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Questions sociales : quand l’obsession pour l’égalité finit par être contre-productive
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Trop-plein

Le texte sur le mariage pour tous va sans surprise être voté par l'Assemblée nationale ouvrant de façon historique le mariage et l'adoption aux couples du même sexe.

Thibaud Collin et Chantal Delsol

Thibaud Collin et Chantal Delsol

Thibaud Collin un philosophe et écrivain français, agrégé de philosophie, il travaille sur des questions de philosophie morale et politique. Il enseigne la philosophie en classes préparatoires et est également l'auteur de plusieurs ouvrages dont Les lendemains du mariage gay : Vers la fin du mariage ? Quelle place pour les enfants ? (Éditions Salvador) et L'éducation à l'âge du gender : Construire ou déconstruire l'homme ? (à paraître cette année aux Éditions Salvador).

Chantal Delsol est journaliste, philosophe, écrivain et historienne des idées politiques. Née à Paris en 1947, elle est l'auteur de très nombreux essais politiques et historiques, dont Essai sur le pouvoir occidental : démocratie et despotisme dans l'Antiquité (PUF, 1985), La Politique dénaturée (PUF, 1986), Les idées politiques au XXe siècle (PUF, 1991), L'identité de l'Europe, (avec Jean-François Mattéi, PUF, 2010) ou La paresse et la révolte (Plon, 2011).

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Voici l'intervention de Bruno Nestor Azérot, député du groupe GDR (gauche démocrate et républicaine) devant l'Assemblée nationale où il affirme que l’adoption de la loi sur mariage pour tous serait une destruction " du pacte républicain et ne garantira pas de libertés supplémentaires ". En démontrant habilement que le mariage homosexuel provoque une déstructuration de l'égalité citoyenne, M. Azérot réussi à invalider l'argumentaire porté par Christiane Taubira, cette dernière affirmant que cette mesure "n'enlevait rien aux couples hétérosexuels". 

Le mariage pour tous risque de "rétablir une oppression en confondant sexe, genre et pratique" selon M. Azérot, député de la deuxième circonscription de Martinique. 

Atlantico : Peut-on dire, comme le souligne M. Azérot, que l'adoption du mariage pour tous ne garantit pas "une liberté supplémentaire" et peut potentiellement devenir une "rupture du pacte républicain" ?

Chantal Delsol : Le principe d’égalité républicaine n’est pas compris ici ou bien il est perverti, comme on veut. Et du coup il joue contre lui-même. On pourrait égaliser à l’infini si les humains étaient absolument semblables. Mais ce n’est pas le cas. Il y a des hommes et des femmes, des handicapés et des bien-portants, etc. Tout le malheur de la HALDE est de laisser croire ou de faire croire que c’est l’égalité de donner la même chose à tous, mais c’est le contraire, la justice consisterait à donner différemment parce que les gens sont différents. Mais on constate dans le projet de loi actuel une tendance démiurgique qui va plus loin : il s’agit par la loi de rendre semblables les humains différents. C’est à dire que l’égalité ne rend pas justice à ce qui est : elle transforme la réalité en l’égalisant. Nous ne sommes plus du tout dans l’idéal républicain hérité du grand Cicéron. Nous sommes dans les folies révolutionnaires de 1793 ou sa suite, 1917.

Cet appel à l'égalité n'est-il pas un égalitarisme qui cache son nom ?

Thibaud Collin :L'égalité certes mais entre qui et qui ? Le principe d'égalité n'est opérant qu'entre des situations comparables. La revendication homosexuelle a su très habilement distiller dans les mentalités que la distinction homme/femme devait être relativisée par une distinction entre « homosexuel s » et « hétérosexuels ». Or ceux-ci peuvent se marier et avoir des enfants et pas les premiers. Puisque le langage courant parle bien de « couple » dans les deux cas (alors que le mot paire serait plus juste pour désigner deux hommes ou deux femmes), il semble logique et légitime de leur accorder les mêmes droits.

Or c'est justement ce parallélisme qui est contestable. Si la société s'intéresse aux couples homme/femme, c'est parce que leur union est la source possible d'enfants, en l’occurrence les futurs citoyens. Le mariage civil n'a pas été créé pour reconnaître le sentiment amoureux mais pour donner un cadre juridique à la transmission de la vie humaine et de tout ce qui s'ensuit. La relation sexuelle entre deux hommes ou entre deux femmes étant par définition stérile, il est donc juste qu'elle ne soit pas traitée de la même manière. Le constat de situations dans lesquelles des enfants vivent avec des personnes homosexuelles ne légitime en rien l'ouverture d'un droit à instaurer une « homofiliation » qui priverait l'enfant soit de son père, soit de sa mère. Il faut bien distinguer l'aspect relationnel et éducatif d'une part et l'aspect de l'identité et de la généalogique d'autre part.

Nous assistons aujourd'hui à un mouvement puissant d'indifférenciation anthropologique au nom de la revendication à l'égalité. Mais comme celle-ci est considérée abstraitement des situations ou des qualités, on arrive à l'idée que tout individu = x doit avoir accès à tous les droits qu'il revendique au nom de sa dignité humaine. On trouve cela aussi par exemple dans un certain « antiracisme » pour lequel toute référence à la culture et aux traditions du peuple accueillant est vue comme discriminatoire envers les immigrés. Il s'agit bien sûr de respecter ce qui est dû à chacun en tant que personne humaine mais la justice exige d'aller dans le contenu essentiel et concret des relations humaines. Encore une fois, dans la réforme du mariage et de la filiation, ce sont les enfants qui sont ultimement concernés. Le rôle d'un État de droit est de protéger les plus faibles, ceux auxquels on ne demande pas par définition leur consentement. La grandeur du politique est se mettre au service d'un ordre humain pré-politique et non pas de se croire investi de la mission de créer une humanité nouvelle. On a bien vu au siècle dernier ce que cela a donné 

Cette logique d'égalisation à l'infini n'est-elle pas contre productive dans le sens où elle garantit un droit spécifique à une minorité ?

Thibault Collin : On est là en pleine systémique : la modification d'une seule partie du système en modifie la totalité. Quand on change certaines règles d'un jeu, c'est bien à un autre jeu auquel on joue ! Nous vivons dans une société où au nom d'une soi-disant égale dignité des identités, il faudrait que l’État mais aussi la société reconnaissent que tous les comportements se valent. L'égalisation est donc une machine à créer du plus petit dénominateur commun au lieu de rechercher ce qui est objectivement bon pour la société. La République est de moins en moins la chose commune, et de plus en plus une forme vide grâce à laquelle sont juxtaposées des choix identitaires. L'égalitarisme est un autre nom du relativisme. Il est donc liberticide car la liberté ne prospère que sur une recherche exigeante de la vérité sur le bien humain. C'est la leçon magistrale des grands dissidents de l'Est comme Havel et Soljenitsyne.  

 Propos recueillis par Théophile Sourdille

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