Rama Yade : "Après 40 ans passés à leur interdire de se singulariser, on ne peut pas demander aujourd’hui aux musulmans de s'opposer aux attentats"<!-- --> | Atlantico.fr
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Pour la vice-présidente du Parti radical, il faut "rebâtir notre société sur des bases renouvelées"
Pour la vice-présidente du Parti radical, il faut "rebâtir notre société sur des bases renouvelées"
©Reuters

Grand entretien

Pour l'ancienne secrétaire d'Etat chargée des Affaires étrangères et des Droits de l'homme, les attentats de cette semaine sont dus à divers renoncement de la société française : renoncement à la laïcité, à l'instruction publique, à l’autorité, abandon de la jeunesse.

Rama Yade

Rama Yade

Elle a été secrétaire d'État chargée des Affaires étrangères et des Droits de l'homme de 2007 à 2009, puis secrétaire d'État chargée des Sports jusqu'en 2010. Rama Yade est actuellement conseillère régionale d'Ile-de-France et vice-présidente du Parti radical.

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Atlantico : Les frères Kouachi qui ont attaqué la rédaction de Charlie Hebdo, le responsable de fusillade à Montrouge se sont respectivement revendiqués d'Al Qaeda au Yemen et de l'Etat islamique.  Dans quelle mesure cette situation est-elle le résultat de la perte du lien social dans la société française ?

Rama Yade : Vaste question. Ce sont nos propres renoncements qui ont conduit à cette situation : renoncement à la laïcité, à l'instruction publique, à l’autorité, abandon de la jeunesse. Les explications d’Amedy Coulibaly et des frères Kouachi pour justifier leurs crimes sont très pauvres. C'est le résultat d'un système éducatif qui n'instruit plus, qui n’aide plus les jeunes à comprendre le monde, et qui sont laissés en pâture aux prédicateurs en tous genres. Les extrémistes, aussi bien les fondamentalistes religieux que le Front national qui séduit de plus en plus de jeunes, se sont engouffrés dans la brèche pour opposer à notre République fatiguée et impuissante leur messianisme.

Pour autant, la question ne concerne pas que des jeunes issus de l’immigration. Le sujet est beaucoup plus large que cela. Pour preuve, parmi les jeunes djihadistes partis en Syrie et en Irak, on compte environ 25% de convertis. N’en déplaise à Marine Le Pen, le fondamentalisme pousse aussi dans nos prairies…

Quelles est la responsabilité des gouvernements successifs au cours des trente dernières années, qu'ils soient de droite ou de gauche, dans la dégradation de cette situation ?

Ces renoncements sont le fait des gouvernements successifs. Leur responsabilité est donc engagée. Lorsqu’on autorise les accompagnatrices voilées à participer aux sorties scolaires, on porte profondément atteinte à la laïcité. De même, aucun gouvernement n’a eu le courage depuis 20 ans de réformer l'Education nationale. L’école s’est durablement affaiblie en privilégiant les droits des élèves vus comme des mini-citoyens sur la transmission de la connaissance. L’éducation aurait dû incomber aux familles quitte à les responsabiliser davantage, et l’instruction aux enseignants, ce qui est une mission suffisamment difficile  pour ne pas leur compliquer davantage la tâche. Pour les politiques, il ne suffira donc pas d'aller manifester avec une écharpe en affichant une mine de circonstance ; il leur faudra agir : trouver les clés pour ressouder une nation déchirée, donner aux Français l’envie de continuer ensemble et de partager un destin commun.

Vous évoquez des mesures qui ont participées à déliter le lien social… A contrario, quels ont été les mesures non prises par le pouvoir politique et qui ont pu participer à ce délitement du lien social ?

Il faut effectivement arrêter l'hypocrisie : elles sont nombreuses les municipalités à avoir fermé les yeux sur l’emprise du salafisme sur certains quartiers, à avoir cédé aux revendications communautaires par démagogie électoraliste. Les pouvoirs publics, par angélisme ou impuissance, se sont même délesté de leur mission de service public en confiant une partie de leurs prérogatives à des « représentants », imams, grands frères et autres. C’est une démission collective. Personnellement, je ne crois pas qu'il faut que nous tournions le dos aux valeurs qui fondent l’identité de notre pays. Ce n’est pas à la République de s’adapter aux revendications identitaires des uns et des autres. Au contraire, parce que nos principes, vieux de deux siècles, ont permis de bâtir une nation parmi les plus admirées au monde, il est impératif que nous soyons fidèles à ces principes : la laïcité, l’égalité hommes-femmes. Ceux qui ne veulent pas y souscrire, même en étant français, sont libres de partir et de choisir des pays qui correspondent à leurs principes. La terre est grande, les frontières ouvertes.

