Réformes en pagaille : le plan de transformation de la France esquissé par le gouvernement est-il en ligne avec les attentes prioritaires des électeurs d'Emmanuel Macron ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Réformes en pagaille : le plan de transformation de la France esquissé par le gouvernement est-il en ligne avec les attentes prioritaires des électeurs d'Emmanuel Macron ?
©AFP

Et en même temps

Depuis son élection, la loi travail, la réforme fiscale ou encore les choix budgétaires pris par Emmanuel Macron semblent plus correspondre aux attentes d'un électorat LR que LREM.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

Voir la bio »
Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

Voir la bio »

Atlantico : Entre ces​ valeurs​ prioritaires​ de l'électorat LREM, et​ le​ fort accent économique​ donné à ce début de quinquennat, ne peut on pas dire qu​'Emmanuel Macron fait débuté son action à rebours des priorités de ces sympathisants ? N'existe t il pas un risque d'effritement de la base LREM découlant de cette inversion de priorités ?

Bruno Cautrès : Pour répondre à cette première question, comme aux suivantes, il faut tout d’abord partir d’une donnée fondamentale de cette élection et de la politique en France depuis une vingtaine d’année : la co-existence de deux clivages politiques, le traditionnel clivage gauche/droite et le clivage sur les questions de société, en particulier les questions de tolérance culturelle et d’ouverture de la France sur l’Europe et le monde global. Ce second clivage a été identifié très tôt, au début des années 1990, par les recherches faites au CEVIPOF : à l’époque nous parlions du clivage « ouvert/fermé » qui s’est ensuite transformé en clivage entre les « gagnants » et les « perdants » de la mondialisation. Si le premier clivage repose essentiellement sur les conflits d’intérêts socio-économiques, le second repose sur des conflits de valeurs. On a vu au cours des vingt dernières années ces deux clivages progressivement se mêler : par exemple, l’électorat de gauche est devenu autant favorable à l’Etat providence qu’à la tolérance culturelle. L’électorat d’Emmanuel Macron en 2017 n’est pas sans lien avec toutes ces questions ; il s’est structuré sur ces deux dimensions : à la fois très opposé à la vision d’une France « fermée » et favorable à une économie plus flexible et à moins de dépenses publiques. Les deux faces du « en même temps » sont bien là : mais la soudure n’est pas forcément faite car ce ne sont pas nécessairement les mêmes électeurs qui sont « en même temps » libéraux économiquement et culturellement. En partie, l’électorat d’Emmanuel Macron est composé d’électeurs de centre-gauche (beaucoup d’anciens électeurs Hollande de 2012) et d’électeurs de centre-droit. Il est donc assez probable que si les politiques publiques économiques du gouvernement tirent trop dans le sens de politiques économiques « libérales » remettant en cause des symboles auxquels des électeurs de gauche, même modérément de gauche, sont attachés (rôle de l’Etat dans la lutte contre les injustices), Emmanuel Macron risque de progressivement les perdre en route.

Jean Petaux : Malgré toute l’impatience qui règne et le désir impérieux que l’on peut avoir d’évaluer les premiers mois du quinquennat Macron, la rigueur du raisonnement oblige à convenir qu’il est nettement trop tôt pour porter une appréciation fondée et étayée qui jugerait les 150 premiers jours du nouveau locataire de l’Elysée et toutes celles et ceux, à Matignon, à l’Assemblée ou ailleurs qui le soutiennent. Ce qui est frappant dans les chiffres du sondage et dans l’étude conduite par Luc Rouban pour le CEVIPOF c’est que les électeurs LREM sont assez proches, dans leurs réponses, de la moyenne de l’échantillon représentatif constitué. Le cas le plus flagrant concerne les fonctionnaires et la réduction éventuelle de leur nombre : 38% des Français approuvent ce projet et 37% des électeurs LREM. C’est, en tout état de cause, le « groupe » qui adhère le moins à cette idée qui a pour vertu de mettre en transes – orgasmiques – (en « expectase » pour parler comme la Grande Sainte-Thérèse) une partie non-négligeable des lecteurs d’Atlantico et la quasi-totalité des distingués contributeurs… Quand 71% des « fidèles LR » approuvent cette proposition, seuls , on l’a vu, 38% de l’ensemble des Français acquiescent. Vous avez raison de souligner dans votre introduction que le clivage est net entre adhérents ou sympathisants (moins quand ils sont « intermittents du soutien ») LR et ceux qui soutiennent La République en Marche. Il n’y a pas de risque de « discordance » entre le gouvernement et les électeurs LREM au vu des chiffres que vous présentez. A tout le moins commence à poindre une impatience sans doute et surtout une interrogation sur le « sens global » de tout ce qui est fait. Ce que vous pointez c’est la situation propre à tout gouvernement nouvellement élu dans les démocraties modernes : que font-ils ? s’occupent-ils de MOI ? Que vais-JE y gagner ? Qu’est-ce que J’AI déjà perdu depuis qu’ils sont là ? C’est le triomphe du « MOI JE ». Le couronnement du « tout à l’égo démocratique » pour reprendre la jolie phrase de Régis Debray. 
C’est là un principe d’individuation des sociétés qui rend très difficile l’exercice du gouvernement. Dans « Le Nouveau Monde » (janvier 2017) Marcel Gauchet met en cause l’hyper-libéralisme qui n’a fait qu’engendrer une société de l’individu où les revendications ne sont désormais pas agrégables entre elles puisque ce que l’un va obtenir l’autre non seulement ne va pas le mettre en avant mais il n’en veut peut-être pas du tout…  D’une certaine façon s’explique ainsi la fonte comme neige au soleil des « cotes de popularités » des gouvernants, du PR au PM en passant par le parti très largement majoritaire à l’Assemblée, LREM.

