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Élections de mai : tensions chez les présidents d’université ?
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Du rififi chez les profs

Anne Fraïsse, vice présidente de la Conférence des présidents d’université, est contre la loi relative aux libertés et responsabilités des universités et n'a pas hésité à monter au créneau. Dans une lettre à François Hollande, elle exprime clairement sa déception. Le candidat socialiste ne comptant ni supprimer ni même corriger la loi.

Roger Célestin

Roger Célestin

Roger Célestin est journaliste.

Il écrit pour Atlantico sous pseudonyme.

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Plusieurs présidents d’université souhaitent toujours la suppression de loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités, dite loi LRU ou loi Pécresse, brandie par Nicolas Sarkozy et l’UMP comme un succès majeur du quinquennat.

Le sujet n’a jamais été débattu officiellement lors du dernier congrès de la CPU (Conférence des présidents d’université – l’association, qui fédère 103 présidents d’universités et directeurs d’instituts ou d’écoles) à Marseille, du 8 au 10 février 2012, mais il a fait la une des conversations dans les couloirs. Une femme est à l’origine de toute cette agitation : Anne Fraïsse, vice présidente de la CPU et présidente de l’université de Montpellier-III Paul Valéry.
La loi prévoit que toutes les universités soient d’ici le 1er janvier 2013 budgétairement autonomes et qu’elles gèrent elles-mêmes leurs personnels et leur immobilier, dont elles deviennent propriétaires.
Les opposants – présidents - n’ont jamais accepté que la CPU soutienne la mise en place de cette loi. La campagne électorale est pour eux l’occasion rêvée de remonter au créneau. Et s’ils doivent tous s’exprimer avec la virulence d’Anne Fraïsse, alors cela fera du bruit et l’unanimité de façade de la CPU risque de voler en éclats.
Car Anne Fraïsse est très déçue par François Hollande. Elle comptait peut-être sur le candidat socialiste pour corriger sérieusement ou, mieux, supprimer la loi. Mais ce n’est pas ce qu’il fera. Alors, elle lui a dit son désaccord en termes clairs, nets et précis, dans un courrier adressé le 7 février 2012 au candidat du PS (Un scoop de l’agence de presse spécialisée AEF via sa correspondante en Midi-Pyrénées Gwenaëlle Conraux).
Qu’on se le dise : "Les premiers axes de votre programme en matière d'enseignement supérieur nous consternent et nous voulons vous faire part de notre surprise et de notre colère devant les orientations que l'on annonce", écrit Anne Fraïsse, qui a manifestement voulu taper du poing sur la table, avant que François Hollande ne rende publiques ses propositions en matière d'enseignement supérieur et de recherche. En 2009 déjà, nous rappelle AEF, avec neuf présidents d'université, elle avait lancé "l'appel de la Sorbonne" demandant le retrait de "tous les projets de réforme controversés".
D’éventuels aménagements de la loi LRU, Anne Fraïsse n’en veut pas. Ce qu’il faut, écrit-elle, c’est "une rupture radicale", "en cessant d'opposer enseignement et recherche pour replacer les étudiants au coeur du dispositif, en restituant aux personnels d'enseignement les moyens d'étudier et de travailler, en luttant contre la précarisation et la paupérisation des personnels IATSS (ingénieurs, administratifs, techniciens, personnels sociaux et de santé), en redistribuant plus équitablement les crédits entre les différents établissements".
C’est clair: Anne Fraïsse n’apprécie pas la liberté et l’autonomie, un marché de dupes car les moyens ne sont pas au rendez-vous promis, selon elle. Pourtant des milliards d’euros sont injectés dans les universités à travers le grand emprunt. Et l’Etat a commencé à rattraper son retard. De 2007 à 2012, le budget consacré par l’Etat aux universités est passé de 10 à 15 milliards d’euros. Mais il est vrai que cela reste inférieur aux moyens dont disposent les universités américaines par exemple. Au moins pour deux raisons : en France, les droits d’inscription des étudiants restent symboliques, à cause de l’opposition idéologique et dogmatique du principal syndicat étudiant l’Unef, et la collecte des fonds des entreprises et des anciens n’en est qu’au démarrage, en partie parce que pour beaucoup d’universitaires, comme d’enseignants du secondaire, "entreprise privée" = "affreux, sale et méchant", pour paraphraser Ettore Scola.
