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Le quinquennat utile d’Emmanuel Macron est-il déjà fini ? Le sondage exclusif qui montre que pour les Français, c’est plus compliqué
©JAVIER SORIANO / AFP

Calendrier des réformes

Selon un nouveau sondage de l'Ifop pour Atlantico.fr, Emmanuel Macron va continuer de réformer le pays sur des sujets majeurs pour 55% des Français. Interrogés sur les perspectives du bilan du quinquennat à l'horizon 2022, 27% estiment que la France aura été transformée en profondeur.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Alors que la rentrée d'Emmanuel Macron donne l'impression de grandes difficultés au sein de l'équipe gouvernementale, comment expliquer que les Français (selon notre sondage) en aient une perception plus nuancée ? 

Vincent Tournier : En lisant ce sondage, on a effectivement le sentiment que, tout compte fait, cela ne va pas si mal pour Emmanuel Macron. Du moins, cela pourrait être bien pire, compte tenu de l’accumulation d’informations négatives, que ce soit les critiques sur ses réformes économiques ou sociales, le départ tonitruant de Nicolas Hulot, ou encore la multiplication d’affaires à caractère politico-judiciaire. Ces dernières commencent d’ailleurs à être nombreuses : on a eu l’affaire Alexandre Benalla, puis l’affaire Françoise Nyssen, et maintenant les affaire Agnès Saal, Laura Flessel ou Alexis Kholer. 
Dans ce contexte, on peut expliquer la relative clémence de l’opinion par plusieurs éléments. Tout d’abord, les différentes affaires politico-judiciaires ne bénéficient pas, à l’exception de l’affaire Benalla, d’une importante couverture médiatique, en tout cas  pas autant que la couverture qui a entouré, par exemple, l’affaire Fillon. 
Ensuite, il faut reconnaître que l’exécutif a su mettre en place une stratégie de communication assez efficace en faisant le choix de nommer des ministres totalement inconnus du grand public, sans aucun charisme, sans envergure politique. Ce sont des gens qui ont certainement des qualités personnelles et des compétences techniques, mais ils sont remarquablement transparents et incolores. Du coup, le grand public ne sait pas qui fait quoi, qui portent les réformes ; il ne peut pas polariser ses éventuelles critiques sur des personnalités spécifiques. 
Troisième élément : il faut tenir compte du fait que les indicateurs économiques ne sont pas si catastrophiques. En particulier, le taux de chômage poursuit la baisse qu’il a entamée depuis 2015, ce qui n’est pas négligeable dans un climat d’insécurité et d’incertitude.
Un quatrième élément est que, d’après le sondage de l’IFOP, l’électorat de La République en Marche soutient toujours très massivement les réformes de son leader. Autrement dit, même si le président a connu une forte baisse de popularité, son électorat lui est toujours fidèle. Ce soutien est d’autant plus important qu’il est porté par un électorat de diplômés et de cadres supérieurs : si 45% des Français pensent que les réformes d’Emmanuel Macron auront des effets positifs, ce pourcentage s’élève à 61% chez les cadres supérieurs (contre 40% pour les ouvriers et 37% pour les employés). Or, cet électorat exerce une forte capacité d’influence dans la société : il dispose d’un poids très élevé, avec des relais politiques, sociaux, médiatiques et culturels.
Enfin, un dernier élément concerne la rhétorique du président sur la dimension binaire de la lutte politique. Cette rhétorique, désormais bien huilée et martelée en toute occasion, conduit à opposer d’un côté le camp glorieux des progressistes et, de l’autre, le camp honteux des archaïques, ringards et autres nationalistes de tous poils. Ce discours est simpliste, la ficelle est grosse comme une maison, mais ce n’est pas sans efficacité : à force de marteler un tel message, relayé avec complaisance par les médias, cela finit par avoir un certain poids, cela impose une norme dont il devient difficile de s’extraire. Etre contre Macron, c’est accepter de se retrouver dans le camp des losers, ce qui n’est jamais flatteur. 

On remarque que 40% des électeurs PS pensent que le quinquennat d'Emmanuel Macron va donner des avancées pour la France. Comment expliquer cela alors que les Français ont une perception d'Emmanuel Macron qui mène une politique globalement à droite ? 

