Quels risques la Chine fait-elle vraiment courir à l'économie mondiale ? <!-- --> | Atlantico.fr
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La dette chinoise devrait passer à 245% du PIB en 2015.
La dette chinoise devrait passer à 245% du PIB en 2015.
©Reuters

Le poids de la dette

Aujourd’hui estimée à 205% par le courtier CLSA, la dette chinoise devrait passer à 245% de son PIB en 2015. Lundi matin, l’agence Moody’s a mis en garde contre la hausse de 67% en un an du crédit informel chinois, qui représenterait un risque "systémique". Ce qui "inquiète" en ce moment les analystes pourrait-il avoir des conséquences non négligeables pour l'économie mondiale ?

Jean-Joseph Boillot

Jean-Joseph Boillot

Jean-Joseph Boillot est agrégé de sciences économiques et sociales et Docteur en économie.

Il est spécialisé depuis les années 1980 sur l'Inde et l'Asie émergente et a été conseiller au ministère des Finances sur la plupart des grandes régions émergentes dans les années 1990. Il est aujourd'hui chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et coprésident du Euro-India Group (EIEBG).

Son dernier livre :  "Utopies made in monde, le sage et l'économiste" paru chez Odile Jacob en Avril 2021.  
Il est également l'auteur de "L'Inde ancienne au chevet de nos politiques. L'art de la gouvernance selon l'Arthashâstra", Editions du Félin, 2017.   et de "Chindiafrique : la Chine, l'Inde et l'Afrique feront le monde de demain" paru chez Odile Jacob en Janvier 2013.

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Atlantico : Aujourd’hui estimée à 205% par le courtier CLSA, la dette chinoise devrait passer à 245% du PIB en 2015. Comment expliquer une montée aussi rapide, en si peu de temps ?

Jean-Joseph Boillot : Il est important d’opérer une distinction entre la dette et l’état du crédit bancaire. Les données officielles chinoises donnent une image de la dette plutôt rassurante : le déficit public de l’Etat central ne dépasse pas 2 ou 3% du PIB, et la dette du gouvernement central représente environ 20% du PIB. La  situation semble donc très confortable.

A cela s’ajoute la dette des gouvernements locaux, qui est officiellement estimée à 27% du PIB, ainsi que les « crédits politiques », qui sont accordés à des entités publiques (6% du PIB). Au total, on aurait donc en Chine une dette publique de l’ordre de 53% du PIB, plus faible que celle de l’Allemagne, par exemple.

Si on raisonne en termes d’endettement du système bancaire, l’image est différente. L’astuce des autorités chinoises consiste à présenter un tableau de la dette officielle qui est relativement confortable, et à sous-estimer l’ampleur de l'endettement vis à vis des banques ainsi que la croissance du crédit. Or, le système bancaire est totalement public et la Banque centrale a beaucoup de difficultés à contrôler la distribution des crédits qui rythme toute la vie économique en Chine. C’est ce qu’on appelle le « credit impulse ». De ce côté les derniers chiffres sont en effet plus inquiétants.

Entre 1997 et 2008, les engagements bancaires totaux sont passés de 90% à près de 180% du PIB. A cause du choc de la crise financière de 2008-2009, on a assisté à une croissance très importante du crédit bancaire (le fameux « credit impulse »), de sorte que les engagements bancaires représentent aujourd’hui autour de 240% du PIB. Mais le plus inquiétant est leur structure. Les crédits bancaires au gouvernement central, qui avaient explosé au début des années 2000, sont en phase de stabilisation, voire de diminution depuis 2008, aux alentours de 60% du PIB.

Les crédits aux particuliers, eux, sont toujours aussi faibles (30%) et traduisent bien que la Chine n'arrive pas à faire décoller sa consommation intérieure. Les crédits aux entreprises, curieusement, n’ont pas explosé. Leur niveau entre 1997 (80% du PIB) et aujourd’hui (90%) est comparable. Ce n’est pas là que l’on retrouve l’explosion du crédit de ces trois ou quatre dernières années. La véritable explosion, qui représente 30 à 40 points de PIB, apparaît sous une catégorie un peu étrange, qui est « other corporate ». Celle-ci comprend notamment le « shadow banking », autrement dit les prêts informels.

On a donc affaire à quelque chose d’assez peu contrôlé par la Banque centrale et même par les plus grandes banques commerciales. Face au ralentissement de l’économie, et alors que la banque centrale essaie de resserrer son contrôle sur un système bancaire qu'elle sait fragile, on assiste clairement à une course pour refinancer un ensemble de dépenses d’investissement faites ces 5 à 10 dernières années, et qui n'arrivent pas à être repayées.

