Referendum en Turquie : Erdogan va maintenant devoir assumer sa toute puissance et délivrer les résultats économiques et sociaux attendus par les Turcs <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Referendum en Turquie : Erdogan va maintenant devoir assumer sa toute puissance et délivrer les résultats économiques et sociaux attendus par les Turcs
©Reuters

Fil à la patte

Même si ce n'est pas la victoire écrasante qu'attendait Recep Tayyip Erdoğan, plus rien ne l'empêche de mener à bien la réforme de la constitution qui transforme la Turquie en régime présidentiel fort taillé à sa personne.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

Voir la bio »

Le résultat du référendum turc est tombé le 17 avril matin avec une victoire de plus de 51,3% de « oui ». Même si ce n'est pas la victoire écrasante qu'attendait Recep Tayyip Erdoğan, plus rien ne l'empêche de mener à bien la réforme de la constitution qui transforme la Turquie en régime présidentiel fort taillé à sa personne.

Pour parvenir à ses fins, il a utilisé cette méthode du référendum car les élections législatives de novembre 2015 lui donnaient la majorité absolue nécessaire au parlement. Par contre, celles de juin de la même année l’avaient empêché de lancer cette réforme parce que le HDP (Parti démocratique des peuples) avait effectué une percée qui l’avait privé de la majorité nécessaire pour que l’assemblée vote la révision de la constitution validée ensuite par un référendum. Il en a d’ailleurs beaucoup voulu aux Kurdes car il espérait que les négociations menées avec les activistes du PKK à son initiative et qui, certes, avaient abouti à des progrès considérables, ne lui avaient pas « renvoyé l’ascenseur ». En effet, ces derniers avaient préféré apporter leurs voix au HDP (mouvement politique qui regroupe majoritairement des Kurdes mais aussi des Turcs socialistes-progressistes) qu’à l’AKP (Parti de la justice). Le résultat ne s’est pas fait attendre : la guerre civile a repris dans le Sud-est de la Turquie et les principaux responsables du HDP se sont retrouvés en prison pour terrorisme alors que c’est par eux qu’avaient transité les pourparlers de paix.
Quant à la réforme constitutionnelle, elle donne globalement les pleins pouvoirs au président, supprime le poste de Premier ministre et l’indépendance de la justice devient un lointain souvenir. Mais sur le fond, elle ne fait qu'entériner ce qui existait déjà. A savoir que depuis son élection à la présidence en 2014 (il est le premier président turc a être élu au suffrage universel), le premier ministre était déjà réduit à un rôle de potiche et la justice sévèrement contrôlée. Mais la victoire au référendum inscrit dans le marbre le retour officiel du « nouveau Sultan », résultat d'un processus « démocratique ».
D'ailleurs, si le « evet (oui) » l’a emporté, c’est parce qu'Erdoğan bénéficie toujours d’un soutien populaire important. Il est à noter que lui et son parti n'ont jamais perdu une élection depuis 2002 sans avoir besoin de "bourrer les urnes". Les réclamations déposées aujourd'hui par l'opposition n'aboutiront certainement pas.  Ses partisans sont toujours derrière lui en raison d’une réelle politique sociale efficace, d’une amélioration notable des services publics et surtout, parce qu’il leur offre en pâture des « ennemis » intérieurs (les « traîtres », les « terroristes » et les « putschistes ») et extérieurs (les Européens comparés à des « Nazis »). Il profite aussi du sentiment d’orgueil patriotique très exacerbé en Turquie. Enfin, les partis d'opposition sont bien trop divisés et ont une image corrompue qui les empêche de présenter une alternative fiable.
Mais tout cela a crée un climat détestable au sein des populations turques (en exacerbant en particulier les tensions séculaires existant entre les Turcs et les Kurdes) qui ont, comme tous les méditerranéens, le sang chaud.
Les expatriés résidant à l’étranger - très majoritairement en Europe et surtout en Allemagne - le vivent très mal et s’opposent très violement. Il est probable que ce clivage perdurera. Cela dit, il ne faut pas exagérer l’importance des votes de la communauté turque à l’étranger qui compte quelques sept millions d’individus dont moins de cinq millions vivent en Europe et beaucoup ne sont pas allés voter. La population totale turque atteint désormais les 80 millions !
Maintenant, l'ère des règlements de comptes est venue et la chasse aux partisans du "non" est ouverte. Le "dialogue respectueux" en Turquie appelé par les voeux de Merkel risque bien de rester lettre morte.
