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Thierry Breton et Margrethe Vestager lors d’une conférence de presse sur la boîte à outils de sécurité 5G à la Commission européenne à Bruxelles , en janvier 2020.
Thierry Breton et Margrethe Vestager lors d’une conférence de presse sur la boîte à outils de sécurité 5G à la Commission européenne à Bruxelles , en janvier 2020.
©ARIS OIKONOMOU / AFP

Investissements

Plusieurs opérateurs de télécommunications viennent de demander aux pouvoirs publics de veiller à ce que les grandes plateformes prennent leur part du fardeau.

Michel Keyah

Michel Keyah

Michel Keyah est économiste.

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Si la régulation du numérique est à l’ordre du jour, particulièrement dans l’Union européenne au travers des deux projets DMA (Digital Markets Act) et DSA (Digital Services Act), se pose également la question importante du financement des infrastructures. Plusieurs opérateurs de télécommunications viennent d’ailleurs de le rappeler, qui ont demandé aux pouvoirs publics de veiller à ce que les grandes plateformes prennent leur part du fardeau. 

Un tel appel n’est pas nouveau, pas plus qu’il n’est réellement surprenant. Au fond, le moment choisi est assez propice, pour au moins deux raisons. D’abord, au travers des deux projets législatifs cités supra, plus largement depuis quelques années, les plateformes sont clairement dans le viseur des autorités européennes. Ensuite, et plus fondamentalement, la revendication des opérateurs de télécommunication s’inscrit dans ce qui est devenu un serpent de mer de l’évolution de l’approche en matière de droit de la concurrence : essayer de déplacer un curseur qui a longtemps privilégié le consommateur vers le producteur afin de consolider l’offre dans un contexte de concurrence internationale renforcée. C’est tout le débat sur la politique industrielle, mené notamment par le commissaire Breton. 

Qu’il soit permis d’apporter ici quelques remarques, pour souligner combien cette question apparemment simple soulève de difficultés. 

Première remarque : la mesure de l’ampleur des investissements. Comme toujours en la matière, chaque partie a quantités d’arguments à avancer. Les plateformes, aussi, pourraient faire étalage des investissements qu’elles réalisent. Parmi d’autres, une étude d’Analysys Mason établissait ainsi que sur la période 2014-2018, leurs investissements dans les infrastructures s’étaient élevés à plus de 300 milliards de dollars. Par-delà les querelles de chiffres, il n’est pas inutile de s’interroger sur la faisabilité technique de l’évolution souhaitée. Déjà dans un avis de juillet 2017 l’Arcep, interrogée à ce sujet, avait été claire. Elle avait écarté la faisabilité technique d’une mesure imaginée dès 2013 visant à créer une taxe sur la bande passante utilisée sur les réseaux français, soulignant les difficultés de calcul de l’assiette et, plus encore, le fait qu’un tel dispositif serait facilement contournable par les acteurs concernés. Comment par ailleurs distinguer entre « petits » et « gros » fournisseurs ? 

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Deuxième tempérament : la continuité d’intérêt entre fournisseurs de services de télécommunications et plateformes. C’est bien sûr le point essentiel. Car au-delà des oppositions concernant le partage du fardeau en matière d’infrastructures, il est une réalité que chacun comprend : sans le contenu bâti par les plateformes, le consommateur n’aurait aucun intérêt à payer les opérateurs de télécommunication. Les plateformes pourraient, à ce titre, pousser le raisonnement jusqu’à demander elles aussi d’être rétribuées par les fournisseurs de services de communication. Sans aller jusqu’à cette révolution copernicienne, il est de l’intérêt parfaitement compris par les plateformes que les fournisseurs de télécommunication doivent s’appuyer sur des infrastructures capables de délivrer les services à valeur ajoutée plus grande, ce qui a évidemment un coût. L’on perdrait d’ailleurs du temps à égrener l’ensemble des partenariats qui se sont tissés entre les entreprises de télécommunications et les plateformes au cours des années récentes, qui attestent que leurs intérêts convergents. 

Troisième tempérament, d’ordre plus politique : veut-on réellement donner aux plateformes un rôle important en matière de construction des infrastructures ? Il y aurait à cet égard quelque incohérence de la part de l’UE à d’un côté regarder les questions numériques au travers du prisme de la souveraineté, mais d’un autre coté à conférer aux plateformes essentiellement non européennes un rôle clé en matière d’infrastructures. 

En définitive, une faiblesse des opérateurs et des infrastructures de télécommunication n’est pas de l’intérêt des Européens. La contribution des plateformes posant des difficultés, il est d’autres voies à explorer. Parmi elles, une consolidation de l’offre en matière de télécommunications, que le secteur demande à juste titre tant elle est atomisée si on la compare par exemple aux États-Unis, mais à laquelle les autorités de régulation restent pour l’instant hostiles. 

Michel Keyah, économiste

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