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La gauche a-t-elle un problème avec la démocratie ?
La gauche a-t-elle un problème avec la démocratie ?
©Reuters

Le peuple ? Connaît pas...

La gauche au pouvoir vire à l'autoritarisme pour imposer sa vision de la société, pourtant de moins en moins consensuelle. Une approche décriée qui faisait dire à Julien Dray sur BFMTV et RMC que "une loi sociétale, ça ne se joue pas à 51-49", soulignant l'absence de légitimité pour de telles réformes. Le gouvernement ne l'entend pas cette oreille, pensant que sa supériorité morale peut se passer de démocratie.

Atlantico : Interrogée récemment sur l'insistance des manifestants de ce dimanche 2 février, Najat Vallaud-Belkacem, la ministre du Droit des Femmes, a déclaré "Notre responsabilité de gouvernement est non seulement de faire des réformes pour faire progresser la société mais aussi de les faire accepter". N'est-ce pas aller à contre-courant de l'opinion majoritaire ?

Denis Tillinac : Le vrai problème est d'après moi que les socialistes ont encore un sursis de légalité devant eux puisqu'ils détiennent l'Elysée, Matignon, l'Assemblée, les collectivités territoriales, sans parler des corps intermédiaires (Conseil d'Etat, tribunaux…) des intellectuels et des médias. C'est là beaucoup trop de pouvoir à un moment ou la France n'est plus de mèche avec le projet de société porté actuellement. Les socialistes, s'ils ont timidement pris acte en début de semaine, n'ont ainsi visiblement pas compris que ces présupposées "avancées" étaient aujourd'hui profondément rejetées par une partie de la France. Ce mouvement n'est d'ailleurs pas mieux interprété par l'UMP et le Front National qui n'ont pas non plus réussis à en récupérer les fruits. Puisque cette France refuse aujourd'hui une certaine vision du progrès que l'on souhaite imposer, on comprend que la question de l'articulation entre légalité et légitimité devient cruciale pour ce gouvernement. Il n'est donc pas étonnant dans un tel contexte de voir le gouvernement reculer de manière provisoire sur la PMA et la GPA.

Peut-on considérer qu'avec une majorité de 51% M. Hollande dispose de fait d'un mandat pour transformer la société en profondeur ?

Denis Tillinac :Il dispose d'autant moins de marge de manœuvre qu'il dispose encore une fois d'une concentration de pouvoirs dont l'importance est presque inédite. Face à cette France officielle, la France profonde résiste et ce tiraillement annule logiquement le mandat de M. Hollande sur de nombreux sujets. Son seul devoir historique serait aujourd'hui de calmer le jeu en demandant à ses amis idéologues d'abandonner des projets sociétaux qui ne sont pas consensuels et qui accentuent une fracture qui risque de devenir de plus en plus violente.

Lorsque l'on observe le développement historique et politique de la gauche, qu'est-ce qui pourrait expliquer cette volonté d'imposer un projet pas toujours consensuel mais estimé comme universellement bénéfique ?

Denis Tillinac : Pour ce qui est des raisons "tactiques", cette obsession du sociétal s'explique évidemment par un renoncement justement historique du socialisme sur les questions socio-économiques au profit de réformes culturelles. Motivés par le doux rêve d'atteindre un océan de libertés, on sort du tiroir des réformes comme le mariage pour tous, la parité ou encore la popularisation des "gender studies" dont la seule vertu est de maintenir une cohésion de moins en moins solide à gauche. La récente affaire Dieudonné, que Manuel Valls a enclenché quelques heures après la publication de mauvais chiffres sur le chômage, en est une récente illustration.

Sur un plan plus idéologique, on peut dire que le parti socialiste est un parti d'élus se répartissant entre une social-démocratie "gestionnaire" et une vision soixante-huitarde dont l'intensité ne semble pas avoir baissé depuis les années soixante. Ces derniers ayant compris que la révolution étatique n'était plus possible dans un monde globalisé, ils reprennent les théories libertaires de Marcuse sur la sexualité afin de conserver une identité qui leur paraisse de gauche. Cette obsession idéologique se retrouve d'ailleurs chez les Verts et le Front de Gauche qui n'affichent que peu de différence en termes de programmes sur les sujets sociétaux avec les socialistes. Cette frange qui voudrait nous amener au "Meilleur des mondes" représente ainsi selon moi une menace bien plus importante pour la démocratie que les Dieudonné et consorts. François Hollande, qui n'est clairement pas héritier de cette idéologie, arrive quelque part au bout de sa logique aujourd'hui avec l'instrumentalisation de tels "penseurs".