Loi travail, choix budgétaires, réforme fiscale, l'ensemble des mesures prises par l’exécutif depuis le mois de mai dernier semble ainsi plus correspondre, en termes de priorités; à un électorat LR qu'à celui de LREM. Dans quelle mesure le positionnement d'Emmanuel Macron sur les questions relatives à l'Islam et à la politique d'immigration pourraient s'annoncer décisives pour la structuration de son électorat ? Un positionnement plus "à droite" pourrait-il lui faire perdre ses soutiens actuels, serait-il suffisant pour conquérir l'électorat LR ?

Bruno Cautrès : Compte-tenu de ce que nous venons de rappeler, un positionnement plus à droite sur les questions de tolérance culturelle et d’immigration lui coûterait également des soutiens sur sa gauche car l’électorat de gauche et de centre-gauche est très attaché à l’idée d’une France ouverte, culturellement tolérante sans d’ailleurs que cela ne veuille dire partager une vision de type « multiculturelle ». L’électorat de gauche est en effet globalement très attaché aussi au modèle de l’intégration républicaine « à la française ». Cet éventuel cas de figure, ne rapporterait pas nécessairement à LREM ou Emmanuel Macron des soutiens plus importants au sein des électeurs de droite. On ne peut complètement répondre à cette question car cela va aussi dépendre des évolutions au sein de LR et de la capacité du futur président de LR à faire tenir ensemble une droite divisée sur ces questions.

Jean Petaux: On voit bien que l’électorat Macron n’est pas vraiment inquiet du devenir de  l’Islam en Occident ou  du nombre d’immigrés. Il considère très nettement (3 sur 4) que les enfants d’immigrés sont des Français comme les autres. De la même manière les sympathisants LREM ne sont pas « accros »  à l’entreprise. Seuls 69% d’entre eux estiment qu’il « faut faire confiance aux entreprises pour créer des emplois ». C’est certes 10 points au-dessus de la moyenne des Français (qui, globalement n’aiment pas l’entreprise… voir Weber sur « L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme » et son analyse de la relation au capitalisme dans les pays latins et catholiques) mais surtout 16% de moins que les « fidèles » « Les Républicains » qui sont des « entrepreneurs nés »… (comme M. Fillon ou d’autres…). Sur tous ces items à la fois « sociétaux » et « économiques et sociaux », l’électorat macroniste apparait plutôt de « centre-gauche »… Mais le président Macron n’est pas éloigné de ce « cœur électoral ». Quand il fait proposer par sa secrétaire d’Etat aux Droits des femmes la « PMA  pour toutes » et l’inscription de cette « ouverture » dans la future « loi éthique » il prend une position « libérale » (tant d’ailleurs au plan des mœurs qu’au plan économique… car désormais des médecins français vont pouvoir se « gaver » en pratiquant des FIV ou des PMA en lieu et place de ce que faisaient des praticiens belges, helvètes ou espagnols… Certes les premières lois inscrites à l’agenda politique depuis la prise de fonction du président, le 14 mai 2017, sont majoritairement des lois « socio-économiques » mais elles n’interdisent en rien que d’autres textes législatifs soient inscrits à l’ODJ du Parlement. Le cas de la loi anti-terroriste faisant entrer dans la norme juridique « ordinaire » certaines dispositions de l’état d’urgence est l’illustration parfaite que l’exécutif ne « fait » pas que dans l’économique. On pourrait dire la même chose à propos de l’action de Nicolas Hulot même si là, les décisions vont impacter plus précisément l’économie et la croissance. Le gouvernement n’est pas plus à droite ou plus à gauche. Il pratique le « en même temps » …

​Au delà du discours politique, qu'est ce que ces chiffres peuvent nous apprendre sur l'électorat d'Emmanuel Macron ? La fin du "en même temps", ressemblant de plus en plus à une ligne libérale, aussi bien sur le terrain économique que "sociétale", n'est-elle pas plus fragile que le socle de 1er tour d'Emmanuel Macron ?

