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Cette photo d'archive prise le 31 juillet 2011 montre le croiseur lance-missiles Moskva participant à un défilé de la Journée de la marine militaire russe près d'une base navale à Sébastopol.
Cette photo d'archive prise le 31 juillet 2011 montre le croiseur lance-missiles Moskva participant à un défilé de la Journée de la marine militaire russe près d'une base navale à Sébastopol.
©AFP

Perte importante pour la Russie

Le croiseur lance-missiles Moskva projet 1164 (1) qui était le navire amiral de la Flotte de la mer Noire a été gravement endommagé dans la nuit du 12 au 13 avril par un incendie puis a coulé alors que les Russes tentaient de le remorquer vers Sébastopol. Très endommagé par le feu - la crainte de tous les marins -, la mer mauvaise a eu raison du navire.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Les raisons de l’incendie

Moscou a annoncé qu’un incendie s’était déclaré à bord entraînant l’explosion de munitions qui ont obligé l’équipage à l’évacuer ce qui est généralement le signe que le navire est en perdition.

Le Moskva pouvait être armé de seize missiles anti-navires P-1.000 Vulcan avec une tête d’une tonne d’explosif et du carburant inflammable. Si un seul d’entre eux a été touché, c’est la catastrophe et équivaut à se tirer une balle dans la tête. Les autres munitions particulièrement dangereuses étaient les 64 missiles sol-air SF-300F.

Le gouverneur d’Odessa puis Kiev ont annoncé environ deux heures avant le communiqué de Moscou, que deux missiles de croisière de défense côtière avaient atteint le Moskva provoquant la catastrophe. Il a même été précisé que le navire ennemi avait été localisé par un drone d’origine turque Bayraktar TB-2 affecté à la défense côtière.

Ces missiles qui auraient touché le croiseur russe seraient des Neptune P-360 entrés en service en mars 2021. Il s’agit d’une version améliorée du Kh-35 soviétique (développé à partir de 1983). Le Neptune pèse 810 kilos et emporte une charge militaire de 150 kilos à une distance maximale de 280 kilomètres. Il est théoriquement efficace contre les navires de 5.000 tonnes. Le Moskva faisait 12.490 tonnes en déplacement.

Était-ce vraiment un accident, ce qui est toujours possible ? Il est bien connu que les armées russes et son industrie d’armement sont gangrenées par la corruption. De nombreux scandales sont apparus lors de ce conflit : vols de matériels pour les revendre au marché noir, appels d’offres truqués, entretien des personnels et des matériels insuffisants car les moyens sont nécessaires sont détournés, etc. À noter que ces malveillances criminelles ont été un des éléments des dysfonctionnements de l’armée russe lors de l’invasion de l’Ukraine, notamment portant sur la chaîne logistique et les télécommunications.

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Ce navire était opérationnel depuis 1983 avec une interruption de service de dix ans et ses infrastructures - comme dans d’autres marines - ne devaient plus tenir que grâce aux multiples couches de peinture passées régulièrement.

Était-ce un tir de missiles ukrainiens ? Kiev possède des batteries côtières mobiles qui comprennent un véhicule de commandement RCP-360, un lanceur mobile quadruple USPU-360, un véhicule de rechargement TZM-360 plus un camion cargo. Certes, ces missiles n’avaient pas la capacité théorique de couler un navire de la taille du Moskva (l’impact a lieu au dessus de la ligne de flottaison) mais uniquement quand ce dernier n’est pas approvisionné en munitions. S’il y a eu des explosions en chaîne, cela a multiplié les effets destructeurs des missiles. Ensuite, la mer démontée aurait fait le reste.

Était-ce une action lancée par une autre nation est une question que l’on peut se poser même si cela semble hautement improbable. Certains appareils de l’OTAN qui survolent régulièrement la mer Noire peuvent emporter des missiles anti-navires. Mais le risque de déclenchement d'une guerre générale serait alors atteint sauf s’il est impossible pour les Russes d’identifier l’origine de la frappe (c’était de nuit et par mauvais temps ; retrouver des débris permettant d’identifier la munition est toujours possible mais prendrait… des années).

