Quick : quand un salarié anonyme dénonce ses conditions de travail sur Twitter... et s'expose à un procès<!-- --> | Atlantico.fr
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Quick poursuit en justice un salarié décrivant son travail sur Twitter.
Quick poursuit en justice un salarié décrivant son travail sur Twitter.
©Flickr

Liberté d'expression

Début novembre, un inconnu se présentant comme un salarié embauché en CDI dans un restaurant français de la chaîne de fast-food entreprenait de chroniquer ses journées de travail sur le compte Twitter @EquipierQuick. Les tweets alternaient détails anodins et critiques plus poussées.

Antoine Chéron

Antoine Chéron

Antoine Chéron est avocat spécialisé en propriété intellectuelle et NTIC, fondateur du cabinet ACBM.

Son site : www.acbm-avocats.com

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La direction de la chaîne de restauration rapide Quick vient de publier sur son site officiel un communiqué afin de " réagir officiellement aux propos tenus depuis le 1er novembre par le compte Twitter@EquipierQuick ". Le communiqué, daté de janvier 2013, fait référence aux " exercices de dénonciation mensongère " qu’un des salariés de la chaîne de restauration mènent depuis son compte Twitter contre Quick, à propos des conditions de travail déplorables des salariés ainsi que du manque d’hygiène dans le restaurant où il était employé.  

Ainsi, durant plusieurs semaines, l’équipier en question avait posté de multiples messages sur le micro-blogging pour faire part de la situation intenable dans laquelle les salariés du restaurant se trouvaient vis-à-vis de l’équipe managériale. Il mettait notamment l’accent sur les menaces de rupture du contrat de travail exercées par les managers sur les employés en cas de refus d’exécuter certaines tâches.Plus grave, il dénonçait les libertés que s’autorisaient les managers avec les règles d’hygiène comme le fait de conserver des emballages usagers.

Le communiqué précise que la direction a diligenté des " audits qualité et social sur les prétendus dysfonctionnements " et que le résultat de ceux-ci ont démenti les allégations du salarié. Le Groupe entend donc agir en justice afin d’obliger l’équipier à " assumer les conséquences de ses agissements ".

La question se pose de savoir si une telle action peut prospérer compte tenu de la législation en vigueur en la matière et de l’état de la jurisprudence. L’activité de micro-blogging que représente Twitter a un caractère public et relève donc de la réglementation sur la presse. Par conséquent, Quick pourra argumenter sur le fondement de l’article 29 de loi de 1881 que les propos de son salarié constituent une diffamation portant atteinte à sa réputation.

Cette loi, très protectrice de la liberté d’expression, fait la distinction entre la critique qui doit être libre, même désagréable à la personne et les imputations ou dénonciations calomnieuses entraînant le discrédit de la personne visée. Il est vrai que depuis le développement des réseaux sociaux, il apparaît toujours délicat de trouver un équilibre entre l’exercice de la liberté d’expression du salarié et la protection des intérêts légitimes de l’entreprise. Conscientes de cette difficulté, les entreprises appréhendent dans leur grande majorité l’utilisation des réseaux sociaux : selon une étude du cabinet Deloitte LLP, 74 % des collaborateurs reconnaissent qu'il est facile de ternir la réputation d'une société par les réseaux sociaux.

Contrairement à ce qui se pratique dans le monde anglo-saxon où la liberté d’expression est l’objet d’un meilleure protection que le respect dû à la vie privée, en France, pour des raisons historiques, les droits des salariés sont mieux assurés. Ainsi, comme le prévoit l’article L.2281-1 du Code du travail, les salariés bénéficient d’un droit de s’exprimer " sur le contenu, les conditions d’exercice et l’organisation de leur travail ". Mais face à ce droit, comme un fond de politique libérale, on oppose du côté employeur, l’article  L.1222-14 du Code du travail,  selon lequel " le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi ". Ce qui signifie que le salarié doit être loyal à l’égard de son employeur et éviter de se livrer à des dénigrements de l’entreprise qui l’emploie. Ainsi, le salarié, comme le fonctionnaire, est contraint à un devoir de réserve, lui interdisant de s’exprimer de manière préjudiciable à son employeur, du moins de manière publique.

La jurisprudence connait depuis quelques années des cas similaires à celui dont nous avons affaire aujourd’hui à propos de Quick. Ainsi, par un jugement du 19 novembre 2010, le Conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt a autorisé les licenciements de trois salariés de la société ALTEN qui avaient tenu sur Facebook des propos disconvenant à l’égard de leur employeur. Les juges avaient motivé leur décision en tenant compte des circonstances de l’espèce : il s’agissait de cadres notamment.

Dans un récent arrêt, du 19 septembre 2012 (n° 10-21517) la Chambre sociale de la Cour de cassation avait confirmé une décision d’une cour d’appel qui avait prononcé la condamnation d’un salarié pour avoir directement mis en cause les compétences du gérant de l’entreprise nommément désigné, en pointant ses défaillances dans le suivi des dossiers clients. Ces allégations portaient directement atteinte à l’image de l’entreprise vis-à-vis de la clientèle.

Dans l’affaire Quick, c’est bien d’une atteinte à l’image de l’entreprise dont il s’agit. La question reste ouverte de savoir comment, si l’affaire venait à se poursuivre en justice, le juge appréciera les circonstances en cause.

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