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Quotas de femmes dans la haute fonction publique : "il ne faut pas que cela soit une fin en soi"
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Hommes, femmes, mode d'emploi

La haute fonction publique s'attaque à l'égalité homme-femme. L'Assemblée nationale a voté ce jeudi l'instauration progressive d'ici 2018 d'un quota de 40% de femmes parmi les hauts fonctionnaires nommés chaque année. L'avis de deux femmes qui n'ont pas eu besoin de quota pour en arriver là où elles en sont.

Pascale Weil et Viviane de Beaufort

Pascale Weil et Viviane de Beaufort

Pascale Weil est sociologue et associée de Publicis Consultants. Elle est l'auteur de Tels pères...quels Fils?: la révolution silencieuse entre les baby-boomers et leurs enfants, Editions d'Organisation, 2006.

Viviane de Beaufort est professeur à l'ESSEC et notamment directrice des programmes Women ESSEC.

 

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Atlantico : L'Assemblée nationale a voté l'instauration progressive d'ici 2018 d'un quota de 40% de femmes parmi les hauts fonctionnaires nommés chaque année. Quel regard portez-vous sur cette loi ?

Pascale Weil : La mesure qui vient d’être prise répond à un problème réel : les femmes n’ont pas encore la place qu’elles méritent, alors qu’elles ont souvent un niveau d’instruction égal ou supérieur aux hommes, notamment dans les nouvelles générations. Leurs compétences ne se traduisent pas assez  en responsabilités équivalentes à celles des hommes.

Les raisons en sont multiples : absence de networking du soir, cooptation souvent consanguine, manque de confiance en elles, double charge de travail etc …

Mais si les quotas sont une mesure destinée à servir de « déclic », et à prendre le sujet à bras le corps, je m’interroge sur deux aspects :

  • Un premier aspect est théorique : l’idée qu’avec les quotas, certains pensent que l’on renonce au principe de la méritocratie. Cela risquerait de se retourner contre les femmes et de donner l’impression qu’elles seraient promues parce qu’elles sont des femmes, et non pas parce qu’elles en ont leurs compétences. Il faut, au contraire, redonner à la méritocratie toute sa valeur et reconnaitre les compétences, c’est à dire apprécier chacun pour ce « qu’il fait, ou sait » et non pour ce « qu’il est », par le hasard de sa naissance.
  • Un second aspect est pratique, un enjeu d’efficacité : si les causes sont multiples,  les efforts doivent porter sur de multiples fronts, et ce, dès la base de la pyramide : cela commence par l’éducation familiale, l’instruction à l’école, puis dans les filières de formation ; cela se poursuit dans le recrutement, avec une véritable égalité salariale, par un soutien au moment clé de la maternité, par la reconnaissance dans les promotions, à tous les niveaux, en prêtant attention au fait que les femmes les demandent moins souvent que les hommes, tout en les méritant. Cela passe aussi par un combat dans les mentalités, celles des femmes comme celles des hommes.

Le combat est aussi à mener à la maison, car les femmes ne pourront progresser sereinement que si elles trouvent aussi un partage équitable des charges dans leurs foyers. Dans le cas contraire, elles ne feront qu’accumuler le travail sur tous les plans. (On peut aussi penser à recruter plus d’hommes dans les métiers fortement féminisés. Ces professions, sous prétexte de forte féminisation, sont parfois paupérisées).

Si les quotas évaluent le point d’arrivée, il faut surtout penser aux solutions qui permettent de surmonter les obstacles du chemin.

Viviane de Beaufort : Le débat pour ou contre les quotas n'en est pas un. Personne n'est pour instituer un quota : on peut craindre d'être la presence du fait non de ses compétences mais du quota requis. C'est une question déjà debattue dans des pays qui font de l'affirmative action envers les diversites par exemple les USA et les minorités ethniques mais il faut sortir de ce piège théorique.

La réalité c'est que le « plafond de verre » demeure. La présence de femmes à de hauts postes de direction reste marginale dans les principales entreprises françaises et européennes : en 2010, la proportion de femmes dans les conseils d’administration a atteint 12% (Sur 4875 sièges d’administrateurs, 571 sont occupés par des femmes) contre 8% en 2004. Les données de la Commission européenne pour les 588 plus importantes entreprises européennes cotées sont similaires : 3% des postes de président, 12% des mandats occupés par des femmes (Données 2010 de la DG Emploi)! Ces chiffres ont peu évolué depuis 2003. L’amélioration assez spectaculaire constatée en France est clairement due à l'anticipation de la loi : c'est l'effet d'entrainement légal.

Marie-Jo Zimmermann n'était pas, elle non plus, pour des quotas imposant des femmes dans les Conseils d'Administration des entreprises, pas plus que les femmes qui méritent ces postes, mais soyons sérieux : au rythme de la progression actuelle et "culturelle", sans un effet de la loi, la parité entre les hommes et les femmes ne sera atteinte que dans 16 ans dans les Conseils d'Administration des sociétés.
Même si ce n'est qu'une partie de la réponse et qu'il faut par ailleurs accompagner les femmes pour qu'elles soient à l'aise dans ces postes de pouvoir (formation, mentoring, reseaux ) : c'est  l'objet du guide "Devenir administratrice" auquel j'ai participé aux cotés du European Professional Women's Network et de Deloitte.

A présent, il s'agit de l'étendre au secteur public? Fort bien, cela n'est qu'un retour à l'écriture originelle du texte sur la représentation des femmes au sein des Conseils d'Administration, amendé à l'époque par le Sénat. Qu'est ce qui peut justifier qu'une obligation imposée au secteur privé parce qu'on pense celle-ci positive pour l'entreprise et la société ne soit pas imposée au secteur public? Rien!  Est ce plus difficile à faire ? Non, il s'agit, comme pour les entreprises privées, de puiser dans des viviers de compétences qui sortent un peu des clones dont la France a le secret.

Car ne nous y trompons pas, la féminisation des conseils (Conseils d'Administration et Conseils de Surveillance) n'a de sens que si les femmes qu'on y met apportent leur valeur ajoutée pour une plus grande efficience des entreprises.

C'est pour cela qu'imposer des quotas au niveau des Comités exécutifs n'a, à ce stade pas grand sens : le vivier de femmes aptes à exercer ces responsabilités à ce niveau est réduit, il faut l'enrichir progressivement. En faisant de la mixité à tous les échelons de la pyramide de l'entreprise un objectif en soi, donnons aux jeunesfemmes des possibilités de carrières, modifions le système de repérage des talents, afin effectivement dans quelques années, d'avoir des femmes aptes à monter aux comités exécutifs et comités de direction sans quota!

Lorsque les quotas légaux en politique ou aux Conseils d'Administration ne seront plus utiles, la société sera paritaire, ce n'est pas le cas actuellement !

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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