Raqqa, Ramadi, et Raids assistés par les forces spéciales : Washington et sa nouvelle stratégie des 3R contre l’Etat islamique<!-- --> | Atlantico.fr
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Les Etats-Unis modifient leur stratégie dans leur combat contre l'Etat islamique.
Les Etats-Unis modifient leur stratégie dans leur combat contre l'Etat islamique.
©Reuters

Changement de cap

Les Etats-Unis modifient leur stratégie dans leur combat contre l'Etat islamique. Mardi 27 octobre, le secrétaire américain à la Défense Ashton Carter en a fait l'annonce. Il décrit cette stratégie comme celle des "trois R", visant à la reprise de deux cités et à la mise en place de raids récurrents.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Les Etats-Unis ont annoncé leur changement de stratégie dans la lutte contre l’Etat Islamique. Le secrétaire à la Défense, Ashton Carter, l'a résumée avec le terme "trois R". En quoi consiste concrètement cette nouvelle stratégie ?

Alain Rodier : Les "3R" veulent dire "Raqqa, Ramadi et Raids". En clair, Washington souhaite aider à la reprise de Raqqa en Syrie, de Ramadi en Irak et mener de nouveaux raids de type commando à l'intérieur des zones contrôlées par Daesh pour déclencher une psychose parmi ses fidèles. Raqqa est la "capitale" de l' "Etat" Islamique et revêt un côté psychologique extrêmement fort. Ramadi, le chef-lieu de la province d'al-Anbar située à l'ouest de l'Irak est aussi chargée de symboles puisque c'est un fief de Daesh. 

Que peut-on attendre d’une telle stratégie ?

En réalité, les Américains comptent sur une "nouvelle" coalition appelée les "Forces démocratiques syriennes" (FDS) qui regroupe les Unités de protection du peuple kurde (YPG/YPJ), le bras armé du parti de l'Union démocratique (PYD) proche du PKK, et des forces arabes et Syriaques. D'ailleurs, le YPG/YPJ a publié la déclaration suivante : "Les rapides développements dans les domaines politiques et militaires [en Syrie] nécessitent la constitution d’une force militaire nationale unie pour tous les Syriens, incluant des Kurdes, des Arabes, des Syriaques et tous les autres". Cette coalition est composée du YPG/YPJ, du Jaysh al-Thuwar, des forces Al-Sanadid, de la brigade des groupes d’Al-Jazira et de l’état-major Bourkan al-Firat. Mais, en réalité, elle est loin d’être une nouveauté car ces mouvements se coordonnaient déjà au sein d'un état-major commun (joint opération room) pour combattre Daesh lors de la défense de Kobané puis à l’occasion de la prise de Tall Abyad, le poste frontière avec la Turquie qui contrôle une importante route rejoignant Raqqa. A noter que ces forces ne se sont jamais opposées à celles de Bachar el-Assad, ce dernier ayant évacué les zones kurdes (le Rojava) en 2011-2012.

Ankara apprécie modérément cet appui américain, qui n'est pas le premier à être apporté aux Kurdes syriens. C’est pour cette raison que Washington, dont l’ambassadeur à Ankara est régulièrement convoqué par le Ministère turc des Affaires étrangères pour s’expliquer, ne met pas en avant les Kurdes. Mais c'est auprès d'eux qu'il a été décidé d'affecter 50 membres des forces spéciales pour les conseiller.

L’objectif est donc de tenter une percée vers la ville de Raqqa qui n’est située qu’à une centaine de kilomètres des lignes kurdes. Bien sûr, un appui aérien direct est envisagé. C'est pour cette raison que des avions A-C10C Thunderbolt II "tueur de chars" ont été acheminés en Turquie. Pour les Etats-Unis, cette perspective est destinée à faire oublier l’échec retentissant du programme "entraîner et équiper" qui a été suspendu en octobre.

Mais cette initiative se heurte à de nombreuses difficultés. La majorité des combattants non kurdes qui sont présents aux côtés du YPG/YPJ font partie de groupuscules constitués de villageois arabes ou syriaques qui n’appartiennent à aucune structure supérieure mais animés de leur refus de subir le joug de l’État Islamique. Leur importance tactique est minime car limitée aux portions de terrain dont ils sont originaires.

Et surtout, le but secret des Kurdes n’est pas de conquérir Raqqa dont ils n’ont que faire, mais de tenter d’unifier toutes les zones qu’ils contrôlent le long de la frontière turque, de Derik à l’est à Efrin à l’ouest. Pour cela, il faut qu’ils s’emparent de la région de Jarabulus tenue par Daesh, ce qu’Ankara refuse obstinément. C’est pour cette raison que l’armée turque a bombardé à la fin octobre des unités du YPG qui faisaient mine de traverser l’Euphrate vers Jarabulus à l’ouest.

En ce qui concerne Ramadi, les troupes au sol efficaces sont essentiellement les milices irakiennes chiites soutenues par les pasdarans iraniens. Primo, leur incursion en pays sunnite peut être très mal ressentie par les populations qui se rangeront alors résolument derrière Daesh. Secundo, si une coopération de fait avec les Iraniens existe sur le terrain, un appui direct aux forces commandées par le major général Qassem Suleimani considéré comme un terroriste aux Etats-Unis est difficilement envisageable, à moins, qu'une fois de plus, les Yankees ne mangent leurs Stetsons. Mais ce n'est pas impossible. En France, il y en a bien qui commencent à regarder leurs bérets avec une certaine gourmandise...  

Comment est reçue cette nouvelle stratégie par les autres pays, notamment la Syrie et l’Irak ?

Le régime de Bashar el-Assad compte les points. Cela dit, il a fort à faire pour tenter de bloquer l' "Armée de la Conquête" (une coalition organisée autour d'Al-Qaida "canal historique") au nord, pour essayer de desserrer le véritable siège qui s'installe autour de la garnison d'Alep, pour préserver Damas, Homs et Deraa... Si, au départ, l'arrivée des forces russes lui a donné un peu d'air, l'affaire semble s'embourber. En effet, les appareils russes sont soumis à rude épreuve et un certain nombre commencent à être bloqués au sol pour des problèmes de maintenance. De plus, les bombes vont finir par manquer. Fait extrêmement préoccupant, il semble que des unités de terrain dépendant du Front al-Nosra (le bras officile d’Al-Qaida "canal historique" en Syrie) et de Daesh coordonneraient leurs actions, particulièrement dans la région d'Alep. Le début de l'union sacrée contre les juifs, les chrétiens et les apostats ?

Quels sont les risques et les craintes qu’elle suscite ?

Les risques sont multiples : l'embourbement (je pense que l'on y est déjà) ; l'unification des sunnites sous une seule bannière noire (on va y arriver) ; qu'un équipage américain ou russe ne tombe aux mains de Daesh. J'imagine la suite : supplice des malheureux, large diffusion médiatique, protestation populaire pour rapatrier au plus vite les boys ou les moujiks à la maison et on laisse tout ce petit monde se débrouiller comme au Vietnam pour les Américains ou en Afghanistan pour les Russes.

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