Ramazan Dzhalaldinov, le lanceur d'alerte qui tenait tête au dictateur tchétchène et à la terrible répression imposée à sa famille<!-- --> | Atlantico.fr
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Ramazan Dzhalaldinov a parlé lors d'une conférence de presse au milieu de mesures de sécurité sans précédent. Il est venu pour évoquer le dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov et la répression totalitaire imposée par ses milices locales.
Ramazan Dzhalaldinov a parlé lors d'une conférence de presse au milieu de mesures de sécurité sans précédent. Il est venu pour évoquer le dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov et la répression totalitaire imposée par ses milices locales.
©ALEXANDER NEMENOV / AFP

THE DAILY BEAST

Un homme a décidé qu'il devait dénoncer la répression féroce en Tchétchénie. Sa famille a été battue. Sa maison a brûlé. Mais il n’abandonne pas.

Anna Nemtsova

Anna Nemtsova

Anna Nemtsova est reporter pour The Daily Beast. Elle est basée à Moscou.

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The Daily Beast - Anna Nemtsova

MOSCOU - Le visage de Ramazan Dzhalaldinov est couvert de rides profondes. Ses grands yeux tristes derrière ses lunettes nagent dans l'amertume. Mais bien qu’il parle de sa vie en enfer durant ces sept derniers mois, cet homme de 56 ans ne semble pas brisé. Sa voix est ferme quand il raconte son évasion à travers les montagnes, fuyant la Tchétchénie pour dire aux médias la vérité au sujet d'années de répression féroce vécues dans la république du Caucase du Nord.

Vendredi, Dzhalaldinov a parlé lors d'une conférence de presse au milieu de mesures de sécurité sans précédent. Il est venu pour évoquer le dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov et la répression totalitaire imposée par ses milices locales.

Avant la conférence de presse, Dzhalaldinov a dit au Daily Beast que le prix qu'il a payé pour avoir parlé est "horrible".

"La police locale a tout essayé pour me faire taire. Ils ont brûlé ma maison, ils ont battu ma femme et mes trois filles, ils nous ont déportés, humiliés et menacés, m’ont dit qu'ils allaient m'abattre", raconte-t-il au Daily Beast. "Mais je n’ai pas cessé de dire la vérité parce qu'au moins une fois dans votre vie, vous devez avoir le courage de rester humain".

Au cours des deux dernières années, les milices tchétchènes ont forcé plusieurs lanceurs d’alerte, tant dans le Caucase du Nord que dans les régions centrales de la Russie, à revenir sur leurs accusations et à présenter des excuses après avoir révélé les abus du dirigeant tchétchène, Ramzan Kadyrov.

Aucune loi russe ne s’applique aux crimes d’Etat tchétchènes, aucune loi russe ne les punit. Les civils tchétchènes vivent dans la peur constante des disparitions, des enlèvements dont personne ne revient.

La version officielle, c'est que tout va bien en Tchétchénie et que Kadyrov, fidèle du président russe Vladimir Poutine, est parfait. En fait, la Tchétchénie vit selon ses propres règles, dictées par un seul homme, le Musulman autoritaire Kadyrov, et personne n’est autorisé à critiquer sa politique.

Mais Dzhalaldinov est différent. C’est un Avar, un groupe ethnique qui compte près d'un million de personnes, et les Avars sont toujours solidaires comme des frères.

En avril, il a tourné une vidéo montrant des ruines dans son village Kenkhi et des maisons détruites par les guerres avec la Russie ou par les inondations. Il est allé au Daghestan, voisin de la Tchétchénie, où la majorité des Avars russes vivent, et a publié l'enregistrement sur son compte du réseau social Vkontakte en forme de lettre vidéo adressée au président Poutine. Dans ce document, Dzhalaldinov raconte les appels qu’il a lancés aux autorités et demande que les civils du village de Kenkhi, qui ont perdu leurs maisons au cours des opérations militaires passées en Tchétchénie, soient indemnisés.

La vidéo a eu un effet immédiat. Le dictateur Kadyrov est personnellement venu dans le village de Kenkhi et a posé avec les habitants devant les caméras. Terrifiés, les hommes du village ont dit à leur chef que Dzhalaldinov était un menteur.

"Les responsables tchétchènes ont forcé les hommes du village de Kenkhi à tout nier", explique Elena Milashina, reporter du journal indépendant russe Novaya Gazeta. "Ils ont tourné une vidéo montrant ses voisins l’accusant d’être instable. La vidéo a été diffusée à la télévision locale". Mais Milashina avait interviewé Dzhalaldinov depuis 2014 et le connaissait comme un homme très courageux, et très sain d'esprit.

