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Droitisation : la "campagne au peuple" de Nicolas Sarkozy est-elle efficace sur l'électorat FN ?
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Effet Sarkozy

La stratégie du Président sortant viserait à capter une frange significative de l’électorat tenté par le Front National, soit dès le premier tour, en concurrençant directement Marine Le Pen, soit au second tour, en améliorant le niveau des reports de cet électorat sur Nicolas Sarkozy. Eléments d'analyse par l'IFOP.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Il a beaucoup été question depuis quelques semaines de la « droitisation » de la campagne de Nicolas Sarkozy. En mettant l’accent sur certaines thématiques (immigration, construction européenne, autorité, recours au référendum…), cette stratégie viserait à capter une frange significative de l’électorat tenté par le Front National, soit dès le premier tour, en concurrençant  directement Marine Le Pen, soit au second tour, en améliorant le niveau des reports de cet électorat sur Nicolas Sarkozy. 

Certains thèmes mis en avant ces dernières semaines par le président sortant correspondent clairement aux attentes profondes de l’électorat « mariniste ». C’est le cas, bien évidemment, de la lutte contre l’immigration clandestine et de la lutte contre la délinquance, dont le caractère prioritaire est principalement ressenti par cet électorat alors que l’importance de ces thèmes est beaucoup plus relative dans l’ensemble de la population. En insistant fortement sur ces sujets, Nicolas Sarkozy fait d’une pierre deux coups : il envoie un signal à l’électorat frontiste très focalisé sur ces enjeux tout en répondant également aux attentes de son propre électorat, lui aussi assez sensible à ces questions.  

Les données présentées dans le tableau ci-dessus permettent aussi d’éclairer le choix du changement de thématiques opéré par le candidat ces derniers mois. Alors que la réduction de la dette publique, principale priorité de l’électorat UMP, mais préoccupation nettement plus secondaire aux yeux des soutiens de Marine Le Pen, avait constitué avec le renforcement de la compétitivité de l’économie française le cœur du discours de Nicolas Sarkozy jusqu’au début de cette année, elle a été remplacée par les thématiques sécuritaires et migratoires lors de son entrée officielle en campagne.  

Un impact non négligeable sur le premier tour

Quel a été l’effet de cette stratégie sur les rapports de force au premier tour ? L’évolution des scores de Marine Le Pen et Nicolas Sarkozy depuis le début de l’année indique clairement un creusement des écarts entre ces deux candidats. Alors que la représentante du FN talonnait le Président sortant à la fin du mois de janvier, la situation a sensiblement évolué depuis l’entrée en campagne de ce dernier. 

La hausse dont a bénéficié Nicolas Sarkozy s’est en effet accompagnée d’un tassement concomitant de Marine Le Pen. Et l’analyse des données du rolling poll de l’Ifop démontre que les deux phénomènes sont bien liés. Durant cette période, le président sortant est parvenu à reconquérir une bonne partie de ses électeurs de 2007 déçus, qui envisageaient de voter Marine Le Pen.  Alors que sur la période courant du 9 janvier au 11 février (date de parution de l’interview de Nicolas Sarkozy dans Le Figaro Magazine qui allait donner le coup d’envoi et la tonalité de son entrée en campagne), la candidate du FN obtenait en moyenne 15 % d’intentions de vote parmi les électeurs ayant voté pour Nicolas Sarkozy au premier tour en 2007, cette proportion est tombée à 10 % en moyenne depuis le 2 mars (date du meeting de Bordeaux et du lancement de la polémique sur le halal) et atteint même 8 % actuellement (soit une baisse de 7 points dans cet électorat). Dans le même temps, le président sortant est passé de 70 % d’intentions de vote dans son électorat de 2007 à 78 % actuellement, soit une progression de 8 points dans ce segment stratégique, cette progression représentant 2,5 points à l’échelle de l’ensemble du corps électoral.

Mais comme le montre le graphique ci-dessous, l’entrée en campagne tonitruante du candidat UMP a également eu un impact dans un autre groupe, normalement acquis à Marine Le Pen : l’électorat qui avait voté Jean-Marie Le Pen en 2007.

Dans cet électorat, les intentions de vote en faveur de Nicolas Sarkozy sont passées d’une moyenne de 5 % en début d’année à 11 % sur la dernière période (Marine Le Pen reculant d’autant), soit un gain d’environ 0,6 point si l’on raisonne au niveau de l’ensemble du corps électoral. Au total, sur cette séquence c’est donc pas moins de 3,1 points (2,5 + 0,6) que Nicolas Sarkozy a repris à la représentante du FN.