François Hollande a déclaré que ces "illuminés n'(avaient) rien à voir avec la religion musulmane". En refusant de l'admettre, François Hollande participe-t-il à l'amalgame entre islamisme radical et islam ?

Il est clair qu'aujourd'hui, sous la pression du fondamentalisme religieux, beaucoup pensent que l'islam, et pas seulement l’islamisme, n’est pas soluble dans une République comme la nôtre. C’est l’exaspération qui conduit à ce type de simplification. Mais elle ne résiste pas à la réalité. Les musulmans pratiquants ont une conception pacifique de leur religion. D’ailleurs, par définition, la foi suppose pudeur, piété et discrétion, certainement pas d’affichage ostentatoire encore moins  le déchainement de violence auquel on a assisté cette semaine.

Les responsables musulmans en France doivent-t-ils s'emparer davantage du problème de l'islamisme radical ?

Nous avons mis les musulmans dans une situation impossible. D’un côté, il leur a été demandé qu’étant avant tout des citoyens français, ils devaient taire leur identité religieuse. De l’autre, après 40 ans passés à leur interdire de se singulariser, les voilà  aujourd’hui sommés de s’exprimer en tant que musulmans voire d’être les porte-paroles d’une communauté qui, à mon avis, n’a jamais existé en France. C’est une double injonction paradoxale qui les tétanise. La République doit être plus claire dans son message.

Le Front national n'a d'ailleurs pas attendu pour diffuser des affiches estampillées : "Keep calm and vote FN" et a proposé un référendum sur la peine de mort. Ces réponses vous paraissent-elles appropriées ?

J'ai personnellement été choquée par l'opportunisme électoral du Front national. Les circonstances ne se prêtaient certainement pas à ce type de provocation.  Ce parti révèle sa vraie nature, pour ceux qui en doutaient. En affirmant être interdite de manifestation, Marine Le Pen a voulu se victimiser pour en tirer un profit électoral. Personnellement, je vais à la manifestation sans y avoir été invitée par quiconque. Si un service d’ordre lui en interdisait l’accès, elle pourra crier à la censure mais je ne crois pas que ce sera le cas. Pour autant, je regrette que le pouvoir ait voulu organiser cette manifestation. On n'a jamais vu un Premier ministre organiser ce type d'évènement. C'était aux citoyens, aux associations de le faire. Le consensus national s'est alors fissuré sur des questions de politique politicienne indigentes. Les heures qui nous vivons sont trop graves pour se permettre ce type de polémique. Soyons à la hauteur de la dignité et de l’émotion du peuple français. Nul besoin d’électriser davantage une situation déjà éprouvante.

Face à l'effroi causé par l'assassinat de 12 personnes à la rédaction de Charlie Hebdo, les Français se sont spontanément rassemblés et les responsables politiques ont appelé à l'unité nationale. Si les Français ont su faire preuve d'unité, comment inscrire ce mouvement spontané dans la durée alors que la société est plus fracturée que jamais ?

Au-delà du durcissement de la réponse sécuritaire et pénale, il faut évidemment rebâtir notre société sur des bases renouvelées. La voix des intellectuels, trop silencieux à mon sens ces dernières années, sera précieuse pour tracer des perspectives et redonner du sens à notre société. Quant aux politiques, pour ce qui leur reste de crédit, j’en appelle à la fin des postures et de l’impuissance. Il nous faudra donner au projet républicain une dimension opérationnelle et un contenu concret. La jeunesse doit être au cœur des politiques publiques. Quel sens donner à la République aujourd'hui ? Quel est son projet? Quelles perspectives donner aux jeunes pour éviter qu’ils ne se jettent dans les bras des extrémistes de tous bords ? Ces questions sont devant nous. Je ne suis pas sûre que la classe politique actuelle détienne les réponses. Loin de là.

Quels sont les mots mais aussi les actions que les pouvoirs publics se doivent prendre ? Et quel pourrait-être le rôle spécifique du Parti radical ?

Le Parti radical a fondé la laïcité en France il y a plus d'un siècle. Sa mission est toute trouvée, elle doit en être la vigie. Quant à l’UDI dont il est membre, il ne peut prétendre incarner le renouveau de la vie politique sans un leadership clair, un projet ambitieux et une audience plus forte dans le pays. Nous devons être à la hauteur du drame qui frappe le pays mais aussi de l’immense espérance qui s’est levée à travers les manifestations de ce week-end.

Propos recueillis par Alexis Franco et Carole Dieterich

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