Temps, argent… ou rien : qui investit quoi pour les vacances de ses enfants<!-- --> | Atlantico.fr
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Les vacances de férvrier, propices au ski
Les vacances de férvrier, propices au ski
©Reuters

Roulez jeunesse

Tous les enfants ne connaîtront pas les mêmes vacances. Séjour chez les grands-parents, avec les parents, colonies ou... rien du tout. Un destin qui dépend de la situation de la famille, mais aussi de choix personnels et de contraintes budgétaires. Et si elles peuvent leur être concrètement bénéfiques, les vacances représentent également la période de tous les dangers.

Isabelle Monforte

Isabelle Monforte

Isabelle Monforte est psychosociologue à l'Observatoire des vacances et des loisirs des enfants et des jeunes (Ovlef).

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François  Pinabel

François Pinabel

François Pinabel est pédopsychiatre attaché à la Pitié-Salpêtrière.

 
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Antoine Guedenay

Antoine Guedenay

Antoine Guedenay est pédopsychiatre à l'hôpital Bichat à Paris.

 
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Atlantico : Les enfants de la zone "C" sont en vacances depuis vendredi soir. Hormis le repos, à quoi servent les vacances pour les enfants ? En quoi structurent-elles leur développement ? 

Antoine Guedeney : Le plus important pour les enfants, c'est que les vacances riment avec absence d'école. Cette période leur permet de se structurer parce qu'elles représentent un temps idéal à l'évasion, au jeu et à l'imagination. Partir en voyage avec ses parents comporte un autre aspect positif, car c'est la période où les enfants peuvent également voir leurs propre parents…en congés. C'est une expérience importante pour eux, ils profitent d'une plus grande disponibilité de leur part dans une société où le quotidien est toujours plus prenant et chronophage. 

Mais la diversité des familles et des environnements familiaux peuvent modérer ces effets. Car l'école constitue pour certains enfants un moment de répit, lorsque l'environnement familial n'est pas stable par exemple.

François Pinabel : Cela renvoie aussi à la question des rythmes scolaires. Les journées à rallonge, et les longues vacances par session de 15 jours structurent sans doute assez mal la vie de l'enfant, à cause des "-à-coups" que cela entraîne. Le système français voit les vacances comme un brusque coups de freins suivant une forte accélération en période scolaire. Pourtant, un enfant, c'est d'abord un cerveau, un système cognitif en développement, et les vacances conçues de la sorte peuvent générer des ruptures discutables sur le plan de l'évolution de l'enfant.

Quand on pense aux différentes situations que peuvent vivre les enfants en vacances (accompagner les parents, aller en colonie, aller chez les grands-parents, voire rester seul), on imagine que le premier facteur sera le revenu des parents. Mais dans la réalité, est-ce le facteur le plus impactant ? 

Isabelle Monforte : Le premier facteur est en effet le revenu de la famille. Cela peut se doubler du montant des incitations et des aides au départ. Le second facteur c'est l'âge de l'enfant, puisque les pratiques varient selon l'enfant. Par exemple, dans une famille un peu plus aisé qui a les moyens d'offrir des vacances à ses enfants, les plus jeunes iront chez les grands-parents (même si la tendance est en baisse), et la colonies concernera les plus grands jusque-là l'âge de seize ans environ. Tout cela bien sûr quand ils ne partent pas directement avec les parents.  

Il n'existe plus de statistiques publiques aujourd'hui sur le départ des enfants (on ne s'intéresse plus qu'aux adultes). Mais la dernière enquête de l'INSEE sur le sujet a montré un resserrement des modes vacances autour de la famille, pour des raisons culturelles bien sûr, mais aussi pour des raisons budgétaires poussant à des choix. L'étude a surtout montré que les inégalités se sont accrues avec une baisse des départs entre 2004 et 2011. En 2011 en effet, 25% des enfants ne partaient pas en vacances selon la définition de l'Office national du tourisme (c’est-à-dire au moins quatre nuits) soit 3 millions d'enfants (dont 2 millions qui ne sont pas partis une seule nuit).

Dans quelle mesure les choix éducatif assumé peuvent-ils influer à contre-courant des évidences liées aux revenus ? Y a-t-il ainsi un profil de parent modeste qui ne laissera jamais son enfant seul, ou, à l'inverse, des parents très aisés qui assumeront de ne pas emmener leur enfant avec eux ?

