Raif Badawi, ce blogueur saoudien condamné à 1000 coups de fouet pour avoir dénoncé le rôle néfaste d'un islam perverti<!-- --> | Atlantico.fr
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Le roi Salmane d'Arabie saoudite
Le roi Salmane d'Arabie saoudite
©Reuters

Bonnes feuilles

Raif Badawi a ému le monde entier. Ce jeune blogueur saoudien est arrêté en 2012 et condamné à 10 ans de prison et 1000 coups de fouet, parce qu’il a osé écrire ce qui déplait aux religieux et aux politiques de son pays. Extrait de "1 000 coups de fouet parce que j'ai osé parler librement", de Raif Badawi, publié aux Editions Kero (1/2).

Raif Badawi

Raif Badawi

Raïf Badawi, 31 ans, est un blogueur et écrivain saoudien. Après avoir animé le blog Free Saudi Liberals il a été incarcéré puis condamné à une peine de prison de 10 ans, une forte amende financière et 1000 coups de fouets.

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Depuis la prison, en 2015

J’étais tout occupé à tenter de réinventer le libéralisme en Arabie Saoudite, pour participer à la diffusion des « Lumières » dans ma communauté, abattre les murs de l’ignorance, effriter l’inviolabilité du clergé, et essayer de promouvoir un embryon d’opposition et le respect de la liberté d’expression, des droits de la femme, et de ceux des minorités et des indigents en Arabie Saoudite.

Tout cela, c’était avant que je me retrouve en prison en 2012, parmi des individus incarcérés pour infractions pénales, allant de l’assassin au voleur, jusqu’au trafiquant de drogue et au pédophile, des hommes dont la fréquentation changea bien des idées fausses mais humaines que je me faisais du monde parfaitement isolé de la criminalité.

Imaginez que vous passez votre existence, et vivez votre quotidien dans ses détails les plus intimes, dans une pièce de pas plus de vingt mètres carrés, en compagnie d’une trentaine de prisonniers accusés de tout un éventail de crimes et de délits !

Auparavant, comme tout le monde, je m’assurais avant de me coucher que les portes et fenêtres de ma maison étaient verrouillées, par peur des voleurs ; or voilà qu’aujourd’hui je vis parmi eux. Je dors, je mange, je me lave, je change de vêtements, j’exulte et je pleure. J’enrage, je ris, je crie. Tout ça parmi eux, devant eux.

J’ai réfléchi et, après bien des tentatives et d’énormes efforts pour m’adapter à eux, je les ai vus sous un angle différent. J’ai ouvert le rideau de l’autre côté pour pouvoir sonder les profondeurs de leur monde et, après une période assez longue, j’ai eu la preuve irréfutable que les criminels rient aussi. Oui, ils aiment, ils souffrent, avec une sensibilité extraordinaire qui parfois me renverse, lorsque je la compare à celle de mes proches d’antan.

Une anecdote : j’entre dans les toilettes ; j’y trouve quelques feuilles de papier souillées, des excréments partout. La situation est effroyable. Des murs sales, des portes défoncées, rouillées. Me voilà qui tente de m’adapter pour faire face à ce chaos. Et tandis que j’examine avec attention les centaines de graffitis inscrits sur les murs poisseux des toilettes communes de la cellule, mon regard tombe sur la phrase « La laïcité est la solution ». Stupéfait, je me frotte les yeux pour m’assurer que je vois bien ce que je vois.

La scène évoque plutôt une boîte de nuit dans un quartier pauvre, où toutes les femmes sont misérables et laides, et où, au milieu de la nuit, l’apparition d’une jolie fille séduisante redonne soudain aux lieux la gaieté et la vie.

Je ne sais comment ni pourquoi cette image m’est venue à l’esprit. Il semblerait qu’ici, dans cette nouvelle vie, l’état particulier des cabinets joue un grand rôle dans la formulation des pensées. Car dès que je m’assieds sur les toilettes, les idées se bousculent dans ma tête.

Je souris, et me mets à réfléchir à qui a bien pu écrire ces mots dans une prison où s’entassent des milliers de prisonniers de droit commun.

J’ai été aussi émerveillé qu’heureux de découvrir cette belle maxime insolite. Car de la lire là, au milieu des centaines de mots orduriers issus de tous les dialectes arabes qui souillaient ces murs crasseux, prouvait qu’il y avait ici au moins une personne qui me comprenait, et qui comprenait ce pour quoi j’avais été incarcéré. Mais les jours suivants me révélèrent peu à peu une toute autre réalité. Ils firent même pour moi de cet univers criminel un paradis, dans un cadre et selon des règles que je définissais moi-même et qui ne concernaient que moi, reposant sur des convictions radicalement différentes de celles qui étaient les miennes avant la prison. Oui, les toilettes numéro cinq eurent sur moi une grande influence !

Lorsque Ensaf, ma chère épouse, m’a dit que des éditeurs internationaux voulaient réunir mes articles et les traduire pour les publier dans plusieurs langues, j’ai d’abord beaucoup hésité. Je le dis aujourd’hui en toute sincérité : quand j’ai commencé à écrire, je n’imaginais absolument pas que viendrait le jour où mes articles seraient publiés dans un ouvrage en langue arabe ; alors, qu’ils soient traduits dans d’autres langues !…

Chère lectrice, cher lecteur, si vous en êtes à lire ces lignes, c’est que vous voulez savoir ce qui m’anime. Il y a des gens qui pensent que j’ai quelque chose à dire. En revanche, il en est d’autres qui ne voient en moi qu’un être ordinaire, dont les articles ne méritent pas d’être traduits ni publiés. Moi, je ne vois ici que cet homme à l’allure fragile, qui a miraculeusement survécu à cinquante coups de fouet, châtiment reçu à cause des articles que vous êtes en train de lire, et administré au milieu d’une foule ravie qui scandait « Dieu est grand ».

En effet, le tribunal m’a d’abord condamné à mort pour apostasie de l’islam, puis la sentence a été allégée et commuée en 10 ans de prison, assortis de 1 000 coups de fouet et d’une lourde amende d’un million de riyals1.

J’ai passé environ trois ans à écrire ces articles. J’ai été fouetté, et ma femme et mes trois enfants ont émigré à l’étranger, suite à l’intensification des pressions qu’ils subissaient.

Si ma famille et moi avons enduré de telles épreuves, c’est simplement parce que j’ai osé exprimer ma pensée. C’est à cause de chacun des mots de ce recueil que tout cela est arrivé.

Extrait de "1 000 coups de fouet parce que j'ai osé parler librement", de Raif Badawi, publié aux Editions Kero, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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