D’abord, il faut que le pouvoir sache qui a voté quoi. Je pense que ses services de renseignement (en particulier le Millî İstihbarat Teşkilatı ou MİT, l’Organisation nationale du renseignement chargée de l’extérieur - mais aussi de l’intérieur - ) ne vont pas avoir trop de difficultés à le déterminer car ils sont particulièrement performants. Nul doute que les maigres manifestations pour le « non » ont été largement couvertes par les espions turcs et ils ne manquent pas d’informateurs infiltrés pas dans les associations et les lieux de culte qui sont placés sous l’autorité de la Présidence des Affaires Religieuses (Diyanet İşleri Başkanlığı) qui dépend directement du Premier ministre (et bientôt de la présidence). Les listings des opposants doivent déjà être sur les bureaux des différents services de police turcs. Et même ceux qui se seront abstenus pour « éviter des ennuis » seront catalogués comme des "opposants potentiels" au président Erdoğan. De nos jours, c’est une position qui est loin d’être confortable. En Turquie même, ils risquent leur emploi quand ce n’est pas le passage par la case prison suivie par des condamnations émises par des juges déjà aux ordres (sinon, ils ne sont plus juges). Les motifs de griefs ne manquent pas : « putschiste » même si l’on n’a rien à voir avec la chose militaire, « traître » si l’on a montré un jour un intérêt quelconque pour la confrérie Gülen (il suffit d’être passé dans un de ses établissements scolaires ou de santé pour être suspect) ou d’être kurde ce qui constitue un à priori défavorable car l’on est alors soupçonné d’être un « terroriste » en puissance quand on n’a pas fait la preuve d’être aux côtés des autorités, par exemple en rejoignant les gardiens de villages ou le Hezbollah turc (à ne pas confondre avec le Hezbollah libanais).
Les règlements de comptes auront aussi lieu à l'étranger, pour commencer dans les représentations diplomatiques et les sociétés turques présentes sur place. Il faut se rappeler que nombre de militaires qui servaient à l’extérieur (Attachés de défense, détachés auprès de l’OTAN) ont demandé l’asile politique suite au putsch alors qu’ils ne pouvaient pas y avoir participé directement. Visiblement, ils ne faisaient déjà pas confiance à la clairvoyance du pouvoir et de la justice turque ! Pour l’ensemble des Turcs présents à l’étranger, ils peuvent avoir du souci à se faire pour leurs familles restées au pays qui risquent d’être l’objet de brimades administratives ou autres. Les catalogués « opposants » n’ont pas intérêt à leur rendre visite car ils pourraient finir dans un cul de basse fosse.
La passion de l’élection étant passée et Erdoğan occupant désormais officiellement le poste qu’il convoitait depuis tant d’années se retrouvant dans la position d’un « Atatürk religieux », il pourrait faire retomber la pression en faisant preuve de mansuétude. Mais c’est curieux, je ne pense pas que cela soit vraiment dans son caractère. Cet homme paraît avoir la rancune tenace.
De plus, il pourrait briguer deux nouveaux mandats lui assurant la présidence jusqu’en 2029 ce qui va rendre l’exil assez long pour certains. Mais il devra tout de même passer par deux élections présidentielles. Il doit donc impérativement continuer à développer l’économie de la Turquie pour assurer le bien-être de ses administrés et surtout, de ses électeurs. Or l’économie passe obligatoirement par des relations internationales harmonieuses. La tension avec l’Europe devrait connaître une accalmie, du moins à moyen terme même si l'entrée dans l'UE ne semble plus être à l'ordre du jour(1). Erdoğan a menacé de lancer un référendum à ce sujet et il est probable que nous assisterons à un "Turcxit" avant même que la Turquie n'y soit rentrée! 
Il fera ce que tous les pouvoirs turcs ont fait depuis Atatürk, jouer les uns contre les autres : les Américains contre les Russes (et inversement), les Européens contre les pays arabes et turciques (et inversement)... Il va surtout privilégier les rapports bilatéraux au cas par cas selon ses intérêts à court terme. Et aucun Etat n'est prêt à prendre des sanctions contre ce pays "pont entre l'Orient et l'Occident", mais surtout un débouché économique plus qu'intéressant. Enfin, pour les grandes "démocraties" que sont la Russie, les pays du Proche et Moyen-Orient, le fait qu'Erdoğan soit leur interlocuteur direct et unique ne les gêne pas outre-mesure, bien au contraire, cela va apporter une certaine stabilité propice aux affaires.
1. L'auteur a toujours douté - depuis le début des années 1990 - de la réelle volonté d'Ankara (en dehors de la frange intellectuelle et affairiste stambouliote) d'entrer dans l'UE. En réalité, cela a surtout servi de moyen de chantage vis-à-vis de Washington: "si vous nous lâchez, on se tourne vers l'Europe". Après l'arrivée de l'AKP au pouvoir, c'était un moyen de museler l'armée qui était considérée comme son principal adversaire.   

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !