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Réduire la population carcérale, oui, mais en emprisonnant plus longtemps les criminels violents
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Derrière les barreaux

La France fait face à de lourds et récurrents problèmes de surpopulation carcérale. Construire de nouveaux établissements pour accueillir les détenus n'étant pas à l'ordre du jour, il convient de chercher d'autres solutions.

Thibault de Montbrial

Thibault de Montbrial est Avocat au Barreau de Paris, Président du Centre de Réflexion sur la Sécurité Intérieure.

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Atlantico : La surpopulation carcérale est particulièrement visible aujourd'hui. Le syndicat national des directeurs pénitentiaires fait état d'un chiffre affolant : 68 000 détenus sont aujourd'hui incarcérés pour 57 000 places. Comment en sommes nous arrivés là ?

Thibault de Montbrial : Il y a une conjonction de plusieurs choses. À la base, c’est un fait, il n’y a pas assez de places de prison en France par rapport à la population du pays. Si on prend le ratio entre le nombre de places de prison et le nombre d’habitants on est dans le dernier tiers européen. Egalement, il y a plusieurs dizaines de milliers de places de prison en moins en France que pour le seul Etat de New York aux États-Unis. Il ne s’agit pas de porter un jugement mais de mettre des réalités en perspective avec des chiffres.

Une deuxième raison trouve ses racines dans l'évolution de la réaction pénale, l'évolution de la manière dont les sanctions sont prononcées. Il y a désormais tout un tas de délits notamment routiers, qui sont sanctionnés par de la prison alors qu’ils ne l’étaient pas avant. On a donc une nouvelle population qui va en prison, qui n’y allait pas avant, et qui n’est pas une population criminogène au sens où on l’entend habituellement. C'est une population de gens qui sont normalement intégrés, qui commettent une erreur grave (tous les délinquants routiers ne vont pas en prison, ce ne sont que ceux qui commettent les plus graves délits), mais qui n’y allaient pas avant et qui viennent évidemment s’ajouter à la population de droit commun.

Il y a également une augmentation de la délinquance violente qui vient s’ajouter. Ça a déjà été le cas par le passé mais depuis quelques années il y a un retour de cette délinquance avec la crise et toutes les difficultés qu’on connaît. C’est un phénomène assez normal, qui s’explique, mais c’est un phénomène réel.

Au vu des difficultés budgétaires que connaît la France aujourd'hui, peut-on réagir à ce phénomène ? Faut-il emprisonner plus longtemps les criminels violents, quitte à laisser aller les plus petits ?

La justice française a un vrai problème dans sa relation à l’emprisonnement. C’est-à-dire qu’on a tout un tas de délits parfois assez graves qui ne sont pas sanctionnés de prison dès le début. Les sursis s’accumulent, le délinquant considère qu’il ne risque rien, et a donc un sentiment d’impunité. Mais, un jour il prend une peine qui est assez conséquente. Par ailleurs il y a des gens qui vont en prison pour des délits qui sont objectivement graves mais qui sont des gens déjà insérés, qui ne sont pas des délinquants, après un accident par exemple. Le système fonctionnerait beaucoup mieux si on relisait les grands auteurs, notamment Beccaria, et s'il se mettait en place sans états d’âmes mais avec discernement, sur le principe d’une certitude de la sanction pénale. Si les délinquants étaient certains d’être condamnés, et de façon significative, c’est-à-dire qu’ils sentent la répression dès le début, même avec des peines très courtes, dès lors, le phénomène de dérive vers la délinquance qu’on observe serait ralenti.

Il faut bien évidemment aussi construire des places en prison, même si les contraintes budgétaires sont difficiles. Le ratio est simple : si la société est incapable de mettre en prison les criminels, ou si elle est incapable de le faire dans de bonnes conditions et dans la dignité, cela lui reviendra bien vite plus cher que ce qu'elle aurait dépensé pour construire de nouveaux établissements pénitentiaires.

