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Refondation de la droite : l’alliance entre libéraux et conservateurs est-elle encore possible à l’ère de Macron et de la mondialisation ?
©Wikimedia Commons

Une questin de valeurs ?

Les militants du parti Les Républicains ont répondu à un questionnaire pour permettre l'élaboration d'un rapport sur "la refondation de la droite et du centre". La droite doit-elle entrer dans une nouvelle ère ou regarder encore vers le passé ?

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Les conclusions des Ateliers de la refondation, organisés par Bernard Accoyer viennent d'être publiées. La question générale posée portait sur l'avenir de la droite. Faut-il considérer (comme semble le pense par exemple Patrick Buisson) que l'unification des libéraux et conservateurs/identitaires serait impossible et que le macronisme aurait ouvert une nouvelle ère pour la droite ? Ou doit-on considérer que la droite est en train de surjouer ces différences idéologiques par un manque de pragmatisme ?

Edouard Husson : Le document issu des Ateliers de la Refondation n’est pas sans intérêt. Mais il juxtapose beaucoup d’éléments sans proposer de synthèse unificatrice. Je sais bien que le parti veut laisser du champ aux candidats à la présidence pour proposer leur synthèse à partir des éléments rassemblés. On a le droit d’être très sceptique. On est très loin de la dynamique qui avait précédé la victoire de Nicolas Sarkozy. Les institutions de la Vè République réclament trois composantes d’une campagne réussie : une personnalité de chef, une ambition ou plutôt un rêve mobilisateur, un large rassemblement de forces politiques. Le droite n’a pas de chef, on cherche en vain le rêve mobilisateur et rien ne nous dit que LR sera capable d’attraper des électeurs sur sa droite et sur sa gauche quand on est incapable en interne de surmonter le clivage entre libéraux et conservateurs. Dans le rapport, il y a, à première vue, tous les éléments : on y entend parler de la France périphérique, de la nécessité de s’adresser en même temps à la France d’en haut et à celle d’en bas ; de mise en cause de l’hégémonie culturelle de la gauche ; d’un conservatisme à la britannique ; d’une position ferme et intégratrice vis-à-vis de l’Islam ; d’entrepreneuriat ; de retour à l’exercice des fonctions régaliennes etc…. Et pourtant, le texte est obsédé par le passé, par les dissensions internes, incapable de regarder le monde extérieur, d’une indigence effrayante sur le troisième révolution industrielle. Ce texte s’appuie sur beaucoup de réflexions intéressantes ; des experts de talents ont été consultés ; mais il en tire très peu. On ne peut même pas dire que l’ombre pesante de Patrick Buisson pèserait sur le texte, même pour rejeter sa forme de conservatisme. Le résultat est en fait un puzzle non assemblé.

La droite ne souffre-t-elle au contraire pas de l'incapacité qu'elle a eu à trouver une cohérence entre sa volonté de préserver une certaine identité française et celle de reformer profondément l'économie sur des bases libérales ? Quelle pourrait-être la ligne commune qui unirait ces deux tendances de la droite ?

Le texte est plein de questions du passé. Et il ne traite aucune des questions essentielles de l’époque. Je l’ai peut-être lu trop vite mais je n’y vois pas parler de l’Allemagne, notre partenaire pour le meilleur et pour le pire. L’Europe dont il est question est désincarnée. On n’y parle pas de l’espace Schengen, qui a lamentablement échoué à assurer la sécurité du continent. Rien sur la Russie ni sur la Méditerranée ni sur le projet chinois OBOR (« One Belt. One Road », aussi appelé « Nouvelle Route de la Soie ») ; ni sur les Etats=Unis de Donald Trump. Ni sur le Brexit. Ni sur la francophonie qui sera l’une des forces motrices du monde à l’échéance d’une génération. Le débat entre réactionnaires et mondialistes (une description plus exacte de ce qui oppose, disons, Patrick Buisson et Dominique Reynier, que l’opposition conservateurs/libéraux). La droite ne peut pas en permanence regarder vers un passé révolu, que ce dernier s’appelle de Gaulle, Pompidou ou Sarkozy. Elle ne peut pas non plus vivre entièrement selon le logiciel de l’ouverture totale des frontières, du multiculturalisme, de l’absence de sens critique qui caractérisent les grands cénacles internationaux. Le texte rend justice, un peu tard, à l’effort de rigueur intellectuelle d’un François Fillon mais cet exercice de nostalgie stérile ne nous aide pas plus que le reste à sortir de la faiblesse fondamentale de la droite : dans une mondialisation désormais polycentrique, menée par la Troisième Révolution Industrielle, caractérisée par un fort besoin d’enracinement de l’individu confronté à la complexité globale, il s’agit d’affirmer haut et fort la modernité de la France, sa capacité à transmettre une langue, une culture, des savoir-faire, une créativité qui continuent à intéresser à condition que nos élites sortent de leur mélange d’arrogance et de provincialisme. Je veux bien que l’on cite de Gaulle, si c’est pour se souvenir, avec lui, qu’ « il existe un pacte vingt fois séculaire entre la France et la liberté du monde ». J’aurais aimé que l’on parle de vocation et non d’identité française dans les Ateliers de la Refondation ; qu’on y regarde résolument vers l’avenir ; qu’on formule un nouvel humanisme européen face aux apprentis sorciers du transhumanisme. Il est possible de ne pas s’enfermer dans l’opposition entre libéraux et conservateurs. A condition de parler du monde tel qu’il est, à la recherche de nouveaux équilibres, en particulier monétaires, commerciaux, diplomatiques.  

En prenant en compte la spécificité politique française, et sans vouloir importer quelque "modèle" que ce soit, quels sont les exemples étrangers pouvant inspirer la droite aujourd'hui ?

Le rapport s’étend assez longuement sur le renouveau intellectuel du conservatisme britannique, qui a commencé sous David Cameron. On regrettera qu’il ne prenne pas plus appui sur l’expérience britannique dans une plus longue durée. La Grande-Bretagne est actuellement le laboratoire d’un renouveau du modèle politique occidental. David Cameron avait commencé à mettre en cause le thatchérisme, en réhabilitant « la société ». Qu’il faille aller beaucoup plus loin, le Brexit l’a montré. La grand peuple britannique s’est levé pour sortir les élites mondialisées de leur sommeil dogmatique. Rien n’est plus impressionnant dans l’histoire récente que la manière dont le parti conservateur britannique, alors que ses députés avaient été majoritairement opposés au Brexit, a respecté, au parlement, le vote populaire. Depuis lors des élections législatives anticipées ont confirmé que le peuple britannique attend un retour à la nation, une lutte contre les inégalités sociales. Jeremy Corbyn et Theresa May ont été incapables d’une victoire décisive en juin 2017 car chacun a gagné à lui une partie des électeurs du Brexit. Theresa May avait de bonnes cartes en main et elle a raté de peu la majorité mais elle n’a pas réussi à faire venir au parti conservateur un électorat populaire qui a voté la sortie de l’Union Européenne mais voudrait, plus profondément, une protection contre les excès de la mondialisation néolibérale. Au moment où, avec Angela Merkel, la démocratie chrétienne allemande est tombée durablement dans l’insignifiance doctrinale et les errances politiques, la droite française a intérêt à se tourner plus vers la Grande-Bretagne, vers un parti conservateur qui tâtonne mais est sur la bonne voie. Le mot d’ordre devrait être : ni populisme ni mondialisme ; ni Trump ni Merkel.  Paris et Londres ont beaucoup de choses à se dire.  

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