Isabelle Monforte : Les parents partant sans leurs enfants restent, je pense, relativement rares. Et généralement, quand cela arrive, il s'agit de parents qui partent une fois avec et une fois sans les enfants la même année. Effectivement se développe les cas de famille qui ne peuvent plus assurer le coût des vacances pour toute la famille qui vont donc privilégier le départ des seuls enfants, pensant que cela leur sera plus profitable, en leur permettant d'acquérir une dimension collective et éducative dont ils n'ont eux-même pas besoin. Cela concerne évidemment les familles à faibles revenus. Après ce cas de figure est également très fluctuant en fonction du lieu d'habitation – et donc de la politique municipale sur les vacances des enfants – ainsi que des éventuels avantages offerts par les comités d'entreprise. De plus, en France, envoyer son enfant dans un séjour collectif correspond culturellement à un vrai choix éducatif, il s'agit de faire en sorte "qu'il ne reste pas que à la maison".

Antoine Guedenay : J'ai effectivement constaté ce phénomène de parents qui partent en vacances, en laissant leurs enfants seuls. Ne généralisons pas, il n'y en a pas beaucoup. Cependant, on les retrouve plus dans les milieux favorisés : ce sont des gens qui privilégient leur relation de couples et leur vie d'individu à leur fonction de parents. Et c'est en augmentation. Avant, la pression sociale poussait à prioriser les enfants. Maintenant les individus s'autorisent un peu plus à laisser leurs enfants "se débrouiller", éventuellement en les confiant à d'autres personnes ou à des structures.

A l'inverse, les parents qui mettent un point d'honneur à ce que leurs enfants partent ont un profil social beaucoup plus modeste. Ils ont sans doute raison d'ailleurs, car ils envoient ainsi à leur enfant l'image qu'il est un être prioritaire, que c'est lui qui passe avant, et c'est un sentiment très important pour eux même s'il n'en est pas toujours conscients.

Les vacances sont encore largement vues comme un moment familial par excellence. Cela ne lie-t-il pas trop les enfants à la situation sociale de sa famille ? Cela n'entretient-il pas des inégalités ?

Isabelle Monforte : Tout à fait. Quand on observe les évolutions sur plusieurs années, la proportion d'enfants qui ne partent qu'avec leurs parents s'accroît. Et comme les départs d'un enfant dans le cadre d'un séjour collectif ne sont pas culturellement répandus partout, on voit un phénomène se développer en France : à partir de l'âge de 16-17 ans beaucoup d'enfants ne partent plus en vacances. En effet, comme leurs parents ne partent pas, ils se retrouvent sans "alternative".

En 1981, 50% des enfants partants en vacances ne partaient qu'avec leurs parents. En 2011, ce chiffre est monté à 65%. 

Quelles peuvent être les conséquences dans le développement d'un enfant de ne pas partir en vacances, et a fortiori de rester seul ?

François Pinabel : Le problème de la solitude d'un enfant pendant les vacances vient accentuer un autre comportement néfaste : la dépendance aux écrans. Ces derniers en effet entretiennent cette solitude car les enfants refusent alors d'aller au centre aéré, ou de sortir, car ils veulent rester devant leur écran toute la journée. C'est une vraie complication selon moi du phénomène que vous décrivez, et c'est d'ailleurs la problématique majeure en corollaire de la solitude en vacances.

Isabelle Monforte : Rester seul en vacances ne contribue évidemment pas à la socialisation. Et on un retour intéressant des associations qui travaillent à offrir des vacances pour la première fois à des jeunes qui ne sont jamais partis et qui sont restés seuls à la maison : ils se retrouvent sans aucune culture de la mobilité, ce qui peut rejaillir dans la vie professionnelle ensuite. Et ce qui peut sembler agréable et anodin pour le commun, comme changer temporairement de cadre, devient beaucoup plus compliqué pour eux.

Antoine Guedeneay : Les conséquences sur le développement d'un enfant ne proviennent jamais d'un facteur unique. Il y a bien sûr un sentiment d'exclusion social à rester seul chez soi pendant la période des vacances, mais dans les faits la plupart ne restent pas seuls. La multiplicité des activités organisées par les mairies, les collectivités, peuvent donner une impression  de vacances qui peut atténuer le sentiment d'exclusion.

Pour les enfants qui sont contraints de ne pas partir et qui, s'ils sont jeunes, subissent les conséquences en termes de développement, la société devrait-elle avoir le devoir d'intervenir et d’offrir à tous un minimum de vacances ?

Isabelle Monforte : Il y a évidemment un gain en terme éducatif d'envisager ce genre d'action, mais aussi en terme de cohésion sociale. On sait bien qu'il y a une disparité à la rentrée des classes entre les jeunes qui sont partis, qui ont vécu des expériences, ou partagé des moments avec leur famille, par rapport à ceux qui sont restés seuls, chez eux. Pendant très longtemps, il y a d'ailleurs eu une politique public d'aide aux départs des enfants qui s'est brusquement ralenti aux débuts des années 90. Elle s'est alors concentrée sur les bas revenus (leur taux de départ a d'ailleurs augmenté), mettant de côté les revenus très faibles (qui n'ont pas recours aux aides), et toute la frange des classes moyennes qui connaît une période difficile financièrement.

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