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Renault, Air France : l’Etat devient l’assureur tout risque pour des entreprises en difficulté, tout est possible mais qui paiera ?
©PHILIPPE LOPEZ / AFP

Sauvetage

Une fois de plus, la crise du coronavirus va montrer qu’il existe des entreprises « too big to fail ». Trop grosses pour tomber. Mais pourquoi Air France ou Renault, et au nom de quels intérêts ?

Aude Kersulec

Aude Kersulec

Aude Kersulec est diplômée de l' ESSEC, spécialiste de la banque et des questions monétaires. Elle est chroniqueuse économique sur BFMTV Business.

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Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Charles Darwin doit avoir du mal à reposer en paix dans sa tombe du Kent s’il peut observer, non pas les ravages d’une crise épidémique, mais les réponses que font les gouvernements pour amortir les chocs sanitaires et surtout économiques. Lui pensait que la nature offrait les procédures de sélection des espèces. L’humanité se refuse d’appliquer les principes darwiniens à elle-même et c’est tant mieux. Mais l’économie de marché, qui est devenue universelle sur toute la planète, ne fonctionne que parce que la concurrence sélectionne les meilleurs. En général, les plus faibles n’ont que deux solutions. Ou ils trouvent la force de se redresser, ou ils disparaissent.

Comme en 2008, la crise sanitaire du coronavirus a obligé la plupart des gouvernements à perfuser beaucoup d’entreprises pour éviter qu’elles ne disparaissent. La seule raison est purement politique et sociale. Il s’agit de préserver un tissu économique et tous les emplois qui vont avec... On sauve l’entreprise pour sauver des populations de la misère.

Mais en apportant des aides massives et même extravagantes à des très grosses entreprises, le gouvernement français a franchi une étape. Qui soulève évidemment beaucoup de questions, comme quand Obama aux USA avait sauvé General Motors de la ruine.

Parce qu’en apportant 7 milliards d'euros à Air France et 5 milliards à Renault, Bercy reconnaît que certaines entreprises sont trop grosses pour mourir. « Too big to Fail » comme on disait des banques de New York en 2008 au moment de la crise des subprimes.

A cette époque, il avait fallu sauver les banques, qui explosaient sous les impayés et dont elles étaient en incapacité de calculer ou couvrir leurs pertes. Le risque était systémique à l’ensemble du système bancaire. C’est à dire contagieux.

Aujourd’hui, la crise part de l’économie réelle, elle est, de fait, systémique en mettant bon nombre de secteurs à l’arrêt. L’importance et l’imbrication de ces secteurs dans le reste de l’économie sont trop importantes. Cette fois encore, les plus gros s’en sortiront, bien souvent grâce à l’Etat. Les autres se débrouilleront pour mourir sans faire trop de bruit. Ce qui est intéressant, c’est de regarder au microscope pourquoi cette entreprise-là sera sauvée plutôt qu’une autre.

Les grandes entreprises en difficulté n’hésitent plus à faire appel aux aides proposées par l’Etat. Et elles les obtiennent parce que l’impact de leur disparation ne pourrait pas être absorbé par l’économie française.

Air France vient d’obtenir 7 milliards d’euros de prêts garantis par l’Etat. Près de la moitié du chiffre d’affaire de la compagnie, plus que toute autre entreprise n’ait jamais reçu. Renault s’apprêterait à faire de même pour un montant de 5 milliards (l’entreprise avait reçu 3 milliards en 2008). Jusqu’où la liste peut-elle aller ?

Quoiqu’il en coûte, l’Etat se battra pour la survie de ces entreprises qu’il considère indispensables. Mais il espère aussi s’y retrouver compte tenu des outils qu’il utilise.

Son outil préféré, ce sont les PGE, Prêts garantis par l’Etat. Ce sont les banques qui les accordent, comme pour un prêt classique. Sauf que le prêt, en cas de non remboursement, sera couvert par l’Etat. Les TPE et PME disposent d’une garantie de 90% et les entreprises plus internationalisées, 70%. Pour le prêt Air France, l’Etat a fait une première exception en garantissant bien 90% des 4 milliards d’euros accordés à la compagnie, alors que 3 milliards d’euros iront renforcer la maison mère Air France KLM et sont directement fournis par l’Etat. On sait aujourd’hui que 8 établissements bancaires sont réunis pour prêter les 4 milliards à la compagnie, mais ne seront porteurs que de 10% du risque.

Malgré cela, les banques ont trainé des pieds sur le dossier Air France. Logique et presque légitime. BNP Paribas et Société Générale ont essayé de négocier mais finalement, elles n’ont pas eu d’autre choix.

