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Radioscopie des addictions par temps de confinement
©JUSTIN SULLIVAN / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Rude épreuve

De l’alcool au tabac en passant par les consommateurs de drogues et leurs dealers, le comportement des Français soumis à rude épreuve évolue fortement.

Pascal  Vesproumis

Pascal Vesproumis

Pascal Vesproumis est spécialiste en Médecine générale, addictologue, hypnothérapeute, conférencier en hypnose  DIU du TDAH à tous les âges, membre de la SFA (Société française d'alcoologie) — CSAPA Addictions France à Evry (en format hybride). Son cabinet médical est basé à Epagny. Pascal Vesproumis est Président de l’ ACCH-formations à l’hypnose.

 

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Atlantico.fr : En cette période de crise sans précédent, le gouvernement français a décidé de mettre en place le confinement à l'ensemble de la population. Or, on ne parle pas de cette mesure pour les personnes qui souffrent d'addiction(s)...

Que peuvent faire, concrètement, les personnes qui ont une addiction à une drogue (Alcool tabac, cannabis, héroïne etc.) pour s'en procurer ? Peuvent-ils toujours se fournir en cette période de confinement ?

Pascal Vesproumis : Avant tout, il me paraît nécessaire de rappeler l'absolue nécessité de respecter le confinement pour permettre d'arrêter  l'expansion de ce Coronavirus .

L'épidémie virale ne pourra être jugulée que si tout le monde applique cette règle.

Or les patients et usagers que nous suivons médicalement et ceux qui ne bénéficient encore d'aucune prise en charge médico-sociale, peuvent se retrouver  aujourd’hui  en l'absence de substitution , devant la nécessité de s'approvisionner en substance .

Pour simplifier la situation, nous pouvons évoquer la règle des 5 C (Laurent Karila) pour  traduire la  dépendance, avec  :

-la perte de contrôle

-le craving (nécessité absolue de trouver des substances sans besoin physique  réel d' en consommer)....L'idée devient obsédante et ne va s’apaiser qu’après avoir trouvé du « produit »

-les prises compulsives (consommation systématique en présence du produit )

-le comportement répétitif malgré les conséquences    ( poursuite de la consommation de substance malgré l'interdiction ou une peine judiciaire en cours par exemple)

Face à cette réalité addictive , vous vous interrogez sur les moyens possibles pour se procuerer des substances  , malgré le confinement.

Les usagers vont se dépanner entre eux , en partageant leurs réserves et en utilisant d'autres substances en tant que substitution (l'alcool par exemple devant le manque d'heroine  , les benzodiazepines devant le manque d'alcool, de cannabis, et d'amphetamines(à forte dose) etc...)

Sans être exhaustif, nous pourrions réfléchir en effets recherchés :

-sédation de la douleur (à l'arrêt des morphiniques, des traitements de substitution aux opiacés, et de l'alcool(polynévrite))

-endormissement (à l'arrêt de l'alcool , du cannabis ..)

-stimulants (à l'arrêt de la cocaïne (de plus en plus consommée basée (crack)), et des amphétamines (MDMAetc...))

Le système D  reste donc le premier moyen d’accès au produit, mais le « Darknet »   et le recours aux dealers restent des moyens d'espérer un recours aux substances de toutes natures . 

Pour ceux qui n’ont pas d'addictions mais ne savent pas gérer le stress, quels conseils et recommandations pour soi-même comme pour son entourage  ? Que faire par exemple si l'on a un enfant accro au cannabis et qui a peur de ne plus pouvoir se fournir  ?

Finalement la question qui me semble essentielle reste l'urgence clinique , psychique et sociale.

Prenons l'exemple de l'alcool...      

Les usagers peuvent se trouver ainsi en danger devant un manque dangereux , leur consommation quotidienne n'autorisant plus  d'arrêt brutal sans conséquence clinique grave.

En effet, l'arrêt  brutal de fortes doses d'alcool (très variable en fonction des personnes) va favoriser en quelques heures ou  quelques jours ,  un risque d'hypertension intracrânienne avec épilepsie, delirium tremens , voir le décés.

