Rapport franco-allemand : des vœux pieux autant que des mesures "chocs"... <!-- --> | Atlantico.fr
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Jean Pisani-Ferry et Henrik Enderlein.
Jean Pisani-Ferry et Henrik Enderlein.
©Reuters

Rien de nouveau sous le soleil

Présenté aux deux gouvernements, le rapport des économistes Jean Pisani-Ferry et Henrik Enderlein met en avant un agenda de réformes et d’investissement à mener en France et en Allemagne, ainsi qu’un programme d’actions communes.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Le jeudi 27 novembre, le duo d’économistes Jean Pisani-Ferry et Henrik Enderlein remettait aux ministres de l’Economie français et allemand, Emmanuel Macron et Sigmar Gabriel, leur rapport "Réformes, investissement et croissance : un agenda pour la France, l’Allemagne et l’Europe". L’objectif de ce rapport, qui avait été commandé au début du mois d’octobre par les exécutifs respectifs était de "faire des propositions pour améliorer la situation économique de chacun des deux pays".

Il est à noter que Jean-Pisani Ferry avait déjà pu se prêter à l’exercice puisque ses équipes de "France Stratégie" (et lui-même) publiaient le rapport "Quelle France dans 10 ans" le 25 juin dernier. (Jean Pisani-ferry est commissaire général de France Stratégie). De son côté, Henrik Enderlein est un ancien de la Banque centrale européenne, fondateur de l’institut Jacques Delors de Berlin, et conseiller du ministre allemand de l’Economie Sigmar Gabriel. Ainsi, les deux hommes sont plutôt très proches idéologiquement, également proches des exécutifs en place.

Une démarche visant à crédibiliser les actions des deux gouvernements

Il est ainsi assez peu surprenant de constater que les recommandations formulées conviennent plutôt bien aux idées politiques d’ores et déjà engagées par les deux pays, mais également à celles qui sont envisagées. Il s’agit donc en l’espèce d’un soutien "académique" ayant pour objectif de légitimer, crédibiliser les réformes en cours ou à venir des deux pays. Réformes de l’offre chez l’un, investissement chez l’autre. En s’adressant à ces deux personnalités, les ministres français et allemands savaient en effet que le big bang n’aurait pas lieu, pas ici, pas maintenant. 

Politiquement, le rapport prend une autre dimension. Il est une pierre posée dans la démarche commune des exécutifs français et allemands de porter une plus forte intégration des deux pays. Par ce geste symbolique, les deux pays tentent de reprendre en main cette idée de faire "fusionner" un destin économique en Europe. Un destin d’intégration dont le couple franco-allemand serait le guide. Une marche vers le fédéralisme.

Une analyse macroéconomique qui glisse les problèmes sous le tapis

C’est évidemment sans surprise que la problématique posée par la Banque centrale européenne est rapidement écartée du rapport. Si la question est correctement posée dès les premières lignes, la réponse est sèche:

"Demander une relance monétaire d’envergure est économiquement justifiée, mais la BCE ne peut s’engager à soutenir des gouvernements nationaux pris individuellement."

Cette phrase a ceci de terrible qu’elle valide la nécessité économique d’agir par la voie monétaire, tout en en rejetant l’idée même sur une base institutionnelle. Une phrase qui pourrait être comprise ainsi : "c’est ce qu’il faut faire mais on ne peut pas". Un constat d’impuissance structurelle, en quelque sorte.

Cette contradiction fondamentale se retrouve à un autre passage du rapport. "Depuis 2007, la faiblesse de l’investissement en Europe a amputé significativement la production potentielle et la demande globale". Une phrase suivie un peu plus loin par son exact opposée : "Pour investir, les entreprises doivent anticiper un environnement favorable, avoir de bonnes perspectives de demande, une rentabilité suffisante et une prévisibilité réglementaire". La première phrase indique que c’est le manque d’investissement qui grève la demande, la seconde indique que c’est la faiblesse de la demande future qui grève l’investissement. C’est bien entendu la seconde qui convient  et c’est bien entendu une problématique relevant de la Banque centrale européenne puisque son rôle est précisément d’agir sur les anticipations de croissance et d’inflation des acteurs économiques de la zone euro, c’est-à-dire de la demande. Si les autorités souhaitent que les entreprises investissent plus, elles doivent leur fournir de meilleures perspectives. Et cela passe par la BCE.

Mais bon, on l’aura compris, le sujet principal est évacué et on en reparlera plus. Reste les autres mesures proposées par les deux économistes afin d’améliorer la situation économique des deux pays.

Des propositions de réformes souvent utiles

En dehors d’une phrase de présentation digne de la meilleure novlangue - "Le nouveau modèle de croissance doit viser une économie agile qui sait récompenser les innovateurs apportant de nouvelles idées, de nouveaux produits et de nouvelles techniques, en même temps qu’un modèle social inclusif qui offre une sécurité aux travailleurs et leur propose des opportunités tout au long de leur carrière professionnelle" - les propositions faites sont souvent parfaitement justifiées.

Investissement en Allemagne, réformes "structurelles" en France, le cocktail était d’ailleurs attendu. Concernant la France, l’accent est mis sur la flexi-sécurité, c’est-à-dire la capacité donnée aux entreprises de faire varier les heures travaillées de leurs employés au gré des cycles. Mais également sur une volonté d’agir sur la dualité du marché du travail en France, entre CDD et CDI.Ou encore la réforme d’une assurance chômage qui n’inciterait pas suffisamment à la recherche d’emploi, "et ne la soutien pas suffisamment". Mais encore la cruciale réforme du droit social français, trop complexe et décourageant. Le package global correspond à une libéralisation souhaitable de l’économie française.

Et la proposition la plus commentée arrive : "Dans une situation où les entreprises du secteur exposé à la concurrence internationale ont vu leur rentabilité baisser, un signal fort devrait être donné que des mesures sont prises pour éviter que les salaires réels n’augmentent à un rythme plus rapide que celui de la productivité du travail. Dans son combat contre l’inflation au cours des années 1980, la France a su prendre des mesures importantes et efficaces pour éviter une indexation généralisée. Elle doit suivre une voie similaire aujourd’hui."En gros, la préconisation est le gel des salaires. La référence donnée est celle de la désinflation compétitive et le logiciel de pensée est donc bien toujours le même.

Malgré cette dernière proposition qui traduit un aveu d’impuissance, les réformes proposées dans ce document seraient utiles à la France et sont souvent parfaitement justifiées. Mais la critique principale à formuler sur ce rapport est qu’il se consacre à un ensemble de mesures qui, aussi importantes soient-elles, sont parfaitement secondaires en comparaison de l’écrasement de la demande par la Banque centrale européenne. Le problème fondamental est oublié, ou, plus justement, froidement repoussé de la main. Ce problème n’existe pas car il ne peut exister.

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