Il ne faut pas avoir d’états d’âmes sur les crimes violents et sur la délinquance professionnelle. Quand un délinquant se trouve être quelqu’un qui a pris une décision, se trouve être un récidiviste et dont le parcours de vie démontre qu’il a fait consciemment et de façon réfléchie, le choix de la délinquance – de la délinquance dure – , la société doit se défendre. Le délinquant doit être mis hors circuit. Et quand un délinquant chevronné est en prison, il ne récidive pas. Quelqu’un qui multiplie les actes de violence, même s'ils ne sont pas intrinsèquement graves, doit être incarcéré.Il faut analyser son comportement global et non pas simplement chaque acte.

Comment faire pour déterminer qui il faut mettre derrière les barreaux en priorité ?

Il y a des délinquants qui n’ont rien à faire en prison parce que ça les désocialiserait. Cependant, dès lors qu’il y a des atteintes aux personnes, qu’on est dans l’impact social direct de ce que ressent le corps social le plus douloureusement – et ce, même si les conséquences ne sont pas gravissimes sur la victime –  l’enfermement s’impose. Dès qu’il y a de la violence, même sans gravité, il faut considérer une réponse sociale ferme et repenser la façon dont les peines d’emprisonnement sont attribuées. Les peines lourdes pour les gens qui commettent des faits graves existent déjà, mais une sanction qui soit prononcée rapidement et qui soit ressentie par le délinquant, qui le gêne dans sa vie, cela permettrait de réguler les choses.

Le Syndicat estime par ailleurs que le personnel pénitentiaire n'est pas suffisant. Il manquerait d'après lui au moins 1 000 personnes dont 30 directeurs pour assurer une bonne prise en charge de nos prisons. La réforme Taubira prend-t-elle acte de ce fait ?

La réforme Taubira part d’un postulat qui est à la fois dogmatique et angélique. Elle part d’une analyse du fait délinquant qui ne correspond pas à la réalité. Malheureusement il suffit d’aller écouter dans les salles d’audiences les gens qui viennent de passer ou les gens qui vont passer pour s'en rendre compte. La plupart du temps ils considèrent toute peine qui ne les amène pas en prison ou qui ne leur coûte pas quelque chose (de l’argent, une amende) comme dérisoire. C'est donc, en conséquence, un facteur de récidive, parce que cela revient à assimiler le fait qu’il y ait des peines qui n’ont pas comme conclusion quelque chose de subi par le délinquant – un prix, ou une privation de liberté. C’est un facteur ressenti comme de l’impunité.

Les peines de probation vont ôter au système de la chaîne post-pénale le seul argument d’autorité qu'avait la justice : le caractère dissuasif du sursis, de la révocation du sursis. La peine de probation, c’est une peine de prison avec sursis de mise à l’épreuve, sans le sursis. Si le condamné ne se plie pas au suivi qui a été mis en place, il faut le rejuger. Il n’y a pas d’automaticité à ce moment-là, pas de faculté pour le juge d’application des peines de le renvoyer en prison.

Il y a une petite partie des délinquants pour lesquels c’est adapté. Ceux qui n’ont a priori rien à faire en prison. Des gens insérés, auteurs d’accidents, notamment. Mais en revanche pour les délinquants qui sont des habitués, ou qui sont en passe de le devenir, moins. Parce que le défi est là. C'est là qu'est l’enjeu : les jeunes qui peuvent basculer, qui sont en train de glisser sur la voie de la délinquance, et ces gens-là doivent vite ressentir l’autorité de l’Etat, de la société. Si on leur offre une chance de ne pas aller en prison parce que le juge estime qu’il faut leur laisser une chance, et qu’il y a des mesures de mise à l’épreuve, il faudrait au moins qu’il y ait une peine de sursis qui vienne dissuader à côté. La peine de probation telle qu’elle est annoncée actuellement sera très bien pour les gens qui de toute façon n’avaient rien à faire en prison, comme les délinquants involontaires. Mais pour la délinquance dure, ou en voie de durcissement, c’est un mauvais message.

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