Vincent Tournier : C’est tout le problème du PS aujourd’hui. Celui-ci est tiraillé entre son aile gauche et son aile sociale-libérale, division qui est étroitement liée à la question européenne. L’Europe a en effet fracturé la gauche, notamment depuis le référendum de 2005. Une partie de l’électorat socialiste est pro-européen, ce qui le conduit, plus ou moins de façon assumée, à prôner un libéralisme régulé, fondé en grande partie sur l’économie de marché et la responsabilité individuelle. Pour cet électorat de gauche sociale-libérale, Emmanuel Macron n’est certes pas le candidat idéal, mais il est sans aucun doute le plus proche de ce qu’il souhaite ; il correspond à ce qu’on appelait autrefois la deuxième gauche, de tendance rocardienne, celle qui est favorable à la modernisation de l’Etat, donc à son abaissement. 
Cet attrait d’une partie de la gauche pour Emmanuel Macron explique le silence de la direction actuelle du PS. Que peut-elle faire ? Son espace s’est considérablement rétréci : soit elle se déporte sur la gauche et, dans ce cas, Mélenchon risque de ramasser la mise ; soit elle se déporte sur la droite et c’est Emmanuel Macron qui gagne en crédibilité. D’où son choix du silence radio. Mais ce silence peut lui coûter : pour l’heure, la liste PS est annoncée à 6% des intentions aux élections européennes de 2019. 
Notons cependant que le même problème stratégique se pose chez les Républicains. D’après le sondage IFOP, 52% des électeurs LR jugent positivement les réformes d’Emmanuel Macron. C’est une indication de ce type qui encourage certaines personnalités comme Xavier Bertrand ou Valérie Pécresse à tenter leur chance sur une ligne modérée de centre-droit, tandis que, de son côté, Laurent Wauquiez fait le choix d’un positionnement plus radical. Les deux camps font un pari risqué. Mais la situation de la droite n’est pas exactement symétrique à celle de la gauche. Les difficultés que rencontre le Rassemblement national peuvent laisser un espoir à Laurent Wauquiez : sauf si le RN parvient à redresser son image, la ligne droitiste de Wauquiez peut séduire des électeurs déçus par Marine Le Pen, surtout dans un contexte européen où la question migratoire cristallise de plus en plus les clivages.

La rentrée politique du président de la République vient d'être marquée par sa volonté affichée de maintenir la réforme du prélèvement à la source pour l'impôt sur le revenu. Une attitude qui semble satisfaire les Français. Comment cela s'illustre-t-il au travers de ce dernier sondage ?  

Jérôme Fourquet : Ce sont des éléments qui résonnent avec toutes les discussions qu'il y a eu ces derniers jours au sujet de l'ajournement ou non de la réforme du prélèvement à la source. Ce n'était pas particulièrement une priorité pour les français, mais dans le contexte actuel la symbolique politique était très forte. Mettre le pied sur le frein sur un sujet, qui encore une fois n'était pas prioritaire, aurait tout de même signifié aux français que, quelque part, Macron était en voie de Hollandisation, qu'il était en train de temporiser et de reculer devant les obstacles alors même que depuis le début de son quinquennat il a eu à cœur de monter qu'il savait réformer et qu'il le ferait à un rythme rapide et soutenu. 

