Réforme des allocations chômage : petite sociologie pour distinguer ceux qui abusent du système de ceux qui en sont vraiment victimes (et combien ils sont…) <!-- --> | Atlantico.fr
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Plus de six français sur dix soutiennent l'idée de supprimer les allocations chômage en cas de refus de trois offres d'emploi successives.
Plus de six français sur dix soutiennent l'idée de supprimer les allocations chômage en cas de refus de trois offres d'emploi successives.
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Etat des lieux

Un récent sondage réalisé sur la perception des allocations chômage par les Français révèle que près de 60% d'entre-eux seraient favorables à une suspension de l'Allocation d'aide au retour à l'emploi (ARE) au bout de 3 offres refusées.

Jean-Marie Pillon

Jean-Marie Pillon

Jean-Marie Pillon est chercheur en sociologie au Centre d'étude de l'emploi (CEE). Il travaille principalement sur la mise en oeuvre des politiques publiques en matière de chômage.

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Atlantico : Selon un sondage Viavoice pour le groupe BPCE, les Echos et France Info (voir ici), plus de six français sur dix soutiennent l'idée de supprimer les allocations chômage en cas de refus de trois offres d'emploi successives. Reste qu'il ne faut pas oublier que tous les chômeurs ne le sont pas par choix. Qui sont les "bons" et les "mauvais" chômeurs ?

Jean-Marie Pillon : L'idée qu'il y ait de mauvais pauvres, c'est à dire des pauvres qui méritent leur sort est surtout une idée toute faite. Mais c'est une idée qui ne ne date pas d'hier (Castel, 1995). Le fait que des chômeurs soient soupçonnés d'être de faux chômeurs est plus récente. Elle date en fait de la grande crise des années 1970, on a parlé alors de "chômeur golfeur" (Collomb, 2010) . L'assurance chômage avait été créée dans un contexte où le chômage n'excédait pas 1 % de la population active. Dès lors, à partir du moment où le chômage a atteint 7, 8, voire 9 % de la population active (donc des cottisants), les finances du régime d'assurance chômage sont devenues un peu moins florissante. C'est à partir de ce moment là que des acteurs politiques de premier rang – tel Michel Charasse – ont commencé à diffuser l'idée que certains des bénéficiaires de cette assurance bénéficierait d'allocations de façon immérité.

Mais il s'agit d'une assurance, pas d'une assistance, elle est perçue par des personnes qui ont cotisé et travaillé, donc des personnes aptes à travailler. Ainsi, aucune étude à ma connaissance n'a pu montrer qu'il existait des personnes qui s'organisaient pour rester au chômage.Au contraire on constate que la courbe du nombre de chômeurs suit assez rigoureusement la courbe du taux de croissance, dans un sens comme dans l'autre. Dernier exemple en date : la crise bancaire de l'automne 2008. Suite à la récession de l'année 2009, le chômage a bondi d'un tiers l'année suivante pour atteindre 10 % de la population active sans connaître d'évolution majeure depuis, tout comme le taux de croissance. D'ailleurs, quand on regarde les rythmes de retour à l'emploi des chômeurs, on constate qu'il n'y a pas de retour massif à l'emploi à la fin de la période d'indemnisation. Or, s'il existait ce que vous appelez des "mauvais" chômeurs, on constaterait qu'un grand nombre de personnes retrouveraient un emploi à la veille de perdre leur allocation. On peut donc continuer de parler de "mauvais" chômeurs si on le souhaite mais il faut alors assumer le fait de n'évoquer que des fantasmes et non la réalité.

Une approche par corps de métiers est-elle à privilégier ? Permettrait-elle de mesurer l'offre du marché de l'emploi par rapport à l'offre du marché du travail et donc de cibler les profils non motivés à retravailler ?

Les durées moyennes de chômage varient surtout en fonction de l'âge. Les jeunes gens retournent plus rapidement à l'emploi tandis que les personnes qui approchent de la retraite ont beaucoup plus de difficultés à en retrouver un. Si l'on veut s'intéresser aux effets de la profession sur le chômage, il faut prendre deux choses en compte : Les évolutions du système productif français et les évolutions des usages du contrats de travail.

En ce qui concerne le système productif, la France a perdu depuis 1975 la moitié de ses ouvriers. Un cinquième de la population active est encore occupée dans l'industrie mais ce n'est rien par rapport à ce qu'elle était à la fin des trente glorieuse. Or, les emplois industriels qui ont disparus ne sont pas n'importe quels emplois mais les emplois industriels les moins qualifiés. Dès lors, les personnes issues de ces métiers qui se retrouvent au chômage ont toutes les peines du monde à retourner à l'emploi dans la mesure où les emplois de ce type sont de moins en moins nombreux et la concurrence pour décrocher un poste est de plus en plus grande. A ce titre, les statistiques montrent que le chômage touche avant tout les personnes les moins diplômées.