Il s'agit alors d'une urgence clinique absolue pour éviter une dégradation neurologique et cognitive  irréversible.

Le manque d’héroïne ou dérivés morphiniques, va générer des douleurs souvent insupportables.

L'arrêt du cannabis peut plonger le consommateur dans l'insomnie et de véritables attaques de panique.

Que pouvons nous proposer  pour éviter la consommation détournée de substances de substitution , non dédiées à cela ?

Les médecins traitants se retrouvent aujourd'hui ( ce qui est mon cas ,) confrontés à l'urgence de diagnostiquer des porteurs de coronavirus, et de les orienter vers des lieux de soins spécialisés en cas de nécessité (signes de gravités.. etc)

Naturellement la prise en charge de cette situation de crise va je l'espère dégager un peu  de temps pour que la médecine générale puisse répondre aux autres problèmes , dont l'urgence du manque.

Les équipes médico-sociales qui travaillent dans l'addcitologie, occupent une place essentielle pour maintenir le lien avec les patients et usagers (CSAPA, CARUD, équipes (habituellement mobiles) .

Face aux fermetures de lieux de soins décidées en début de semaine, le téléphone reste un lien effectif maintenant complété  par la visio-consultation.

Elle offre selon  moi une vraie opportunité qui ne remplace pas les consultations en présentiel , mais qui facilite l'échange et évite le risque d'isolement complet.

Comment palier à cela pour les usagers réguliers de drogues ? Quels effets ce confinement a-t-il sur eux physiquement et psychologiquement ? L'Etat doit-il les aider ?

En conclusion, que pouvons nous proposer ?

Faut-il absolument substituer chimiquement, ou pouvons nous  proposer d'autres solutions alternatives : sport, pratique de la musique , relaxation , méditation pleine conscience, auto-hypnose, sophrologie ?

Les approches médico-sociales en addictologie développent aujourd'hui une prise en charge pluridisciplinaire qui tient compte  de l’expérience de la consommation pour pouvoir proposer d'autres voies complémentaires dans un premier temps ou alternatives quand c'est possible.

La substitution médicamenteuse quand elle est possible (avec la BUPRENORPHINE ou le CHLORHYDRATE de METHADONE pour l'arrêt des opiacés et dérivés) doit être maintenue ou proposée.

Les professionnels travaillent activement sur une logistique réadaptée à l'urgence, pour rendre sa délivrance facilitée face aux fermetures récente de centres.

La médecine générale, et tous les acteurs de l'addictologie (CSAPA, Carud , CMP,  psychologues, psychiatres, travailleurs sociaux) sont donc pleinement impliqués ( en télétravail ou en présentiel ) pour maintenir l’accès au traitement.

La réduction des risques reste une priorité pour éviter des overdoses, ou autres accidents par consommation inhabituelle à visée substitutive (mésusage de traitements non dédiés).

Les services d’urgence ne doivent pas être détournés de leur fonction première et se retrouvent aujourd'hui impliqués dans la priorité du COVID 19.

Mais le changement brutal imposé aux usagers et  patients suivis en addictologie, doit être pris en compte , pour éviter un retour à des conduites à risques dangereuses  pour tous (overdoses, agressions physiques liées au manque).

La prise en charge médicamenteuse des troubles anxieux, dépressifs , algiques, peut être une première alternative , en attendant de pouvoir mettre ou remettre en place une approche médico-sociale adaptée en addictologie.

Les techniques de relaxation, yoga, méditation (pleine conscience) restent un recours complémentaire intéressant , avec des liens sur internet.

Mais quelque soit le moyen thérapeutique proposé , le plus important demeure comme pour chacun de nous aujourd'ui, le maintient du lien social face au confinement nécessaire.

L'isolement mis en place depuis quelques jours, va être vécu différemment selon l’entourage familial , amical, social.

Nous allons tous devoir mobiliser nos propres ressources pour nous adapter à ce nouveau fonctionnement  plus autonome.