Prenons l’exemple du marché immobilier : des ensembles résidentiels complets ont été construits et ne trouvent pas preneurs. Pour tenir, on pratique le refinancement à court terme, en espérant que ces logements trouveront preneur un jour. Face au ralentissement de l’économie et à la hausse des coûts, les petites et moyennes entreprises, qui traditionnellement n’ont pas accès aux grandes banques publiques chinoises, sont également amenées à essayer de trouver des crédits pour faire face à leurs dépenses. La forte augmentation de ces nouveaux crédits dans un contexte de ralentissement de l’économie, se traduit par une multiplication par trois de leur poids dans le PIB chinois en quatre ans seulement. Oui, c'est effectivement inquiétant.

L’économiste hongkongais Larry Lang a, quant à lui, déclaré en avril que la crise bancaire avait déjà commencé en Chine. Si crise bancaire il y a, quelles en sont les raisons ? Et quelles en seront les conséquences ?

J'ai travaillé à Hong Kong pendant quelques années. Il faut faire attention aux déclarations alarmistes qui reviennent périodiquement sur le système bancaire chinois. Mais il est vrai que l’agence de notation Fitch a dégradé le crédit souverain de la Chine début avril en passant de AA- à A+. Cette dégradation a été justifiée comme étant le résultat d’une expansion du crédit beaucoup trop rapide ces dernières années. S’agissant de crédits bancaires, cela ne devrait normalement pas impacter la note souveraine du pays. Mais dès lors que le système bancaire est en totalité public, cela revient, in fine, à un engagement de l’Etat central. La centaine de banques étrangères ne représente que 2% des engagements bancaires totaux, contre 98% pour les banques publiques. On est donc bien face à un risque souverain.

La question est maintenant de savoir s’il y a une crise bancaire larvée et si elle pourrait exploser brutalement. Jusqu’à présent, le système d’impulsion par le crédit tenait bon tant qu’il était lié à un taux de croissance extrêmement rapide. C’est ce qu’on appelle « faire de la cavalerie ». Dès lors que la croissance était à 10 ou 12% par an, compte tenu du fait que les taux d’intérêt chinois sont assez limités (4-5%), ce n’était pas trop grave. Le ratio entre les dettes bancaires et le PIB était contenu comme pour tout le début des années 2000 et jusqu’en 2008. Dès lors que la croissance ralentit, et que les prévisions de croissance sont revues à la baisse (encore cette semaine autour de 7,2% au lieu de 8%), on commence à avoir peur, car dans ces conditions, faire de la cavalerie consiste à augmenter toujours plus le niveau d'endettement. Et de plus en plus de mauvais prêts ne pourront plus être épongés par la croissance.

On passe alors de crises de liquidités ponctuelles à de vraies crises d'insolvabilité de certains agents économiques, et cela peut toucher tout le système bancaire par effet de contagion. Il est évident que dès lors que la croissance des revenus est moins vigoureuse, les logements que nous évoquions plus haut ne trouveront pas preneur, en conséquence de quoi il faudra baisser les prix. On estime ainsi que la bulle immobilière en Chine est de l'ordre de 30 à 40% d'excès des prix. Les crédits, qui aujourd’hui continuent de s’accumuler, vont de facto devenir des pertes. En ce sens, on peut s’inquiéter d'un possible choc bancaire. Comme dit le proverbe chinois, utilisé par Deng Xiaoping (ex dirigeant chinois), « c’est quand la marée se retire que l’on voit les baigneurs nus. »

Quels risques réels l'économie chinoise fait-elle aujourd'hui peser sur l'économie mondiale ? Pourrait-on parler de « tsunami » ?

Dans l'état actuel de mes informations, on ne peut parler de risque de tsunami, car l’ensemble du système bancaire chinois est tenu d’une main ferme par les autorités publiques. En revanche, si les banques chinoises prennent leurs pertes, elles prêteront moins au reste de l’économie et accentueront le retournement de la conjoncture chinoise qu'on observe depuis quelques mois. La contagion sera double :

- Pour le "circuit intégré asiatique", où la Chine assemble des produits qui sont fabriqués au Japon, en Corée etc., cette zone risque de connaître une tourmente non négligeable.

- En Afrique et en Amérique latine, très dépendantes des achats de matières premières par la Chine, on observe déjà depuis quelques mois une baisse du prix des matières premières et donc de leurs recettes d'exportations. Un ralentissement chinois accentué mettrait vraiment à mal un certain nombre d’économies qui s'étaient habituées à des prix élevés comme on le voit au Brésil par exemple.

Mais compte tenu de la relative étanchéité du système bancaire chinois, je ne pense pas qu’on puisse connaître un phénomène de crise comme la fameuse crise asiatique de 1997, où il y avait contagion des crises bancaires, tombés comme des châteaux de cartes, après la crise des paiements thaïlandaises.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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