Anne Fraïsse conteste la méthode des appels à projets et du jury présidé par un suisse, ancien président de l’association des universités européennes, qui permet de faire des choix dans l’affectation des fonds. Elle préférerait un fléchage direct d’une administration parisienne.
Le grand généticien Axel Kahn dit qu’il préfère une université autonome à une université sous tutelle. Anne Fraïsse, elle, veut un "service public de l'enseignement supérieur et de la recherche" (mais oui, tout le monde est d’accord, mais comment le financer, comment l’évaluer, et comment doit-il fonctionner ? Comme une administration soviétique ou comme une organisation dynamique ?) et une "université d'État au service de la France".
Nous y voilà. Vaste programme d’une autre époque : le retour de l’Etat, dans toute sa splendeur centralisatrice et bureaucratique, avec son cortège d’incompétences crasses, de gaspillages honteux, d’administrations autant pléthoriques qu’inefficaces. Cela sent la  nostalgie des pays communistes. Tout le monde pareil, avec les mêmes crédits, pas une tête qui dépasse, et camp de rééducation pour les déviants ! Au secours. C’est la même position que celle défendue par l’association SLR (Sauvons La Recherche) qui ne votera pas Hollande, ou alors du bout des doigts et en se bouchant le nez (communiqué du jeudi 26 janvier 2012) : "Plutôt que de réformer une mauvaise réforme, il faut au contraire la remplacer par une autre loi fondée sur des principes radicalement différents. S'il faut parler d'autonomie, c'est d'abord de celle du savoir scientifique et de ses acteurs, plutôt que de parler de l'autonomie des établissements qui s'apparente trop à une privatisation rampante".
Anne Fraïsse et SLR font comme s’ils ne savaient pas que la politique universitaire d’avant la loi LRU a accumulé les mauvais résultats et les pratiques scandaleuses, au profit des mandarins, au détriment des étudiants, de la recherche, des entreprises, du pays. En réalité, ils le savent très bien, mais ils sont de cyniques politiques qui prennent les autres pour des gogos.
Pourquoi notre pays continue-t-il à produire des oppositions aussi datées, périmées, tranchées et stériles, aux évolutions, aux transformations ? Pourquoi cette gauche extrême est-elle aussi forte en France ? Elle déteste tout ce qui gouverne, rejette tout ce qui est social-démocratie, ne veut pas plus de la gauche que de la droite. Lionel Jospin ministre de Éducation nationale par exemple, connu de grands mouvements de lycéens et d’étudiants, contre les réformes. Pour ce qui concerne Valérie Pécresse, si les provocations stupides du sarkozysme ont représenté un gros handicap, sa maîtrise des dossiers, sa résistance et son respect des interlocuteurs, lui ont permis de déboucher sur une loi correcte, sans trop de casse sociale, ce qui, dans le contexte, relève de l’exploit.
Alors que la Chine a tourné le dos au communisme, que Cuba s’apprête à le faire, que l’URSS et ses satellites ont explosé, que le parti communiste français est un mort-vivant, pourquoi ces universitaires minoritaires continuent-ils obstinément à refuser toute évolution et au nom de quel droit instrumentalisent-ils à la première occasion les étudiants pour les mettre dans la rue ?
Alors, bien sûr que la loi LRU n’est pas idéale. Bien sûr que les modalités imparfaites du transfert des moyens sont un vrai problème. Le nouveau système connaît des ratés (mais l’ancien en produisait aussi son lot) ce qui est normal, tant les changements sont importants, qu’on pourrait résumer en un seul mot : "professionnalisation". Les universités sont en train de passer, en terme de gestion au moins, d’un dangereux amateurisme à des standards normaux.