Cette vidéo calomnieuse n'a pas découragé le dénonciateur. Le 2 mai, Dzhalaldinov a déposé une plainte auprès du procureur général russe Iouri Tchaïka contre Kadyrov pour l'avoir calomnié et avoir rejeté ses critiques publiquement.

Les responsables tchétchènes étaient furieux. Comment cet homme osait-il se plaindre à Moscou à propos de Kadyrov ? Il ne semblait pourtant pas représenter une grande menace. Il avait trois filles et deux fils, ce qui rend un homme vulnérable. Le 13 mai, juste après le coucher des enfants de Dzhalaldinov, une douzaine d'hommes masqués ont fait irruption dans sa maison dans le village de Kenkhi.

Les fonctionnaires ont ordonné à Nazirat, la femme du dénonciateur, et à leurs filles Muslimat (17 ans), Sabirat (12 ans) et Tabarak (10 ans) de s’habiller et de les suivre au commissariat de police. Il était minuit. Nazirat a supplié ces fonctionnaires de ne pas effrayer les enfants. Mais elles ont ensuite été frappées.

Plus tard, quelqu'un a mis le feu à la maison où cette famille vivait. On a ordonné à Nazirat et à ses enfants de quitter la république. Ainsi donc, maintenant, les autorités tchétchènes déportent leurs propres citoyens.

Le même mois, une équipe de télévision d’une chaîne indépendante russe a réussi à filmer le village en ruine, de sorte que tout le monde en Russie a pu voir que le dénonciateur avait effectivement dit la vérité sur les ruines.

L'affaire est devenue rapidement un scandale.

Les responsables tchétchènes ont découvert que leur critique Avar était soutenu par le Daghestan voisin, avec sa population de 2,9 millions d’habitants, deux fois plus nombreuse que celle de la Tchétchénie. De plus, la plainte risquait d’être jugée devant les tribunaux.

À la fin du mois de mai, Kadyrov a décidé de proposer un accord avec Dzhalaldinov. "Il a donné sa parole qu'il paierait des compensations à toutes les familles du village et que le village serait reconstruit ; en échange, je devais présenter des excuses publiques", raconte Dzhalaldinov au Daily Beast.

"C’est ce que j'ai fait. J’ai publiquement admis que j'avais fait une erreur, nous avons donc pu rentrer chez nous en Tchétchénie, dans notre village ; mais Kadyrov n'a pas tenu sa parole, notre village est encore en ruine, les gens sont toujours en attente de compensations".

Le mois dernier, Dzhalaldinov a acheté un billet d'avion pour se rendre à Moscou. La milice de Kadyrov l'a immédiatement arrêté, avant de l’emmener lui et sa femme dans la capitale tchétchène, à Grozny, pour l’interroger.

L'avocat qui défend Dzhalaldinov, Petr Zaikin, raconte la scène : "Le sous-ministre de l'Intérieur, le général Apty Alaudinov, a menacé de mort mon client et Yelena Milashina, le journaliste de Novaïa Gazeta qui a couvert l’affaire ; Alaudinov a dit que leurs noms étaient sur une liste à côté de ceux d’Anna Politkovskaïa, des frères Lamadaev et de Boris Nemtsov, victimes d’assassinats politiques, tous attribués à des tueurs tchétchènes, mais on ignore le nom de leurs commanditaires. Ce haut fonctionnaire tchétchène a admis qu’il savait des choses sur les contrats qui ont abouti à ces meurtres. C’est incroyable et nous allons demander qu’une enquête soit ouverte contre cet Alaudinov", déclare-t-il.

La police ayant pris le passeport de Dzhalaldinov, il ne pouvait plus se rendre à Moscou. Après avoir été menacé de mort, Dzhalaldinov a décidé de fuir la Tchétchénie à n’importe quel prix. Sans bagage, sans vêtements chauds appropriés, le dénonciateur a traversé les montagnes du Daghestan, puis s’est dirigé vers Moscou..

"Plus de 20 000 Tchétchènes ont fui l’enfer de cette république au cours des deux dernières années", selon Svetlana Gannouchkina qui est à la tête d’une organisation de défense des droits de l’homme. "Cela rappelle la Corée du Nord, où aucun fonctionnaire ne se soucie de ce que les gens essaient de leur dire, leur tâche principale est d’arrêter les dénonciateurs".

Après la conférence de presse, Ramazan Dzhalaldinov a l'air fatigué et calme, comme quelqu'un qui a fait son devoir. Il se tourne vers ses défenseurs et les quelques journalistes restants dans la pièce et leur dit : "Vous savez pourquoi les Tchétchènes tentent de fuir ce pays ? Parce qu'ils savent que Kadyrov est sous la protection de Moscou. Si Poutine ne le laissait pas faire, il ne nous aurait jamais traité comme ça".

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