Bruno Cautrès : Tout le pari d’Emmanuel Macron consiste à ce qu’il n’y ait plus rien entre lui et les extrémités du spectre politique, d’un côté le FN et de l’autre la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon. Pour réaliser ce projet politique de grande ampleur, il lui est indispensable d’incarner par les choix de politiques publiques le « en même temps ». D’un côté il s’agit d’envoyer des signes à la droite (ceux qui ne veulent pas de ses réformes économiques sont des « fainéants »), de l’autre il s’agit de rassurer la gauche par des mesures d’accompagnement des réformes économiques et de hausse du pouvoir d’achat (réformes des cotisations sociales et taxe d’habitation). Cette stratégie est assez audacieuse ; mais peut-elle tenir longtemps ? Les attentes de justice sociale des électeurs de gauche peuvent-elles être satisfaites par ces mesures au point qu’ils ne reviendraient pas vers un PS convalescent ou ne franchiraient pas le pas d’aller vers La France insoumise ? Ce sont des questions passionnantes, qu’il va nous falloir suivre car ne sommes qu’au début du mandat et qu’il est trop tôt pour savoir si ce point de bascule est en voie d’être franchi. Ce qui est sûr c’est que si la politique française doit bien être pensée en deux dimensions, la force du clivage « ouvert/fermé » dans l’élection de 2017 n’a pas fait disparaître pour autant le clivage gauche/droite. Celui-ci est un peu tapi dans l’ombre du macronisme pour le moment mais prêt à revenir dans la lumière. Des déclarations comme celles sur les « fainéants » ont dû sans doute réactiver chez des électeurs de gauche l’idée qu’Emmanuel Macron est avant tout un « libéral » économique. D’où l’intense stratégie de communication qui s’en est suivie (annonces sur la taxe d’habitation hier). Pour Emmanuel Macron la gestion du temps politique est essentielle : tuer dans l’œuf, par des annonces en quinconce (droite-droite-droite-gauche-gauche-droite, etc…), les possibilités de reconstruction de LR et du PS est un enjeu de toute première importance pour son mandat (et sa réélection en 2022…).

Jean Petaux : Le « en même temps » n’a pas disparu, loin de là. Au plan social le gouvernement va forcément sortir quelques « carottes » destinées à amadouer les corps intermédiaires mais aussi les Français les plus à même d’être sensibles aux chants des « sirènes insoumises ». On le verra lors de la présentation du budget 2018. Au plan sociétal plusieurs textes, clairement identifiés comme « de gauche » (dont celui qu’on vient d’évoquer sur la PMA) entendons par là qu’ils ont été portés dans le passé par « la gauche »  vont être adoptés ne serait-ce que pour montrer au PS (ou à ce qu’il en reste) ;  à Hamon (ou à ce qu’il n’en reste pas non plus) et surtout à Mélenchon et à son « fan club » que leur « ministère de la parole » ne fait pas tout en matière de réformes « sociétales » et qu’il faut bien, à un moment donné, agir et passer à l’acte. Certes Emmanuel Macron a obtenu tout juste 24% des suffrages exprimés et certains de ses contempteurs ont pu crier au scandale au sujet de sa victoire du 2nd tour en découvrant le nombre de bulletins blancs… Mais il faut rappeler encore une fois que compte tenu du taux d’abstention et de bulletins blancs ou nuls et vu le score d’’Emmanuel Macron au second tour (+66% des SE) il a été tout aussi bien élu que Mitterrand en 1981 et mieux que Chirac et Sarkozy en 1995 et 2007 (environ 46% des inscrits). Donc la base électorale de Macron n’est pas si étriquée que certains ont intérêt à le faire croire. Les électeurs de Macron sont tout à la fois des « libéraux au plan des mœurs » que des « libéraux à l’égard des populations en souffrance : migrants ; malades, etc. » que des « libéraux économiques et financiers ». Les électeurs macronistes sont encore beaucoup à être « en phase » avec leurs élus (Macron le premier d’entre eux et les autres) et dirigeants de LREM. Que la base électorale d’Emmanuel Macron  s’effrite, c’est une évidence. On voit mal comment il pourrait en aller autrement avec une telle chute de popularité. Mais là aussi gardons-nous de conclure trop tôt… Non seulement le quinquennat n’est pas achevé… il commence à pei

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !