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Réforme des retraites : pourquoi les salariés du privé ont toutes les raisons de s’inquiéter
©Reuters

Opération main basse sur le privé

La réforme des retraites, confirmée par Edouard Philippe hier, va conduire à une unification des régimes privés et publics, au détriment des salariés du privé, qui vont porter la charge de ce rééquilibrage.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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La réforme des retraites devrait désormais occuper le débat public, après avoir été cantonnée, pour l’essentiel, à une assez obscure concertation avec les organisations syndicales menée par le Haut-Commissaire Jean-Paul Delevoye. Peu à peu, les contours du nouveau système par points se dessinent. Les recommandations du Haut Commissaire devraient être remises cet été. Mais au-delà de quelques principes consensuels, on ne sait guère en quoi va consister cette réforme. Sauf qu’elle devrait être résolument étatiste et socialement injuste, malgré ses apparences contraires.

Sur le sujet très technique et relativement rébarbatif des retraites, le discours de politique générale prononcé par Edouard Philippe a soigneusement évité les questions qui fâchent et les promesses trop contraignantes. Pour l’instant, le gouvernement a confirmé les déclarations de bonnes intentions affichées depuis le début pour justifier le passage à un système par points. Officiellement, un euro cotisé ouvrirait désormais les mêmes droits à chacun, quelle que soit sa situation.

Présentée comme ça, personne ne peut évidemment être contre cette réforme. On comprend dès lors le manque d’empressement du gouvernement a dépassé cette annonce prometteuse pour entrer dans le vif des détails, dans les explications qui vont forcément fâcher. Un petit travail d’éclairage sur les coulisses de ce dossier permet pourtant de modifier la compréhension qu’on peut en avoir. Et de dresser une comparaison avec ce que pourrait être une réforme libérale de notre système actuel.

Une baisse des retraites programmée

Premier point, et le point le plus important, le plus essentiel: on sait à ce stade que la méthode de calcul des retraites va changer en profondeur.

Dans le système actuel, pour les salariés du privé, la pension versée pendant la période de retraite est calculée en référence aux vingt-cinq meilleures années de la carrière. Autrement dit, sur une période de plus de quarante ans de travail, le retraité bénéficie d’une méthode qui le favorise en évitant de remplacer les salaires des mauvaises années (ou les allocations chômage lorsqu’il a connu des périodes de disette) et en remplaçant surtout les années les plus fastes.

Pour les fonctionnaires, dont la progression de carrière est garantie, la méthode est encore plus favorable. Elle ne retient que les six derniers mois de rémunération, qui sont aussi (par construction statutaire) les meilleurs.

Le système par points remettra les compteurs à zéro. Il se fondera sur une acquisition de points tout au long de la carrière. Alors que, par exemple, les périodes de chômage sont neutralisées dans le système actuel, elles seront complètement intégrées au calcul futur. Mécaniquement, le niveau moyen des retraites baissera donc.

Les retraites et la méthode illibérale du gouvernement

En soi, l’idée de baisser les retraites n’est pas absurde. Le gouvernement la met déjà en œuvre, dans la suite de ce que François Hollande avait commencé à faire, en désindexant partiellement les rentes. Cette méthode permet d’éroder peu à peu le volume de dépenses.

Dans la pratique, ce choix s’impose dès lors que l’espérance de vie continue d’augmenter et que l’âge de départ à la retraite n’est pas mécaniquement adapté à cette évolution. Pour éviter que la dépense de retraite ne devienne incontrôlable du fait de l’allongement constant de la durée de versement des rentes, il faut bien raboter avec plus ou moins de vigueur l’enveloppe globale à verser. Augmenter les retraites moins vite que l’inflation est une méthode commode, car relativement invisible et indolore.

Avec la réforme systémique préparée par Jean-Paul Delevoye, l’érosion sera plus brutale. Pour limiter cet effet, dû à la neutralisation des vingt-cinq meilleures années, le gouvernement peut faire le choix de fixer une valeur élevée au futur point qui servira de base de calcul aux retraites de demain. Il s’agirait en quelque sorte d’une compensation ou d’un cadeau socialement juste pour compenser les effets désagréables de la réforme.

Sur ce point, Jean-Paul Delevoye n’a abattu aucune carte. La concertation menée avec les partenaires sociaux a soigneusement évité d’aborder la question de la valeur du point.

C’est pourquoi on est très proche de la vérité en soutenant que la méthode Delevoye est illibérale. Elle a pour l’instant consisté à échanger la réalité imparfaite du système à prestations définies, comme on dit, que nous connaissons aujourd’hui contre une construction théorique dont on n’a pas dévoilé les paramètres futurs de fonctionnement.

Aucun participant à la concertation n’a été en mesure de calculer la différence de montant entre une pension versée aujourd’hui et une pension versée demain, à situation égale. La délibération n’a pas eu lieu, faute d’une communication claire sur le contenu de la réforme. Cette ignorance dans laquelle le gouvernement a volontairement maintenu les citoyens illustre bien en quoi la réforme qui se prépare n’est pas inspirée par une logique libérale de débat ouvert.

Faire de l’ancien avec du neuf

L’intérêt du système par points reposait et repose encore sur l’individualisation possible des paramètres.