Les personnes les plus vulnérables par la précarité de leur santé, de leur moyens financiers, et leur isolement social, risquent de souffrir d'avantage, dans l'anonymat absolu .

Les usagers et patients concernés par les addictions s'inscrivent souvent dans cette zone à risque .

Restons donc  tous vigilants avec  un regard  bienveillant  et solidaire , mais en insistant sur  le  maintient de l’accès aux soins en addictologie.

Une adaptation rapide aux nouvelles règles de confinement s'avère nécessaire (facilité pour le renouvellement du traitement de substitution aux opiacés par les pharmaciens,  comme tout traitement de pathologies chroniques).

Cette crise sans précédant, ne doit pas favoriser l'exclusion des plus vulnérables.

L’accès aux réseaux sociaux doit être facilité pour permettre aux plus fragiles de profiter d'une plateforme qui aide aujourd'hui nos adolescents à mieux supporter cette épidémie et le confinement essentiel pour en sortir.

Face  à cette situation, l'aide médicale et sociale doit être préservée pour répondre aux usagers et patients qui ont mis en place depuis longtemps un équilibre souvent précaire mais qui les empêche de couler , face à leurs addictions. Veillons à maintenir le lien avec eux.

Voici également le témoignage de Guillaume, un ingénieur de 24 ans, sur les questions d'addiction en cette période de pandémie : 

Comment faites-vous en cette période de confinement pour subvenir à votre addiction ? Pouvez-vous y résister ?

Guillaume : C’est extrêmement compliqué. Le confinement veut dire que l’on est seul chez soi, sans famille, sans amis, toute la journée avec une chose en plus : le manque de drogue. Depuis que j’ai commencé le confinement, j’ai augmenté ma consommation habituelle et petit à petit j’épuise mon stock. Il n’y a aucun moyen de se refournir en drogues ce qui est problématique pour moi. Pour toute personne dépendante, il existe une angoisse grandissante face au manque de produits, de se retrouver isoler et de ne plus pouvoir consommer. Or, paradoxalement, le confinement, pour une personne dépendante, est une période où elle peut jouir de la drogue car elle n’a pas la contrainte de la rue, du regard des autres etc. Lors d’un confinement, les gens vont se tourner vers des choses qu’ils aiment ou qui leur font plaisir (nourriture, films, livres, etc.). Pour un dépendant, c’est la drogue…

Il y a aussi un effet physique et psychologique très violent. On ne voit plus nos amis dépendants, on se referme sur nous même et il faut bien comprendre qu’une personne accro aux drogues n’est pas en phase avec la réalité de la vie et cela me fait peur car en cette période de confinement, ils vont devoir affronter une autre réalité et je ne suis pas sûr qu’ils y arrivent. Je pense qu’à terme, les gens seront prêts à s’exposer et prendre des risques pour leurs produits quitte à ne pas respecter la loi du confinement malheureusement. Surtout si le gouvernement ne se penche pas sur cette question.

Quelles alternatives s’offrent à vous en cette période de confinement ?

Guillaume : Une chose importante – et qui me sert dans ces périodes – c’est que je ne suis pas quelqu’un qui sort beaucoup de manière générale (je n’ai jamais aimé sortir). De plus, sortir ne m’importe pas grand-chose car je n’ai plus accès à mes dealers. Pour les alternatives, je me tourne vers l’alcool qui est encore disponible. Je me suis tourné au départ vers la drogue afin d’arrêter l’alcool, donc malheureusement c’est un petit peu un « retour aux sources » si je puis dire. Ce qui est compliqué, c’est que chaque personne dépendante veut des produits qu’elle aime et non des alternatives ou substituts. La dernière alternative est soit de me faire livrer par des amis sur place, soit en utilisant Internet, notamment le Dark Web, que j’ai déjà utilisé auparavant. Cette dernière alternative est LA solution de repli pour les dépendants en périodes difficiles, mais il y a une angoisse supplémentaire, à savoir le délai de livraison. Pour un produit, la livraison se fait entre 5 à 10 jours, ce qui fait que le consommateur doit attendre, et donc trouver une alternative jusqu’à ce que la commande arrive.

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