Réforme du collège : le verdict mitigé de l’expert de l’OCDE<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Réforme du collège : le verdict mitigé de l’expert de l’OCDE
©Reuters

Diagnostic

Najat Vallaud-Belkacem a présenté mercredi 10 mars sa réforme de l'Education. Si les problèmes sont bien cernés, comme le manque d'autonomie des directeurs d'établissements ou les lacunes dans les langues étrangères, les remèdes évoqués manquent parfois de réalisme, ou risquent de créer de nouvelles difficultés.

Eric Charbonnier

Eric Charbonnier

analyse au sein de la direction de l’éducation de l’OCDE depuis 1998. Il collabore notamment à l'élaboration du chapitre sur le financement des systèmes d’éducation dans Regards sur l’éducation. Il travaille également sur l'enquête PISA.

 

Voir la bio »

Atlantico : Compte tenu des annonces faites pour l'heure par la Ministre de l'Education, la réforme va-t-elle dans le bon sens ?

Eric Charbonnier : Oui et non. L'idée de s'attaquer à l'échec scolaire, aux élèves en difficulté en essayant de créer de l'interdisciplinarité, de mettre différents enseignants afin de faire passer un message aux élèves, c'est quelque chose qui va dans le bon sens. Mais dans cette réforme du collège, ce qui est difficile à suivre c'est que l'on parle d'une réforme globale de tous les collèges alors qu'à mon avis la première des priorités est de faire une réforme de l'éducation prioritaire. C'est ce qui a commencé à être fait dans le primaire et continuer à l'être dans le collège. C'est-à-dire de mettre en place en priorité toutes ces réformes dans les écoles les plus difficiles, que ce soit les élémentaires ou les collèges.

La réforme propose de garantir une plus grande autonomie aux établissements : est-ce la solution pour mettre fin à un collège unique qui n'a pas su garder ses promesses ? Le risque n'est-il pas au contraire de creuser les inégalités entre des collèges ?

C'est bien pour cela qu'il faut absolument une évaluation de ce qui va être mis en place. Ce que l'on a pu observer dans les pays de l'OCDE qui sont performants et ont des bonnes systèmes éducatifs, c'est qu'en général il y a de l'autonomie pour les chefs d'établissement, des possibilités de prendre des décisions. Mais ils doivent aussi rendre des comptes. On observe si les bonnes décisions ont été prises et on remédie parfois aux problèmes.

Aujourd'hui donner de l'autonomie sans évaluation risquerait d'être dangereux, et accentuer les inégalités. Encore une fois, ceux qui ont le plus besoin d'autonomie, ce sont les chefs d'établissement dans les zones d'éducation prioritaire.

Les chefs d'établissement aux Pays-Bas se voient allouer un budget et peuvent décider de l'utiliser pour faire davantage de soutien scolaire ou recruter plus d'enseignants mais ils doivent rendre des comptes, c'est-à-dire montrer que leur politique d'éducation a été efficace. Différentes façons de mesurer l'efficacité existent, en mesurant la progression des élèves du début par rapport à la fin de l'année, ou regarder s'il y a eu une amélioration en termes de performance de l'établissement. Il y a une liberté d'action mais un contrôle qui permet de voir ce qui fonctionne ou non.

A compter de 2016, les élèves apprendront une première langue à partir du CP, puis une deuxième en cinquième. Est-ce une solution pour améliorer le niveau de langue des Français dont on sait qu'il est globalement plutôt mauvais ?

C'est une solution pour améliorer le niveau de langue. Aujourd'hui nous avons besoin des langues étrangères beaucoup plus qu'avant. Donc l'idée d'apprendre une langue dans l'élémentaire et une seconde plus tôt au collège va dans la bonne direction.

Dans les pays nordiques, l'apprentissage d'une langue étrangère est inné. Les dessins animés sont sous-titrés donc finalement on apprend la langue étrangère sans l'école. Ce n'est pas le cas en France et c'est vrai que ce genre de réforme va dans une bonne direction par rapport aux compétences que l'on exige des jeunes dans la société du XXIe siècle.

Par contre il ne faut pas croire que c'est cette réforme qui va faire diminuer l'échec scolaire. Quand on parle d'élèves en échec scolaire, on parle de cas qui ne maîtrisent pas les fondamentaux, lire, écrire et compter. Là encore il faut avoir une réflexion sur le temps que l'on consacre aux fondamentaux. Ce qui est intéressant c'est de voir qu'en France les élèves reçoivent beaucoup d'heures de cours. En France, c'est 1000 heures par an contre 900 en moyenne dans les pays de l'OCDE. Rajouter davantage suppose de voir si cela ne va pas surcharger les emplois du temps. Ne faut-il pas plutôt avoir une réflexion sur la répartition de l'horaire entre les différentes matières ? C'est une des questions qui se pose.