Ce déplacement d’une partie de l’électorat ne s’explique pas pour autant uniquement par la stratégie adoptée par Nicolas Sarkozy. Les difficultés rencontrées par Marine Le Pen durant cette période (problème de la collecte des 500 signatures largement médiatisé et commenté pendant deux semaines, polémique autour du bal de Vienne…) ont également freiné la dynamique frontiste et ont pu favoriser le basculement d’une partie de son électorat potentiel vers Nicolas Sarkozy. Par ailleurs, si cette stratégie de droitisation mais aussi plus globalement de « campagne au peuple », pour reprendre l’expression du conseiller élyséen Patrick Buisson, a donné des résultats tangibles en permettant à Nicolas Sarkozy de regagner une partie de l’électorat frontiste et de creuser significativement l’écart avec Marine Le Pen[1], la candidate du FN conserve toujours une bonne partie de son électorat et au second tour ce dernier se reporte très imparfaitement sur le président sortant.

Des reports frontistes qui restent insuffisants au second tour

Comme le montre le graphique suivant, le niveau de reports des électeurs de Marine Le Pen sur Nicolas Sarkozy au second tour s’est amélioré sur la dernière période puisqu’il est passé en moyenne de 35 % durant la période comprise entre le 11 février et le 2 mars à 41 % en moyenne sur la dernière séquence.

Pour autant, le niveau de ces reports est actuellement nettement insuffisant pour permettre à Nicolas Sarkozy d’atteindre la barre des 50 % face à François Hollande. Il convient alors de s’interroger sur les facteurs limitant ces reports et sur la façon dont se structurent les choix des électeurs de Marine Le Pen concernant le second tour. L’analyse des priorités des différentes composantes de l’électorat mariniste permet de fait ressortir un certain nombre de clivages.


Il apparaît ainsi que les attentes sur les questions sociales (pouvoir d’achat, emploi, santé)  sont nettement plus prononcées parmi les électeurs « marinistes » envisageant de se reporter sur François Hollande ou de s’abstenir que parmi ceux déclarant vouloir voter pour Nicolas Sarkozy. Il y a par exemple un écart de 22 points sur la hausse des salaires et du pouvoir d’achat et de 16 points sur la santé entre les électeurs se reportant sur Hollande et ceux qui optent pour Sarkozy. A l’inverse, les électeurs frontistes tentés par le président sortant citent davantage la lutte contre l’immigration clandestine et la lutte contre la délinquance : 12 points d’écart par rapport à ceux qui lui préfèrent le candidat socialiste.

Tout se passe comme si la ligne de partage des eaux dans l’électorat lepéniste correspondait au niveau de sensibilité accordée aux questions sociales. Si la mise en avant de certaines propositions en matière de lutte contre l’immigration clandestine et d’insécurité permettent bien à Nicolas Sarkozy de se rallier les suffrages d’un large pan de l’électorat frontiste, il semblerait que les préoccupations sociales (qui sont également très importantes pour cette population) soient, pour une frange non négligeable de cet électorat, mieux prises en compte dans le projet du candidat socialiste. Le message adressé aujourd’hui par Nicolas Sarkozy à l’électorat frontiste ne serait plus aussi équilibré qu’en 2007. A l’époque, il était en effet parvenu à prendre en compte à la fois les aspirations sécuritaires et identitaires de cet électorat (discours sur la droite décomplexée) mais également ses attentes en matière économique et sociale (slogan « travailler plus pour gagner plus », valorisation du travail).  Cette réponse insuffisante aux demandes de ces électeurs en matière de pouvoir d’achat notamment, associée à la lecture critique – très répandue dans cette population – du bilan du quinquennat, contribuent au second tour à limiter les reports en faveur de Nicolas Sarkozy au profit de son rival et de l’abstention.

A cette répartition de l’électorat frontiste en fonction des niveaux de priorités accordées à certaines problématiques correspondent également des clivages sociologiques et géographiques. Ainsi, les reports en direction de Nicolas Sarkozy sont nettement plus fréquents parmi la frange la plus aisée de l’électorat lepéniste que dans sa composante ouvrière, actuellement majoritairement tentée par l’abstention.

De fortes variations existent également selon les régions. Ces disparités régionales renvoient à la composition sociologique de l’électorat frontiste, qui n’est pas la même sur tout le territoire, mais aussi à des contextes locaux et des traditions politiques. Alors qu’une majorité des électeurs frontistes de PACA se reporteraient sur Nicolas Sarkozy et qu’il bénéficierait également de bons reports en Ile-de-France et en Languedoc-Roussillon / Midi-Pyrénées, les soutiens seraient nettement moins nombreux dans les régions ouvrières du Nord-Pas-de-Calais, de Champagne-Ardenne / Picardie ainsi que dans le Grand Ouest.   

C’est donc sur ces différents segments de l’électorat lepéniste que Nicolas Sarkozy et son équipe devront travailler en priorité s’ils souhaitent que la stratégie de « campagne au peuple » voit ses effets s’amplifier dans la dernière ligne de droite de la campagne au point d’accroître très significativement les reports de voix dans l’entre-deux tours, reports qui demeurent aujourd’hui insuffisants.



[1] et de revenir au niveau de François Hollande

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