Jean-Pierre Deschodt :Je crois avant toute autre chose qu’il serait bon de préciser que la principale composante de la gauche, le parti socialiste, est dans la tourmente. Le collectivisme s’étant effondré, il est désormais sans véritable doctrine ce qui le contraint à une vision économique moins dirigiste que celle qui était exposée dans les 110 propositions de François Mitterrand. Il a fallu tout de même attendre la déclaration de principes de 2008, initiée par celle de 1990, pour que le P.S. l'acceptât en toutes lettres : « Les socialistes sont partisans d'une économie sociale et écologique du marché, une économie de marché régulée par la puissance publique… » . Cette rupture n'est pas sans conséquence sur son évolution actuelle. Le Parti socialiste n’est donc plus socialiste au sens traditionnel du terme, il est devenu sociétaliste. Ses membres font ainsi l’aveu qu’il n’a plus les moyens politiques de résoudre la question sociale. C’est à une véritable retraite que nous assistons mais celle-ci se fait pour l’instant en bon ordre concentrant ses forces dans le champ sociétal. Le mariage gay, la PMA, la GPA, bientôt l’euthanasie constituent autant de repères qui jalonnent le parcours de l’idéologie sociétaliste. La méthode qui est ici préconisée pour imposer ces mesures ressemble étrangement à celle qui était pratiquée au temps du collectivisme triomphant.A savoir :

1/ Reconnaissance d’un déterminisme qui se situe aujourd’hui sur le plan des mœurs

2/ les forces de progrès ont seules conscience de l’évolution à donner pour le bien être de la société

3/ Les forces réactionnaires appartiennent à un modèle révolu que l’histoire a déjà condamné. Un collectivisme peut toujours en cacher un autre, celui des mœurs par exemple.

La supériorité morale que la gauche tend à opposer aux réticences de certains français est-elle productive ? Est-elle sans risque pour la démocratie ? Cette insistance n'est-elle pas problématique sur le plan démocratique ?

Denis Tillinac : Cette supériorité morale ne tient que par la lâcheté de la droite politique qui va sans cesse mendier sa respectabilité en se présentant comme "la droite républicaine", comprenez celle qui ne dérange pas trop la gauche. Il n'est donc pas étonnant de voir la gauche se prévaloir de cette supériorité puisque même l'opposition finit par camper sur ces valeurs. La "vraie droite" (qui n'est pas l'extrême-droite) d'inspiration conservatrice sur le plan moral et intellectuel fait logiquement peur à une gauche qui campe dans des "valeurs républicaines", ce dernier concept ne définissant d'ailleurs pas grand-chose de façon concrète. Les valeurs ne sont pas l'apanage d'un régime particulier.

Les projets de société inspirés de la gauche ne sont pas les premiers à diviser, l'école libre et l'IVG étant là pour le rappeler. Comment expliquer qu'il suscite régulièrement une telle animosité dans l'opposition ?

Denis Tillinac : Le terrain des valeurs est toujours ce qui met la droite "populaire" dans la rue, bien que la droite politique ait toujours du mal à comprendre qu'elle peut rencontrer des victoires sur ce que l'on appelle le "champ épistémologique". Il faut pourtant qu'un parti comme l'UMP finisse par sortir de sa résignation sur les questions culturelles afin de s'atteler à ces chantiers cruciaux, sans quoi elle continuera de voir son électorat s'orienter vers l'abstention ou le Front national. 

Jean-Pierre Deschodt : Il s’agit ici d’un rapport de force permanent entre ceux qui prétendent incarner le mouvement et ceux qui choisissent la résistance à ce même mouvement. À chaque fois que des sujets touchant à la vie en général deviennent des enjeux politiques, chacun des camps recherche la mise en place d’une propagande radicale pour imposer sa vision de la société. La mobilisation des énergies aboutit à une lutte titanesque dont le vainqueur veut s’assurer une victoire sans condition. Rien n’est moins sûr. Prenons l’exemple de l’IVG, la vive opposition actuelle s’explique d’autant plus facilement que cette question recouvre une dimension anthropologique et détermine l’avenir de la civilisation.Si l’on considère qu’il est nécessaire de s’opposer à ce mouvement mortifère, la résistance devient alors un devoir.

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