Dans l'objectif de lutter contre l'ennui des élèves à l'école, la ministre de l'Education a proposé de mettre en place des EPI – enseignements pratiques interdisciplinaires – autour de thèmes comme le développement durable ou la culture et création artistiques. Une telle initiative va-t-elle réellement permettre de remédier à la question de l'ennui des élèves à l'école ? Ne vaudrait-il pas mieux miser sur des activités permettant de stimuler les élèves tout en leur permettant d'améliorer leur niveau de français ou de mathématiques ?

Ca peut aider mais la passivité des élèves est liée au fait que l'on a géré l'échec scolaire jusqu'à présent par le redoublement. On n'a pas vraiment cherché à aider les élèves en difficulté autrement qu'en les faisant redoubler, or on sait que le redoublement est inefficace. Finalement le décrochage crée de l'ennui, un manque de motivation et finalement un échec scolaire. Donc toutes les mesures qui visent à personnaliser l'enseignement, à travailler en petits groupes sur des projets ou des matières va dans le bon sens pour diminuer l'ennui des élèves. On sait dans les statistiques internationales que lorsque l'on prend du plaisir à apprendre, cela joue beaucoup sur les performances et permet de compenser même parfois des handicaps de départ.

10% d'élèves arrivent au collège avec des difficultés, ils sont 20% à la sortie du collège. Le système français crée donc de l'échec scolaire très tôt, depuis le primaire, et cela s'accentue au collège. Le problème sur lequel il faut se pencher est bien celui-ci.

Justement, le projet de Najat Vallaud-Belkacem prévoit trois heures de suivi hebdomadaire et personnalisé par élève : permettront-elles de remédier aux lacunes fondamentales ? Comment ces heures doivent-elles être organisées pour être véritablement efficaces ?

La condition c'est un travail personnalisé avec les élèves afin qu'ils puissent pour certains revenir un peu en arrière et rattraper leur retard. Il faut attendre de voir comment vont s'organiser ces trois heures car elles peuvent avoir un coût par rapport à un programme qui est déjà très chargé. Pour l'instant cette idée n'est pas suffisamment claire.

Dans les pays performants, Finlande, Canada, Corée, Japon, Pologne récemment, avant même de penser à la réforme des programmes on a pensé à la réforme de la formation des enseignants. L'idée était de faire en sorte que les professeurs soient très bien formés sur la pédagogie de leur métier, sur la transmission du savoir, sur l'utilisation de supports différenciés, que ce soit le numérique ou d'autres supports… Ils sont très bien formés et préparés dans leur exercice à diagnostiquer les difficultés des élèves et les corriger au cours de l'année.

La réforme des enseignants en France a été lancée. La réforme du numérique aussi, la lutte contre l'échec scolaire aussi mais à force de faire tellement d'annonces on en oublie de s'assurer que ce qui est le plus important fonctionne bien aujourd'hui. Aujourd'hui il faudrait s'assurer que la nouvelle formation des enseignants est efficace. Et la priorité des priorités, c'est enfin de mettre en place cette politique d'éducation prioritaire au collège et en élémentaire.

La ministre de l'Education veut mettre l'accent sur le numérique pour permettre aux élèves de mieux acquérir la maîtrise de ces nouveaux outils et faciliter l'apprentissage. Sous quelles conditions cela est-il possible ? L'initiative va-t-elle dans le bon sens ?

Sous la condition que les enseignants soient bien formés. Aujourd'hui dans notre étude Talis de juin 2014, il s'est avéré que très peu d'enseignants utilisent le numérique dans leur apprentissage en France, seulement 22%. Et quand on a demandé aux enseignants quels étaient les besoins les plus forts en formation professionnelle, ils ciblaient à la fois "maîtriser les outils numériques" et "apprendre les techniques de pédagogie différenciée". Le numérique est donc définitivement un atout mais encore faut-il que les enseignants soient préparés ce qui n'est pas forcément le cas aujourd'hui. C'est la même chose sur l'interdisciplinarité. Ce qui est bien c'est de créer une culture de la collaboration entre les enseignants au collège parce qu'on a constaté qu'en France il y avait très peu de culture de la collaboration à la différence des autres pays. Mais encore faut-il que les enseignants soient d'accord avec cela et préparés à fonctionner différemment de la façon dont ils exercent aujourd'hui.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !