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La Chine multiplie les investissements en France.
La Chine multiplie les investissements en France.
©Reuters

Prédation économique ?

Le rachat des participations de l'aéroport de Toulouse Blagnac par des investisseurs chinois pour une somme de 300 millions d'euros suscite actuellement la polémique. Mi novembre, c'était la chaîne hôtelière Campanile qui prenait pour propriétaire Jin Jiang International, un groupe chinois.

Christian Harbulot

Christian Harbulot

Christian Harbulot est directeur de l’Ecole de Guerre Economique et directeur associé du cabinet Spin Partners. Son dernier ouvrage :Les fabricants d’intox, la guerre mondialisée des propagandes, est paru en mars 2016 chez Lemieux éditeur.

Il est l'auteur de "Sabordages : comment la puissance française se détruit" (Editions François Bourrin, 2014)

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Eric  Delbecque

Eric Delbecque

Eric Delbecque est expert en sécurité intérieure, auteur des Ingouvernables (Grasset). Eric Delbecque est expert en sécurité intérieure et en intelligence économique et stratégique, Directeur du pôle intelligence économique de COMFLUENCE et Directeur Général Adjoint de l’IFET (Institut pour la Formation des Élus Territoriaux, créé à l'initiative de l’Assemblée des Départements de France, et agréé par le ministère de l’Intérieur pour dispenser de la formation aux élus). Il fut directeur du département intelligence stratégique de la société SIFARIS, responsable de la sûreté de Charlie Hebdo et chef du département intelligence & sécurité économiques de l’Institut National des Hautes Études de la Sécurité et de la Justice (INHESJ), établissement public administratif placé sous la tutelle du Premier ministre), directeur de l’Institut d’Études et de Recherche pour la Sécurité des Entreprises (IERSE, institut de la Gendarmerie nationale), expert au sein de l’ADIT (société nationale d’intelligence stratégique) et responsable des opérations d’intelligence économique et de communication de crise au sein d’une filiale de La Compagnie Financière Rothschild.

Par ailleurs, il fut conférencier à l’IHEDN (Institut des Hautes Études de Défense Nationale), au CHEMI (Centre des Hautes Études du Ministère de l’Intérieur), et à l’École de Guerre Économique. Il a enseigné à Sciences Po (IEP de Paris), à l’ENA (École Nationale d’Administration), à l’IHEDN (Institut National des Hautes Études de la Défense Nationale), à l’ENM (École Nationale de la Magistrature), à l’EOGN (École des Officiers de la Gendarmerie Nationale), à Paris-Dauphine et au Pôle Universitaire Léonard de Vinci. Il est colonel de réserve (RC) de la Gendarmerie Nationale.

Il est l’auteur de nombreux livres portant sur les sujets suivants : l’intelligence économique, la sûreté des entreprises, les stratégies d’influence, l’histoire des idéologies, la sécurité nationale et le management de crise. Il a récemment publié Les Ingouvernables (Grasset) et, avec Christian Chocquet, Quelle stratégie contre le djihadisme ? Repenser la lutte contre la violence radicale (VA éditions). 

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Atlantico : Toulouse Blagnac, Campanile : quelles évolutions peut-on constater en termes d'investissements chinois en France depuis plusieurs années ?

Christian Harbulot : Ces investissements soulèvent plusieurs questions : Les retombées de la main tendue aux Chinois. C’est le cas par exemple dans les télécoms avec la pénétration sur le marché français de l’opérateur Huawei. Son implantation a été très rapide et facilitée par des solutions aussi efficaces voire plus efficaces que ses concurrents et surtout moins chères ! Il est le principal fournisseur de SFR et Bouygues Telecom dans le cœur de leurs réseaux mobiles. Huawei représente 650 emplois et génère 306 millions d’euros de chiffre d’affaires en France. L’opération séduction se poursuit encore de nos jours avec entre autres un investissement de 1,5 milliards d’euros d’ici 2018 dans son centre de R&D à Sophia-Antipolis.

Cet opérateur est directement sous le contrôle de l’Etat chinois, ce qui veut dire qu’il ne peut pas être considéré comme une entreprise classique. Sur ce dossier nos décideurs n’ont pas la même grille de lecture que des pays comme les Etats-Unis, le Canada et l’Australie. Sont-ils plus lucides et compétents pour se permettre de prendre une telle décision ? Rien n’est moins sûr. Que ce soit du côté politique ou du côté entrepreneurial, la recherche de rentrée d’argent à court terme semble l’emporter sut toute autre considération. C’est la même impression qui ressort dans l’éventualité d’une acquisition d’une partie des actions de l’aéroport de Toulouse Blagnac.