Le sondage qu'on a réalisé pour vous, s'est fait dans foulée de l'annonce présidentielle du maintien du calendrier sur le prélèvement à la source, à la suite de quelques jours de tergiversations et de couacs. Du coup, le résultat en est intéressant puisque l'on voit qu'il y a une prise de risque -comme Macron aime le dire "chacun aime prendre un risque"- quant au maintien de ce calendrier dans l'hypothèse où il y aurait un effet psychologique qui entrainerait une petite récession en matière de consommation. Cependant, on voit que si le risque est évident pour le mois janvier, il y avait également  un risque immédiat dans le cas où le projet aurait été mis en pause. 
Le fait qu'il ait pris ce risque lui a manifestement été bénéfique. Il vient nourrir l'idée, chez les français, que Macron ne va pas s'arrêter et qu'il n'est pas en voie de banalisation. On a une majorité absolue -55% des français- qui nous dit il va continuer de réformer le pays en profondeur sur des sujets majeurs, ce qui est un chiffre très fort. Deux ou trois jours plus tard, cette annonce a été suivie par celle faite sur le prélèvement à la source. Vous avez donc encore une majorité absolue de français qui pensent que Macron n'a pas changé d'attitude et va continuer de réformer en profondeur. 
Cette décision a été suivie d'autres annonces très récentes de la part d'Emmanuel Macron à l'occasion du premier séminaire gouvernemental à l'issue duquel il a voulu renouer avec ce que l'on avait appeler "la stratégie du tapis de bombe" l'année dernière. C'est-à-dire, cette méthode qui consiste à saturer l'agenda parlementaire et médiatique à l'aide d'un train de réformes toute azimute (plan pauvreté, plan banlieue, il y a des choses sur la justice…). Tout a été annoncé, on a une feuille de route avec un enchainement très rapide qui indique de l'exécutif n'entend pas baisser de régime. Ce message, manifestement, a été reçu puisqu'une majorité de français pense qu'il va continuer à réformer le pays en profondeur. 
C'est le cas bien entendu au sein de son électorat (90% le pense) mais c'est aussi le cas dans les mêmes proportions des électeurs socialistes et républicains. Donc, il a marqué des points. Maintenant, qu'il continue et qu'il ait  l'intention de le faire c'est une chose ; une autre est de savoir qu'elle sera le bilan de cette énergie réformatrice. Lorsque l'on demande au français de se projeter à la fin du quinquennat, les chiffres diffèrent alors très fortement. Il n'y a plus que 27% de la population qui estime que le pays aura été transformé en profondeur.  Et vous avez quasiment au point près la même proportion qui pense, que certes, il aura réformé en profondeur mais, qu'au final, la France n'aura été changée que sur quelques aspects. Et 19% pensent même que le France n'aura pas changé du tout. 
Donc là, il y a si vous voulez deux écueils dans la stratégie de communication politique de Macron. Quand il s'est construit comme "en marche" il avait deux leitmotiv : je vais casser les tabous, on va aller à marche forcée et je vais faire avec la méthode qui est la mienne ce que personne n'est parvenu à faire jusqu'à aujourd'hui et, pour cela, je vous demande de m'aidez ; et ensuite, que ce mouvement n'est pas vain, mais qu'il s'agit d'un mouvement pour transformer le pays, le remettre sur les rails et l'adapter à la mondialisation.
Or, si l'enquête montre que sur le premier niveau il garde une capacité de conviction majoritaire, autant sur sa capacité à transformer véritablement le pays, les français sont beaucoup plus sceptiques. Par patriotisme partisan vous avez 60%  des électeurs En Marche qui pensent que le pays sera transformé en profondeur, mais dans tous les autres électorats c'est nettement minoritaire. Et là où c'est intéressant c'est lorsque l'on regarde ce qu'il se passe chez les Républicains : seuls 16% voit un pays transformé en profondeur à la fin du mandat d'Emmanuel Macron. Ce n'est déjà pas si mal, cela représente une personne sur six ou sept qui estiment que le Président réussira, cela ont sans doute vocation à le soutenir, mais ça reste seulement 16%. Il reste 68% qui pensent qu'il n'y aura que des transformations à la marge..  Ce qui est intéressant c'est de comparer ce qu'il se passe au sein d'En Marche : 60% pensent qu'il va continuer à réformer en profondeur mais 68% pensent qu'au final les choses n'auront bougées que sur quelques aspects seulement. 
On en revient donc, au comment est-ce que la majorité peut-elle convaincre les français mais aussi ces électeurs de droite qu'elle cherche à séduire, que ce qu'elle est en train de faire va produire des effets substantiels. Il y va, mais pour autant, cela changera-t-il la face du pays, auront-ils réussi à rallumer le dynamisme économique.. il y a une encore beaucoup de doute au sien de la population. Et donc c'est tout l'enjeu des mois qui viennent : Macron doit parvenir à gagner du temps pour tenir jusqu'à l'arrivée des premiers signaux positifs de changements profonds et concrets. Ce sera pour Emmanuel Macron, un moyen de prouver que sa méthode était bien la bonne.
Le dernier résultat de l'enquête touche aux 80% des français qui pensent que la société aura été transformée en profondeur sur quelques aspects mais avec qu'elle ampleur, et de qu'elle façon ? S'agit-il d'une transformation en mieux ou en plus négatif ? Ici, une majorité absolue (50%) juge que la société  française aura été transformée négativement à l'issu du quinquennat de Macron. Des prévisions qui sont partagées  très nettement aux extrêmes. A côté des 91% des marcheurs qui voient un bilan globalement positif, on a également 40% des socialistes et 52% de Républicains qui voient également un bilan globalement positif à l'issu de la présidence. 
FN et France Insoumise sont massivement dans la critique, mais c'est encore plus vrai chez les partisans de Jean-Luc Mélenchon qui se posent comme les adversaires les plus véhéments au pouvoir. Marine Le Pen est dans l'opposition, mais ceux qui tirent le plus sur le pouvoir, c'est la France Insoumise. Selon eux, Macron travaille, c'est indubitable, mais il travaille à "casser" le système français (réforme SNCF, réforme des retraites…). Marine Le Pen le dit également mais de façon moins acerbe et moins permanente. 
Globalement, on a encore des niveaux de soutien, de bienveillance qui sont encore très élevés au PS et chez Les Républicains. Il y a une partie de la droite et du PS qui continuent de juger positivement les actions de Macron. 

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