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Quand Erdogan refait 
les mêmes erreurs que Napoléon
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Ca se corse

Début 2012, le général İlker Başbuğ, chef d'État-major de l'armée turque, a été arrêté et incarcéré, pour des accusations de complot militaire. L'erreur de trop pour le Premier ministre Tayyip Erdogan ?

Fabio Rafael Fiallo

Fabio Rafael Fiallo

Fabio Rafael Fiallo est économiste et écrivain, ancien fonctionnaire à la CNUCED (Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement). Il est diplômé d’économie politique de l’université Johns Hopkins (Baltimore).  Son dernier ouvrage, Ternes Eclats - Dans les coulisses de la Genève internationale (L'Harmattan) présente une critique de la diplomatie multilatérale.

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Voilà un incident survenu il y a deux siècles qui ne cesse d’aider à la compréhension de certains phénomènes de notre temps. Il s’agit de l’exécution du duc d’Enghien par ordre de Napoléon. Rappelons les faits. Nous sommes en 1804. La noblesse du continent craint les visées expansionnistes du nouvel homme fort de France, mais n’exclut pas pour autant de parvenir à un modus vivendi avec lui. C’est dans ce contexte que Bonaparte, alors Premier Consul, ordonne d’appréhender le duc d’Enghien, un jeune homme de 31 ans, membre de la famille des Bourbons, à même d’occuper le trône de France dans le cas hypothétique d’une restauration de la monarchie. Exilé en Allemagne, le duc est séquestré, ramené clandestinement en France, puis exécuté.

Les membres de la noblesse européenne arrivent alors à la conclusion qu’ils ne peuvent se sentir nulle part en sécurité tant que Bonaparte tiendra les commandes à Paris. C’est ainsi que les monarchies européennes, abandonnant l’idée d’une entente avec la France bonapartiste, s’allient contre celle-ci avec, à terme, le résultat que l’on sait (cf. Waterloo 1815).

D’où la fameuse phrase attribuée à Fouché à propos de l’assassinat du duc d’Enghien : « C’est pire qu’un crime, c’est une faute ».

Toutes proportions gardées, une faute de même nature vient d’être commise par le régime du Premier Ministre turc, Recep Tayyip Erdogan. Déjà à couteaux tirés avec l’armée de son pays – 250 officiers sont ou ont été sous les verrous – le régime a fait écrouer l’ancien numéro 1 de l’armée, le général Ilker Basbug, sous l’accusation mal ficelée et peu crédible de constitution et direction d’une organisation terroriste et de tentative de complot.

Erdogan avait sans doute maille à partir avec son armée. Formée dans la tradition laïque, ayant tissé des liens avec les Etats-Unis et Israël, puis poursuivi et emprisonné par le passé des activistes islamiques – parmi lesquels le propre Erdogan – l’armée turque pouvait difficilement soutenir de gaieté de cœur un gouvernement contrôlé par un parti islamique, tel l’AKP d’Erdogan.

Toutefois, la hiérarchie de cette armée savait depuis déjà un bon moment que le temps des coups d’Etat est révolu, qu’elle avait tout simplement le choix entre se soumettre à un gouvernement dirigé par l’AKP ou démissionner. Tout l’état-major choisit la seconde option en juillet dernier.

Or, vu la vague d’emprisonnements auxquels on assiste, dernier en date, fort symbolique, celui de leur chef, c’est leur liberté individuelle qui est désormais en jeu pour les membres de l’ancienne hiérarchie militaire. Et confrontés à un tel danger, il y a fort à parier que ni eux ni leurs réseaux ne vont faciliter la tâche du pouvoir civil.

Une aubaine pour Israël, soit dit en passant, qui aura ainsi l’occasion de faire ses emplettes de renseignements sensibles auprès de militaires turcs désappointés.

D’autre part, le récent bombardement mené par erreur par l’aviation turque dans le nord de l’Irak, bombardement qui s’est soldé par la mort de 34 civils kurdes pris pour des militants du PKK, peut bien être le premier cafouillage d’une armée turque affaiblie par la démission ou l’incarcération d’un bon nombre de ses officiers.

Simultanément en conflit avec la Syrie, l’Iran et Israël, en compétition avec l’Arabie saoudite et le Qatar pour le leadership dans le monde sunnite, et devant faire face à une rébellion kurde, ce n’était pas le moment pour Erdogan de creuser le fossé qui le sépare de son armée.

Avec une armée étêtée et déstabilisée, la Turquie d’Erdogan n’a pas, en tout cas pour l’instant, les moyens militaires de ses ambitions géopolitiques.

En matière d’actes intempestifs, Erdogan n’en est pas à son coup d’essai. Il a mis à mal les relations de longue date entre la Turquie et Israël. Il hypothèque l’aide militaire des Etats-Unis en tâchant de s’approcher de l’Iran, mais irrite ce dernier en s’en prenant au seul régime allié de Téhéran dans la région, celui de Bachar al-Assad. Il s’oppose à l’engagement de l’OTAN destiné à mettre en place la zone d’exclusion aérienne réclamée par la rébellion libyenne, mais dès que le régime de Kadhafi est renversé, il se rend à Tripoli pour s’autoproclamer fervent défenseur du mouvement de contestation. Il entre en collision avec la France à cause d’une loi mémorielle sur le génocide arménien, alors que sa filiation politique n’a pas à se sentir visée par une telle loi. Et il s’aliène la sympathie de l’Union européenne par les violations incessantes des droits de l’homme en Turquie (il y a à l’heure actuelle plus de journalistes emprisonnés en Turquie – une centaine – qu’en Chine).

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