Le risque de prédation économique. Laisser s’installer des forces économiques au cœur de notre système aéronautique (un des derniers points d’appui de notre infrastructure industrielle compétitive) relève de la pratique de la roulette russe quand on sait que la Chine est condamnée à utiliser tous les moyens opérationnels, donc tous les raccourcis, pour se hisser au niveau des compétiteurs occidentaux. Sans sombrer dans la paranoïa, il semble que l’empressement de remplir les caisses de l’Etat l’emporte sur une approche de bon sens qui mériterait un autre regard sur les avantages et les inconvénients d’une telle politique d’ouverture aux capitaux chinois.

Eric Delbecque : Le stock d’IDE en provenance de la Chine et de Hong-Kong représente, selon la Banque de France, 1 % des stocks d’IDE en France… Il faut relativiser nos peurs… Cependant, il est exact que ces investissements ont vocation à augmenter. Au-delà, la dépendance financière de l’Europe vis-à-vis de la Chine permet à cette dernière de bénéficier, de la part du vieux continent, d’un soutien politique sur la scène internationale. A terme, elle pourrait bien se traduire par une véritable dépendance de l’Europe vis-à-vis de l’Empire du Milieu. C’est notamment la raison pour laquelle il est impératif que les pays de l’Union réduisent leur déficit public. Que conclure de cette masse complexe de données ? Simplement que les investissements directs chinois en Europe et en France s’inscrivent dans le jeu logique de la mondialisation et ne doivent pas être traités différemment de ceux, par exemple, des Etats-Unis ou du Qatar. Ils doivent faire l’objet d’une appréciation empirique, dépassionnée mais toujours vigilante.

Les acteurs chinois sont multiples : grands groupes, banques nationales ou fonds souverains (telle la China Investment Corporation). Le gouvernement chinois détient de nombreuses participations dans des sociétés étrangères par l’intermédiaire de fonds souverains, de sociétés de capital-investissement ou d’entreprises privées. Vouloir définir précisément l’origine de chaque investissement relève de l’utopie et dénote un déficit de compréhension du monde contemporain.La France est confrontée à des nations dont les stratégies de puissance mêlent intimement acteurs publics et privés, œuvrant réciproquement à leurs intérêts respectifs. C’est un enjeu global d’internationalisation financière et de mutation du capitalisme auquel la France doit faire face, que les flux proviennent de Chine, des Etats-Unis ou d’ailleurs…

Sommes-nous dans une logique similaire à celle des investissements massifs de nations étrangères en vers le Japon dans les années 90, ou encore de la série d'investissements en Grèce (stratégie de position d'appui), ou en Afrique ? 

Christian Harbulot : Je crois que nous sommes surtout dans la situation des années 80, lorsque le monde occidental s’interrogeait sur la capacité de pénétration de la seconde économie mondiale du moment, en l’occurrence le Japon dont l’agressivité commerciale posait beaucoup de problèmes aux Etats-Unis et à l’Europe. Derrière la crise financière qui a affecté l’Asie et l’explosion de la bulle immobilière japonaise, on peut discerner une volonté partagée entre Washington et ses alliés de stopper cette dynamique de conquête économique à partir du moment où le Japon ne pouvait plus exercer de pression en jouant sur la rivalité entre les deux Blocs à la suite de l’effondrement de l’URSS. Reste à savoir si le monde occidental est capable de se réunifier pour faire face à la menace globale que fait peser la Chine sur nos systèmes industriels respectifs. La Chine cherche, comme le Japon il y a vingt ans, à exploiter les contradictions du monde occidental pour en tirer un profit commercial maximal et grignoter les positions dominantes des entreprises occidentales dans les secteurs qui sont à la portée des entreprises chinoises.

Eric Delbecque : Les investisseurs chinois fonctionnent par opportunité. Ils se sont montrés très actifs lorsque la crise de la dette souveraine a fait vaciller les pays européens les plus fragiles. Du port du Pirée aux accords de coopération avec le Portugal dans les secteurs du tourisme, des télécommunications, de l’enseignement, des finances et des énergies renouvelables, la chine s’est montrée très entreprenante.