En ce qui concerne les évolutions des contrats de travail, malgré les discours sur le manque de flexibilité du droit français, il existe en fait un très grand nombre de contrats précaires qui permettent aux entreprises de ne pas engager une personne à long terme. Dans de nombreux secteurs, l'usage du CDI a disparu au profit de ces contrats courts (CDD, Intérim, pige, vacation), conduisant les personnes exerçant dans ces métiers à revenir régulièrement à Pôle emploi entre deux missions. Dès lors c'est dans cet autre type de métier que l'on va trouver un grand nombre de chômeurs, sans que cela ne découle, là encore, d'un choix cynique.

Justement, restauration, plomberie, électricité... Quels corps de métiers regroupent majoritairement celles et ceux qui useraient du chômage comme d'une prestation de confort ?

Pour bénéficier d'une allocation chômage il faut avoir travaillé et donc cotisé. Dès lors, il n'est pas possible d'en bénéficier sans contribuer.

Les cadres, même s'ils connaissent majoritairement des périodes de chômage de courte durée, sont-ils également concernés ? Cela tient-il uniquement à la volonté de ces derniers de ne pas retravailler rapidement ou est-ce aussi circonstanciel, du fait d'un marché du travail en berne ?

Comme les autres travailleurs, les cadres sont dépendants de la structure du système productif, de son évolution et du taux de croissance. Les cadres ont la chance d'appartenir à l'un des groupes sociaux qui connaissent l'expansion la plus rapide. Dès lors, ils sont moins touchés que le reste de la population par le chômage. Mais, là encore ce n'est pas dû à une psychologie spécifique des cadres. C'est davantage l'orientation de l'économie française vers des produits et des services à forte valeur ajoutée qui donne un prime aux cadres du point de vue du chômage.

Certains chômeurs de longues, voire de très longues durées ont-ils tout simplement perdu prise avec le monde du travail ? Sont-ils condamnés à ne pas retravailler ? Ou difficilement, et ce même s'ils présentent des expériences professionnels dans des secteurs qui embauchent ?

Chômeur ou non, tout le monde fournit un travail, que ce soit en s'occupant de ses aïeux, de ses enfants, de ses proches ou en oeuvrant dans une association. Ce qui manque cruellement à une partie de la population c'est surtout un emploi, c'est à dire la reconnaissance monétaire de la valeur de ce travail. Pour savoir si ces personnes peuvent à nouveau travailler, il faudrait faire le test, essayer de leur proposer un travail. Or, contrairement à l'image d'épinal, dans les secteurs dit "qui embauchent" il y a en fait toujours plus de candidats que de postes à pourvoir, même si le ratio est plus faible que dans le reste de l'économie. De ce fait, par le jeu de la concurrence à l'embauche, ce sont les personnes qui ont les meilleurs références – et donc peu de chômage dans leur parcours – qui passent en premier.

Supprimer les allocations chômage en cas de refus de trois offres d'emploi successives. Cela permettrait-il sérieusement de faire reculer la perception du chômage comme prestation de confort ? Quels en seraient les effets pervers ?

Ces dispositions existent déjà peu ou prou dans le droit du travail depuis 2005. Il est même possible de radier un chômeur et de le priver de ses allocations en cas de refus de formation. Pour autant je ne suis pas certain que la perception du chômage ait beaucoup évolué à l'époque.

Quelles seraient les mesures incitatives bénéfiques de retour à l'emploi ?

Je n'ai malheureusement pas la réponse à cette question. Inciter les entreprises et l'Etat à investir pourrait sans doute avoir des effets bénéfiques sur le niveau d'emploi.

A combien le nombre de ceux qui useraient du chômage comme d'une prestation de confort est-il évalué ?

Il faut bien avoir à l'esprit que plus de la moitié des personnes inscrites à Pôle emploi ne sont pas indemnisés. Cela signifie que plus de 2 millions de personnes font le choix de bénéficier des services de Pôle emploi mais aussi de subir ses contrôles, sans pour autant bénéficier d'un revenu de remplacement. Dès lors, votre question ne porte que sur la moitié des chômeurs. Parmi ceux-ci je dirais entre 0 et 100 %. Tous les chômeurs qui bénéficient d'une allocation chômage ont des conditions de vie supérieures à ce qu'elle serait s'ils ne bénéficiaient d'aucun revenu de remplacement. Aucun en revanche ne gagne plus en étant au chômage qu'en travaillant.

Propos recueillis par Franck Michel / sur Twitter

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