Le principe (parfois appelé notionnel) est en effet assez simple. Tout au long de sa vie professionnelle, le salarié acquiert des points en cotisant. Ces points ont une valeur de liquidation. Une optimisation libérale de ce système consiste à supprimer l’âge légal de départ à la retraite et à laisser chacun partir à l’âge de son choix en profitant de la valeur actuarielle du point acquis.

Ce dispositif en apparence technique est en réalité simple à comprendre. Supposons qu’un point vaille 1 euro par mois versé statistiquement pendant vingt ans. L’espérance de vie moyenne d’un homme est de 78 ans. On pourrait donc laisser le choix à cet homme de partir à 58 ans à la retraite avec une valeur pleine du point. Ou bien de le laisser partir à 48 ans avec une décote de 50%.

Actuariellement, cette méthode serait neutre et ne coûterait donc pas plus cher au contribuable ou au cotisant. Elle permet à chacun d’être libre et responsable.

Curieusement, la méthode retenue par le gouvernement sclérose ces facteurs de liberté en maintenant un âge de départ minimal à 62 ans. C’est évidemment un important frein à l’individualisation des parcours que les libéraux souhaitent (dès lors qu’elle ne pèse pas sur les équilibres sociaux). Là encore, l’obsession du contrôle, de l’uniformisation, de « l’encadrement » de la société a triomphé de la liberté. Et l’on voit comment des gens de l’ancien monde, comme Delevoye ou les syndicats avec qui il a discuté, ont cherché à maintenir l’encadrement ancien de la société là où la mécanique actuarielle permettait de libérer les volontés individuelles.

L’expansion constante du domaine de l’Etat

Mais ce souci d’encadrer toujours plus la société, ce souci d’instaurer de l’ordre étatique partout où il n’existe pas encore, ne s’est pas limité à ce maintien d’un carcan obsolète. Il s’est exprimé dans une idée bien plus dangereuse et socialisante dont le gouvernement ne semble pas avoir bien estimé la portée.

En l’état, le régime général d’assurance vieillesse instaure, au nom de la solidarité, un monopole des retraites pour tous les salaires sous un plafond de sécurité sociale, c’est-à-dire sous environ 40.000 euros de rémunération annuelle brute. Du propre aveu de Jean-Paul Delevoye, le futur système triplera son espace et touchera les revenus jusqu’à 120.000 euros annuels bruts.

Autrement dit, au nom de la solidarité, environ 99% des salariés seront obligés de mutualiser la totalité de leur rémunération pour entrer sous la coupe (réglée) de cette nouvelle compagnie d’assurance monopolistique appelée l’Etat. Personne ne semble à ce stade avoir pris la mesure de l’engagement financier que cette promesse représente (ce qui est une bien coupable légèreté dans un monde où la solvabilité prudentielle est de plus en plus coûteuse). Personne ne semble (y compris au MEDEF) avoir mesuré que la création de cette nouvelle entité publique monopolistique est en conflit frontal avec le droit communautaire.

Celui-ci autorise en effet les monopoles publics au nom de la solidarité, à condition qu’ils soient limités au strict nécessaire. Or la France va devenir le seul pays européen à considérer qu’une salarié qui gagne 8.000 euros par mois relève forcément du monopole public solidaire. On demande à voir.

Dans tous les cas, il ne s’agit plus ici d’une mutualisation, ni d’une étatisation, mais bien d’une soviétisation de la retraite. L’Etat balaie tout acteur privé et monopolise une activité de marché.

Une réforme libérale aurait consisté à transformer le système actuel sous un plafond de sécurité en un système par points. Les fractions de revenus au-dessus de 40.000 euros annuels peuvent tout à fait entrer dans des dispositifs concurrentiels, comme partout en Europe.

Les salariés du privé, ces dindons de la farce

Enfin, et surtout, on attend avec impatience que le gouvernement dévoile la règle du jeu pour dénoncer la prédation que les fonctionnaires vont mener sur les salariés du privé.

En l’état, les retraites du secteur privé sont financées à hauteur de 20% du salaire par les employeurs. Les retraites du public sont financées à hauteur de 75% du salaire par l’Etat. Autrement dit, les salariés du privé paient pour leur retraite à travers les cotisations qu’eux-mêmes ou leur employeur versent. Mais ils paient aussi, par l’impôt, pour les retraites des fonctionnaires, dans des proportions très importantes.

Personne ne sait comment le gouvernement compte ne pas faire imploser les retraites des fonctionnaires dans un système où, officiellement, les règles seront les mêmes pour tous. Rien ne justifierait donc que l’Etat cotise plus que les entreprises privées pour les retraites de ses ressortissants, sauf à expliquer clairement que certains retraités bénéficient de l’impôt collectif, et pas d’autres. Rappelons en effet que l’Etat fait appel à l’impôt pour payer les retraites de ses fonctionnaires.

Le dossier est déjà très tendu, puisque l’Etat a annoncé qu’il récupérerait volontiers les réserves de l’AGIRC-ARRCO, c’est-à-dire les cotisations des salariés du privé, pour équilibrer les régimes publics. On voit poindre la logique cachée de la réforme systémique des retraites: elle baptisera « solidarité » un transfert pur et simple de moyens du secteur privé vers le secteur public.

Bref, la réforme systémique devrait rapidement ressembler à une augmentation massive d’impôts. Les salariés du privé devront accepter une dégradation moyenne de leurs pensions pour aider les fonctionnaires.

En l’état, Edouard Philippe n’a pas annoncé la date de mise en discussion de son projet de loi. On comprend pourquoi.

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