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Réforme de la SNCF : ces doutes dans la tête compliquée des Français
©LUDOVIC MARIN / AFP

Tu veux ou tu veux pas ?

Un soutien de la réforme qui n'est pas écrasant et une solidarité vis-à-vis des cheminots... Les Français ne savent pas vraiment que faire de cette réforme de la SNCF.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Les récentes enquêtes d’opinion semblent montrer que l’opinion publique est majoritairement en faveur du projet de réforme de la SNCF, mais deux éléments nuancent ce constat : d’une part, ce soutien n’est pas écrasant puisqu’il est de l’ordre de 6 Français sur 10, un niveau finalement pas si fort que cela pour une réforme que le gouvernement motive par la dette de l’entreprise et la dégradation du service qu’elle propose aux usagers; d’autre part, l’opinion manifeste dans le même temps des signes de compréhension vis-à-vis des grévistes même si cette compréhension sera mise à rude épreuve par la durée des grèves

Si tous les analystes s’accordent sur l’idée que le printemps 2018 n’est pas l’hiver 1995 (Emmanuel Macron n’étant pas en porte-à-faux avec le message de sa campagne contrairement à Jacques Chirac en 1995) et moins encore le printemps 1968, on peut néanmoins observer trois éléments potentiellement problématiques pour l’exécutif : tout d’abord, le train des réformes semble aujourd’hui bien chargé (trop chargé ?) ; ensuite, les passagers à bord commencent à discuter de la vitesse du train et des raisons d’être monté à bord avec moins d’enthousiasme et plus de divergences d’opinions ; enfin, plusieurs convois semblent hésiter sur la convergence de leur destination finale. 

Ces opinions divergentes se retrouvent bien dans les discussions de la communauté POP by BVA. La tonalité et le contenu des opinions exprimées rappellent les grands ressorts des argumentaires d’opinion dans les situations de conflits d’interprétation. Ainsi, le registre fataliste et désabusé est utilisé par plusieurs membres de la communauté, comme le résume l’un des membres à propos des différentes mobilisations : « sauf à s'aveugler, la mondialisation durera (…) et donc les adaptations seront nécessaires ».

Ou alors le registre de la dénonciation des syndicats soupçonnés de jouer contre l’intérêt du pays : un membre de la communauté parle des « habitués des manifs », un autre déclare que la «CGT a été et restera toujours limitée dans ses réflexions, elle ne comprend que les manifestations au lieu de construire l'avenir des Français avec le gouvernement ».

Enfin, le registre de la dénonciation du gouvernement qui brade le service public : « la grève, les blocus, les gels d'activités sont des bons moyens de négociations (…) je soutiens les grévistes et même si cela va m'occasionner quelques dérangements (…) sans services publics ont fait quoi ? » nous dit une membre de la communauté.

D’autres dénoncent un gouvernement qui veut « diviser pour mieux régner » et laissent ainsi éclater leur colère : « comme pour La Poste, France Télécom, EDF/GDF, l’Etat sabote ces établissements pour monter les clients contre ces mêmes établissements, ce qui a pour effet de remonter la population contre ces fonctionnaires pour mieux l'offrir au privé qui va licencier, augmenter les prix et gaver ses actionnaires ! ».

La « convergence des luttes », expression mythologique dans l’imaginaire politique français, est évoquée par plusieurs : « la grogne sociale est partout en ce moment, ça fait effet boule de neige un peu comme en Mai 1968 (…) il y a du mécontentement partout », « ça craque partout ». 

De forts clivages d’interprétations existent donc entre les membres de la communauté POP by BVA et une pluralité d’opinions se cachent derrière l’apparence d’un soutien majoritaire aux réformes. Cette pluralité évoque les trois modes et répertoires d’action dont parle Albert Hirschman dans son célèbre livre publié en 1970 (Exit, Voice, and Loyalty : Responses to Decline in Firms, Organizations and States). Il montre que les individus (qu’il s’agisse des consommateurs face à une entreprise ou des citoyens face aux organisations politiques ou aux gouvernements) ont à leur disposition trois choix lorsqu'ils sont mécontents :  la réaction silencieuse (exit : changer la marque ou le candidat que l’on soutenait auparavant) ; le renoncement à l'action (loyalty : rester fidèle) ou la protestation (voice : la prise de parole, la manifestation et la mobilisation).  

Les données enregistrées en interrogeant la communauté POP by BVA montrent que des divergences d’opinions avec les projets de réforme tous azimuts commencent à se durcir, même si l’exécutif bénéficie toujours du soutien d’une autre partie de la population. Si la fameuse « convergence des luttes » relève sans doute plus du mythe que de la réalité, on entrevoit dans les mots utilisés des éléments de « montée en généralité » au-delà du cas de la SNCF. Un signal d’alarme ? Sans doute pas encore mais des signaux d’alerte sans aucun doute. Au fait, sur le site de la SNCF on peut lire que « le signal d’alarme est relié au système de freinage. Lorsqu’il est activé, le train s'arrête immédiatement. Il ne repart qu’une fois la situation analysée et gérée par le personnel de bord »…

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