Dans quelle vision du monde ces investissements s'inscrivent-ils alors ?

Eric Delbecque :Conformément aux nouveaux objectifs définis par leur dernier Plan quinquennal, les Chinois cherchent à investir dans les sept secteurs "stratégiques" des énergies nouvelles, des biotechnologies, des voitures à propulsion alternative, des technologies de l’information de nouvelle génération, des produits manufacturés haut de gamme, des matériaux de pointe et des technologies vertes. Par le biais des IDE, les Chinois acquièrent des acteurs stratégiques ou des technologies de pointe nécessaires au développement industriel et commercial de leur pays…

Les investisseurs chinois s’engagent dans des opérations de capital variées qui dépendent de leur secteur d’activité d’appartenance et de leurs objectifs... Ce qui doit être l’objet d’une attention précautionneuse ce n’est pas tant le montant des IDE en provenance de Chine, que sa répartition. Dans le cas de la Chine, les sommes engagées mais surtout les parts de capital acquises ne ressemblent pas à de simples investissements de portefeuille offrant à l’investisseur la possibilité de se rétracter à tout moment.

Les acteurs chinois cherchent, en France et en plus largement en Europe, des compétences et un savoir-faire : une maîtrise technologique et un outil de production qui leur permettra de se développer de façon compétitive sur le marché régional, notamment en s’appropriant l’image de marque associée aux industries européennes. Ils ciblent également les infrastructures majeures qui leur permettront de favoriser l’expansion des acteurs chinois et facilitera leur accès au marché européen.

Quel a été le résultat de ces stratégies en Grèce et en Afrique ? Que peut-on dire de l'influence que ces investissements ont eu sur ces pays ?

Christian Harbulot : Les stratégies sur la Grèce sont la recherche de positions d’appui (cf. le port du Pirée près d’Athènes) et de voies d’accès sur la Mer Noire, le Moyen-Orient, les Balkans. L’approche chinoise de l’Afrique porte prioritairement sur la recherche de matières premières, d’énergie et de la location de terres agricoles. Mais il existe aussi une volonté chinoise de prendre une position dans les systèmes informatiques et les télécommunications ainsi que dans les infrastructures (ports, transports, aéroports) d’un certain nombre de pays africains. Il ne s’agit pas seulement d’une politique d’aide au développement mais aussi d’une sorte de jeu de go géostratégique pour implanter des relais de la puissance chinoise sur un continent où tout reste à faire.

Que recherchent-ils en France comparativement aux autres pays européens ?

Christian Harbulot : Ils ont compris que la France manque pour l’instant de courage pour affirmer des choix  stratégiques en termes de géoéconomie. En clair, les gouvernements qui se sont succédé depuis le milieu des années 70 n’ont pas cherché à défendre des enjeux industriels vitaux pour le développement de la France. Les marges de manœuvre chinoises étaient et restent donc très importantes à cause de cette déficience chronique.

Eric Delbecque : C’est le pari de l’Europe que la Chine a fait, et non spécifiquement de la France... La crise qui a frappé durement les États-Unis a conduit l’Empire du milieu à diversifier ses réserves de change et acheter des euros... "À l’avenir, l’Europe, sera un de nos principaux marchés pour investir nos réserves de change", avait ainsi déclaré ou "prévenu" le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Jiang Yu. Convaincus que l’Europe surmontera à terme la crise, les Chinois ont pris conscience que la situation présentait pour eux de nombreux avantages...

La Chine ne résonne pas en termes de secteur ou de pays européen mais ambitionne de se développer sur l’ensemble de la région et d’acquérir des marques, des entreprises dynamiques, des technologies, bref, des gages de qualité et de performance…

Aéronautique, télécommunications, industrie de l'armement… Quels sont les secteurs vitaux de notre industrie et de notre économie que nous nous devons de sanctuariser, et donc de protéger d'éventuelles participations chinoises, mais aussi venant d'autres pays ? 