Air France est déjà très endettée avec une rentabilité médiocre qui la rend chroniquement fragile et limite en risque. D’où le changement stratégique qu’elle essaie d’opérer depuis l’arrivée de Ben Smith. N’empêche que l'arrêt total de son activité pendant 2 ou 3 mois pour cause de pandémie l'aurait sans suspense menée à l’effondrement. Il fallait sauver le soldat Air France.

Le dossier Renault sera défendu par Bercy avec les mêmes arguments. Bruno Le Maire assume : « Qu’est-ce qui est en jeu ? C’est notre industrie automobile, c’est un fleuron industriel qui appartient à notre culture, à notre histoire, Renault ! C’est un million d’emplois sur tout notre territoire ». En termes d’image, ce serait aussi désastreux.

Les 5 milliards octroyés à Renault ont reçu l‘accord de Bruxelles, ce qui marque un changement de doctrine assez tranché. Renault est sur un marché très concurrentiel avec des actionnaires puissants (dont Nissan), on aurait pu imaginer que Renault soit traité comme les autres mais Renault n’a jamais été une entreprise comme les autres.

D’abord, parce que l’Etat a une participation importante, 15%, au capital de Renault. Et si Renault tombe, c’est de toute façon une perte financière pour ses actionnaires.

Ensuite, Renault est engagé dans un bras de fer avec son partenaire Nissan dont l’enjeu est de rester dans le tiercé de tête des constructeurs mondiaux.

Enfin, Renault doit plus que jamais relever trois défis : celui de la révolution numérique avec l’avènement prochaine des voitures autonomes et celui de la transition énergétique avec la mise aux normes européennes de sa gamme de voitures. Le défi de la gestion de l’Alliance avec les Japonais et du changement de gouvernance. Alors que Carlos Ghosn a œuvré pendant tout son règne pour désengager l’Etat du groupe Renault Nissan, voilà que l’entreprise renoue ses amitiés particulières avec Bercy.

Deux raisons principales à ces renflouements d’entreprises.

Première raison, un problème de solvabilité de ces entreprises sur le court terme, qui sont rentables par ailleurs. Lors de la présentation des résultats trimestriels du constructeur, la directrice générale de Renault a évoqué l’aide de l’Etat comme « un filet de sécurité », du cash, de la trésorerie. C’est le cas aussi pour Air France qui a un chiffre d’affaires proche du néant depuis la fin du mois de mars alors qu’il faut bien assurer les charges et coûts fixes non reportables.

La deuxième, c’est la crainte de perte de souveraineté économique dans certains secteurs essentiels, comme les transports ou l’industrie. Sans compagnie aérienne nationale principale, les autres compagnies étant trop petites pour assurer le même trafic, le transport aérien en France dépendrait en partie des compagnies étrangères et de leurs prix. Il faut également tenir à l’écart des prédateurs, notamment étrangers, qui seraient prêts à racheter l’entreprise quand celle-ci se trouve en mauvaise passe. L’Etat joue un rôle de dernier ressort.

En 2008, si les Etats avaient bien sauvé leurs fleurons bancaires, certains étaient passés à la trappe. Lehman Brothers évidemment.

C’est ce qu’il va se passer dans le secteur aérien. Air France n’est pas la seule compagnie française touchée. Les compagnies de taille plus modeste sont autant touchées par la crise actuelle. Mais les banques resteront frileuses sur le secteur aérien et refuseront les risques de crash. Résultat : aucun des concurrents d’Air France KLM (Corsair, La Compagnie, ASL, Air Caraïbes et Air Austral) n’est « too big to fail », c’est-à-dire n’a une taille assez importante. Inévitablement, il faudra s’attendre à quelques faillites.

On va assister une recomposition du secteur par la disparition des plus faibles parce qu‘au-delà des questions immédiates de trésorerie, il faudra bien financer les réformes structurelles qui seront nécessaires (ligne, nombre de passagers, fréquences etc). Dans l’automobile, PSA a plus besoin de coordonner son rapprochement avec Fiat plutôt que quémander l’argent de l’Etat. Sauf que PSA va devoir dans les six mois rebondir et qu’il lui faudra de l’argent.

Ce qui est intéressant, c’est que pour faire passer le dossier sur la scène politique et médiatique et même à Bruxelles, Bruno Le Maire habille son opération en vert écologique.

Tout cela pour convaincre que le risque de faillite et l’octroi de ces PGE n’exonèrent pas ces entreprises de respecter les normes environnementales, voire d’opérer un vrai changement dans leur offre. Et d’appeler Air France à « devenir la compagnie aérienne la plus respectueuse de l'environnement de la planète » selon les mots de Bruno Le Maire. L’intérêt de ces grandes entreprises, c’est qu’elles sont jugées assez puissantes pour transformer leur secteur ou les habitudes de leurs clients.

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