Néanmoins, dans le deuxième cas (des missiles ukrainiens) et même si la version du repérage par un drone TB-2 avancée par Kiev est plausible mais pas certaine - toujours en raison des conditions météo et de la nuit -, il est possible que des moyens de détection de l’OTAN aient été utilisés pour localiser très précisément la cible. Les coordonnées peuvent avoir été envoyées aux Ukrainiens qui se seraient chargés des tirs(2) sachant que le guidage terminal est assuré par le radar du missile. Depuis longtemps, l’OTAN fournit des renseignements militaires à Kiev donc, sur le plan politique, cela ne devrait pas changer grand-chose.

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Les conséquences

Sur le plan tactique, cette perte affaiblit notablement la Flotte de la mer Noire. Non seulement, le Moskva servait de PC mobile, mais il pouvait aussi assurer une partie de la protection anti-aérienne d’une opération destinée à s’emparer d’Odessa. Déjà le 24 mars, deux navires de débarquement russes de classe Alligator avaient été détruits dans le port de Berdiansk et deux autres de classe Ropucha endommagés. Ces coups répétés laissent à penser que l’éventualité d’une offensive sur Odessa est de plus en plus faible, du moins à court ou moyen terme.

Sur le plan psychologique, c’est une grande victoire pour l’Ukraine qui va galvaniser les troupes. On imagine le soulagement des populations et de la garnison d’Odessa qui voient s’éloigner le spectre d’un débarquement (possiblement appuyé par une attaque terrestre venant du nord-est).

Pour le président Vladimir Poutine, c’est un camouflet supplémentaire d’autant qu’il est impossible de dissimuler cette catastrophe par des communiqués trompeurs comme ceux qui ont précédé le retrait des forces russes des régions de Kiev et de Kharkiv. Malgré la censure, la nouvelle a certainement circulé aux sein des troupes russes et n’a pas dû participer à la remontée du moral général.

Pour le moment, Moscou a relancé les bombardements sur Kiev et Kharkiv « en représailles », manière de reconnaître que la version ukrainienne de l’affaire est sans doute la bonne.

Mais cela ne va certainement pas suffire au président Poutine qui doit être, une fois de plus, furieux. Après les services de renseignement qui ont fait l’objet d’une première purge de 150 fonctionnaires et militaires suite aux échecs initiaux de l’offensive sur l’Ukraine, le commandement de la marine va devoir rendre des comptes.

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Déclarations américaines

Il convient d’écouter les déclarations officielles américaines avec attention. Elles avaient été pertinentes cet hiver à propos de l’invasion de l’Ukraine qui arrivait.

Après que le Pentagone ait affirmé justement le 14 avril que le naufrage du Moskva était « un coup très dur porté à la Flotte de la mer Noire », William Burns, le directeur de la CIA, s’est inquiété du fait que « les revers enregistrés lors de l’invasion de l’Ukraine pourraient conduire le président Vladimir Poutine a recourir à l’armes nucléaire tactique ou de faible puissance ». Il a néanmoins modéré ses propos en ajoutant « les États-Unis n’ont pas constaté jusqu’à ce jour des signes de déploiements [NdA : nucléaires] qui pourraient inquiéter ». Enfin, il a terminé par : « le président Biden est profondément concerné par le fait d’éviter une troisième guerre mondiale, d’éviter d’arriver au seuil […] à partir duquel un conflit nucléaire est possible ».

Le risque nucléaire

Il n’empêche que Poutine commence à être acculé dans les cordes : accusé de crimes de guerre, contre l’humanité, de génocide, ses proches sont sanctionnés et la situation sur le terrain n’est pas celle qu’il aurait souhaité. Plus le temps passe, plus le personnage paraît être imprévisible donc dangereux.

L’option d’un tir de semonce nucléaire n’est pas à écarter. Trois questions se posent alors :

. où serait la cible : en Ukraine (peu d'intérêt stratégique) où ailleurs (très dangereux si un pays de l'OTAN est visé car l'article 5 entrerait en oeuvre)?

. y aura-t’il qu’un seul tir sachant que la doctrine soviétique reprise par la Russie est le tir en salve ?

. quelles seront les réactions de Washington et de Paris, les deux seules capitales occidentales qui ont le pouvoir de décider de riposter nucléairement(3) ?

1. 510 hommes d’équipage - 485 dont 66 officiers au moment des incendies -.

2. Généralement, un tir en salve pour saturer les défenses adverses est mis en œuvre. Une batterie de défense côtière ukrainienne aurait pu procéder au lancement de quatre missiles dans un laps de temps très court.

3. Ni l'OTAN, ni la Grande-Bretagne n'ont la "clef" qui se trouve à Washington.

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