ce qui se passe dans les pays du sud-est asiatique, qui caracolent en tête de toutes les évaluations internationales. Mais la politique de 97% de réussite au Bac, la tolérance généralisée, l’oubli de toute discipline, ont miné l’institution — et la bonne volonté des élèves, même des meilleurs.
Charles Reviens : La France a constitué sous la troisième République un système d’enseignement durablement considéré parmi les meilleurs voire le meilleur du monde, ce qui ne signifiait pas qu’il induisait des passions et des conflits, au premier rang desquels la question religieuse et de la laïcité avec la coexistence durable entre une vaste secteur public et un secteur confessionnel.

Cela avait déjà bien changé en 1984 lorsque la réforme promise par François Mitterrand de constituer le SPULEN (service public unifié et laïque de l’éducation nationale) échoue face à une vaste contestation beaucoup moins liée à la question religieuse qu’à la volonté des nombreux parents de disposer d’une alternative à l’éducation nationale face à la dégradation avérée ou ressentie du système d’enseignement public.

L’organisation française contemporaine est marquée par plusieurs traits, qu’on peut regarder par exemple en comparaison avec le système allemand. Un premier fait majeur concerne sa centralisation avec un service public national alors que la politique publique de l’éducation relève des Länder en Allemagne : c’est le fameux Mammouth dénoncé il y a plus de vingt ans par le ministre Claude Allègre sans que beaucoup de chose n’ait changé depuis.

Une deuxième différence concerne le caractère très monolithique du dispositif français alors que l’Allemagne préserve une vaste différentiation de son système qui offre notamment une large place à l’enseignement professionnel.

Une évolution récente majeure concerne l’augmentation majeure de la proportion d’une classe d’âge obtenant le diplôme. Le triptyque structurant certificat d’étude-brevet-baccalauréat a été remplacé par l’obtention de plus en plus facile de ces diplômes, prélude à leur dévalorisation et souvent ensuite à leur disparition. Moins de 5 % d’une classe d’âge obtenait le baccalauréat en 1946 et cette proportion avait augmenté 29 % en 1985, proportion quasiment triplée en trente ans (79.6% en 2015).

La situation française a totalement divergé par rapport à l’Allemagne (Abitur) ou la Suisse (maturité) puisque ces équivalents du baccalauréat ne sont obtenus encore aujourd’hui que par un tiers d’une classe d’âge, les voies professionnelles demeurant encore privilégiées.

Atlantico : Qu'est ce qui à l'étranger fait la réussite ou l'échec des systèmes scolaires européens ? Quelles leçons la France devrait-elle en tirer pour améliorer sa situation ?
Charles Reviens : Le programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) effectué tous les 3 ans par l’OCDE constitue la référence des comparaisons des systèmes éducatifs. La France connaît sur les deux dernières décennies une dégradation tant relative qu’absolue de sa situation, dégradation particulièrement marquée pour les mathématiques et les sciences.

En 2018 PISA plaçait pour les mathématiques la Chine en tête puis les pays développés d’Asie du Sud, en ensuite l’Europe du Nord au sens large et la Canada. Suivaient derrière les autres membres de l’OCDE dont la France.

PISA est un indicateur important mais il faut faire attention à la séduction de l’application à la France des recettes des pays mieux positionnés que nous qui font fi des différences anthropologiques ou d’autres éléments structurants comme la nature de la politique migratoire. Mais à date il n’y a jamais eu de « révolte » et de grand plan français visant à redresser la situation, à la différence de l’Allemagne qui a connu « un choc PISA » dans les années 2000.

Atlantico : En France, 6,7 % du PIB est investi tous les ans par l’État dans l’éducation, l’école reste obligatoire jusqu’à 16 ans tandis que les profs vivent avec de faibles salaires au niveau européen, toujours dans un sentiment de déclassement. Comment expliquer des résultats aussi médiocres en pratique, au vu des investissements colossaux que met déjà en place l’État ? La faute est elle à un manque de moyens ? À l’enseignement lui-même ?
Jean-Paul Brighelli : Répétons-nous : il y a un état d’esprit à changer. Quand les enseignants comprendront qu’ils ont une responsabilité dans la médiocrité des résultats, un grand pas sera fait. Quand ils seront payés en fonction des résultats, quitte à remercier ceux qui n’y trouveraient plus leur compte, il y aura certainement du mieux. Dès la Maternelle on devrait tendre vers l’excellence. Ne pas le faire, c’est mépriser les élèves, qui dans leur immense majorité sont tout à fait capables de réussir — si on leur en donne l’opportunité et si on leur en insuffle l’ambition.
Au lieu de favoriser la médiocrité, il faut favoriser l’excellence. Que chaque élève soit poussé à aller au plus haut de ses capacités. Ne pas décréter « la réussite pour tous », comme l’ont fait nombre de gouvernements, mais la réussite de chacun au niveau de ses capacités — parce que la réussite ne se décrète pas. Il faut trier, mettre en compétition, tester sans relâche, confronter sans cesse, créer un sain climat de rivalité. Et mettre sur la touche les enseignants qui préfèrent pantoufler confortablement en ânonnant sans cesse les mêmes cours.
L’un des moyens serait une régionalisation des moyens et de la gestion — y compris du recrutement. C’est au niveau local qu’on connaît le mieux les besoins. C’est au niveau local qu’il faut susciter un grand mouvement d’insurrection vers l’excellenc
Charles Reviens : La dépense public française en matière d’éducation n’est pas spectaculairement plus élevée que celle des autres pays européens et il faut chaque fois rappeler que la cause fondamentale de l’écart massif de dépenses publiques entre la France et ses pairs européens ou de l’OCDE se localise quasiment exclusivement dans la dépense sociale.

La dépense demeure toutefois importante ce qui n’empêche pas les rémunérations des enseignants d’être faibles, notamment au regard de l’Europe du Nord. Le wagon des mal payés inclut les Français, les Britanniques, les Italiens et les Portugais.

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