Christian Harbulot : Il est urgent de faire l’audit de notre situation géoéconomique afin de cerner les points forts de notre infrastructure industrielle, non pas sous l’angle du seul critère de la rentabilité mais aussi sous l’angle de la survie et de la limitation de dépendances insupportables. Force est de constater que cette question est encore très peu abordée dans les allées du pouvoir. Espérons que le débat politique évolue dans ce sens sous la pression des Français et de leurs attentes sur ce qui devient vital dans leur quotidien. Ce jour-là, les forces chargées de la protection de notre patrimoine n’auront plus à s’interroger sur les décisions ubuesques qui sont prises par des politiques sans vision et malheureusement acceptées par une partie non négligeable de dirigeants d’entreprise qui ont perdu de vue l’équilibre qu’il faut maintenir entre la recherche immédiate du profit à tirer d’un soi-disant eldorado symbolisé par le marché chinois ou l’apport de ses capitaux et le devenir fragile de la France dans les décennies à venir.

Eric Delbecque : Il n’existe pas de définition précise de ce que peut être un secteur "vital" ou "stratégique". Le décret de 2005 (1) relatif au contrôle des investissements étrangers, élargi par le décret dit "Alstom" du 14 mai 2014 (2), ainsi que les textes relatifs à la sécurité des activités d’importance vitale en donnent toutefois un aperçu. Dans l’hypothèse où, une analyse approfondie et comparée des différents secteurs, activités ou intérêts identifiés comme stratégiques dans les textes et du traitement des cas d’espèce pour lesquels les textes ont trouvé ou non à s’appliquer, permettrait de mettre en exergue des points communs, une telle définition serait-elle, toutefois, en définitive opportune ? Cette définition ne risquerait-elle pas d’être rapidement obsolète compte tenu de la rapidité des évolutions économique et politique ? Ce qui est stratégique aujourd’hui ne le sera peut-être pas demain et inversement ce qui ne l’était pas hier peut le devenir aujourd’hui. En ce sens, il faudrait privilégier les définitions extensives, leur abstraction permettant en effet une plus grande efficacité.

Mais, s’il apparait évident que les secteurs comme celui de la défense nationale, de la sécurité publique, de l’énergie, de la santé publique, des transports, ou encore des télécommunications nécessitent une vigilance particulière des pouvoirs publics, il ne s’agit en aucune manière de les "sanctuariser". Le contrôle des investissements étrangers dans ces secteurs doit se faire au cas par cas.

Dans le cas de Toulouse-Blagnac, c’est le pouvoir public lui-même qui cède sa participation dans une infrastructure. Cet aéroport est déterminant pour le transport aérien de passagers commerciaux (6e en termes de Trafic annuel passager) et surtout de fret (3e en termes de tonnes par an) en France. Il convient de reposer les termes du débat traditionnel sur l’Etat-producteur et l’Etat-actionnaire.

Un effort de coordination et d’orientation supplémentaires mérite cependant d’être déployé afin de garantir une meilleure efficacité de la puissance publique en matière de sécurité économique... Les finances publiques sont contraintes par un objectif d’équilibre, l’Etat poursuivant des finalités différentes de celles d’une entreprise (définie comme une mission de services publiques). Lorsqu’il cède une part de capital, le risque potentiel de restructuration des priorités au détriment des territoires et des acteurs français ne peut être négligé. En ce sens, il doit se montrer vigilant lors des opérations de capital.

Les risques relatifs à la cession de capital doivent impérativement être traités de façon spécifiques. Il ne s’agit pas de s’opposer de façon mécanique à l’entrée d’un actionnaire mais d’analyser rigoureusement chaque situation et de déterminer les conditions d’entrée ainsi que les dispositifs de sécurisation financière et d’établir un mode de gouvernance adéquat : droit de veto, maintien d’un seuil minimal de participation, droit d’agrément sur les décisions stratégiques…

L’articulation de l’attractivité du territoire national et de la croissance nécessite expertise et justesse et doit être examinée aux prismes de ses conséquences en matière d’intérêt stratégique et d’emplois. Cette problématique doit s’insérer dans une réflexion plus globale sur la réciprocité entre les puissances.

En tout état de cause, il faut se garder de toute idéologie, de tout a priori, d’où qu’il vienne, et examiner au cas par cas les situations en fonction des intérêts stratégiques de notre pays et de l’emploi.

Il ne s’agit pas de faire le procès de l’Etat mais de parvenir à poser ce débat dans le cadre de réflexion qui sera vraiment pertinent.


(1) Décret n° 2005-1739 du 30 décembre 2005 réglementant les relations financières avec l’étranger.

(2) Décret n° 2014-479 du 14 mai 2014  relatif aux investissements étrangers soumis à autorisation préalable.

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