Car la loi LRU a cet immense mérite d’avoir engagé les universités sur la voie d’une modernisation qui n’était pas du luxe, mais la condition sine qua non de leur survie. Et un jour peut-être, les universitaires, mais aussi les étudiants et les chefs d’entreprises notamment, remercieront Valérie Pécresse d’avoir permis aux universités de se rapprocher du monde réel, de quitter l’univers parallèle de Jurassic Park dans lequel elles s’ébrouaient au ralenti, telles des dinosaures, pendant que leur environnement se transformait à la vitesse du micro-processeur.
Pour mesurer l’archaïsme d’Anne Fraïsse, on peut par exemple lire la biographie de Steve Jobs, notamment les premiers chapitres qui montrent l’émergence de la Silicon Valley, dans les années 60. Et comment les investissements massifs et concentrés de l’armée américaine permettent le développement fulgurant et sur la durée de l’industrie électronique, qui donnera l’informatique, en lien étroit permanent avec les meilleurs chercheurs. Récit du biographe de Steve Jobs, Walter Isaacson, ancien dirigeant de CNN et Time Magazine, actuellement PDG de l’Institut Aspen : "Dans la Silicon Valley même les brebis galeuses étaient ingénieurs". Steve Jobs : "Quand on est arrivés ici , il y avait des abricotiers et des pruniers à tous les coins de rue. Mais cela s’est développé très vite avec les recherches militaires" à partir de la fin des années 50. Walter Isaacson : "Une multitude de sociétés travaillant pour la défense se développèrent durant les années 1950".
La Lockheed Missile & Space Company, qui construisait des missiles balistiques pour sous-marin, fut créée en 1956, juste à côté du centre de recherches de la NASA ; quatre ans plus tard, à l’arrivée des Jobs, la société employait déjà vingt mille personnes. ( ...) Il y avait des sociétés sous contrat avec l’armée à tous les coins de rue, se rappelait Jobs. "Il planait dans l’air un parfum de mystère et de haute technologie. C’était très excitant. Dans le sillage des entreprises oeuvrant pour les militaires, le secteur des industries de pointe se développa à vitesse grand V. Tout commença en 1938, quand Dave Packard et sa femme emménagèrent dans un appartement, au rez-de-chaussée d’une villa à Palo Alto ; il y avait, à l’arrière de la maison, une remise qu’occupa bientôt Bill Hewlett, l’ami de Packard. (...) Heureusement, un lieu fut mis à la disposition des entrepreneurs qui trouvaient leurs garages trop exigus : Frederick Terman, le directeur de la faculté d’ingénieurs de l’université de Stanford, créa une zone industrielle de trois cents hectares sur le campus de l’université, pour que des sociétés privées puisse développer et commercialiser les idées des étudiants. (...) Avec cette idée de génie, Terman fit de la vallée le berceau de la haute technologie, m’expliqua Jobs. Lorsqu’il eut dix ans, HP comptait neuf mille employés et c’était l’entreprise high tech où tout ingénieur, souhaitant une stabilité financière, rêvait de travailler".
Voilà pourquoi, après y avoir pensé dès 1968, l’armée américaine conçoit, finance et développe à partir de 1973 le système du GPS (qui sera terminé en 1995). Son équivalent européen, le système Galileo, sera opérationnel en 2014, presque 20 ans plus tard, dans le meilleur des cas.
Voilà pourquoi les géants Apple (première capitalisation boursière mondiale), Microsoft, Oracle, Google ou Facebook sont nés aux Etats-Unis alors que c’est un français qui avait inventé le micro-ordinateur.
Voilà pourquoi des centaines de jeunes et brillants chercheurs français s’installent aux Etats-Unis. Parce que qu’on est jeune, brillant et ambitieux, pour sa discipline, pour son pays et pour soi-même, l’environnement proposé par certains présidents comme Anne Fraïsse manque pour le moins d’attractivité.
Je rêve d’une conversion miraculeuse qui pourrait toucher Anne Fraïsse, spécialiste de la Bible, des débats théologiques sur la nature du Christ et des hérésies, qui la transformerait en présidente d’une université résolument en partenariat avec les entreprises, pour le plus grand profit d’une recherche aux moyens (privés et publics) renforcés, et donc scientifiquement plus puissante, et pour le plus grand profit d’étudiants et docteurs à l’insertion professionnelle améliorée.

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