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Un homme passe devant une agence d'intérim, à Nantes.
Un homme passe devant une agence d'intérim, à Nantes.
©LOIC VENANCE / AFP

Fausse bonne idée

Selon une récente étude pour l’Institute for the Study of Labor, des économistes ont étudié les conséquences de la réforme du marché du travail au Portugal qui visait à limiter le recours au CDD. Cette réforme est-elle un modèle à suivre et à appliquer en France ?

Pierre Cahuc

Pierre Cahuc

Pierre Cahuc est professeur d'économie à Sciences Po, chercheur au CEPR (Londres) et directeur de programme à l'IZA (Institute for the Study of Labour, Bonn). Il a été membre du Conseil consultatif économique auprès du Premier ministre (CAE) de 2006 à 2010 et de 2012 à 2016. 

Ses recherches portent principalement sur les marchés du travail. Il a publié dans  The American Economic Review, Econometrica, le Quarterly Journal of Economics, The Review of Economics Studies, Economic Journal, International Economic Review , Journal of Public Economics, Journal of Labour Economics  et de nombreuses autres revues universitaires. Il est co-auteur, avec Stéphane Carcillo et André Zylberberg, du manuel d'études supérieures  Labor Economics  (MIT Press, 2014) et du livre  The Natural Survival of Work  (MIT Press, 2006) qui a remporté le European Economics Book Award 2004. Il est rédacteur en chef du IZA Journal of Labour Economics  et rédacteur en chef de  Economic Policy.

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Pauline Carry

Pauline Carry

Pauline Carry est doctorante en économie au CREST (ENSAE - Ecole Polytechnique). Ses recherches portent sur l'économie du travail. Plus précisément, elle s'intéresse aux effets des institutions et des réglementations du marché du travail sur les relations de travail. Elle combine forme réduite et méthodes structurelles pour évaluer les réformes du marché du travail. Elle est titulaire d'une maîtrise en économie de l'Ecole Polytechnique et d'un diplôme d'ingénieur de l'ENSAE. 

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Franck Malherbet

Franck Malherbet

Franck Malherbet est professeur d'économie à l'Ecole Nationale Supérieure d'Economie, de Statistique et de Finance de Paris (ENSAE) et chercheur au CREST (le département de recherche commun de l'ENSAE et de l'Ecole Polytechnique). 

Son principal domaine de recherche est l'économie du travail, avec une attention particulière pour la protection de l'emploi et la segmentation du marché du travail. Il s'intéresse également à la dynamique macroéconomique, à la théorie de la négociation et à l'économie du développement.

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Pedro S. Martins

Pedro S. Martins

Pedro Silva Martins est professeur à la Nova School of Business and Economics. Il a été secrétaire d'État à l'emploi au sein du gouvernement du Portugal de 2011 à 2013. Au cours de cette période, il a été responsable d'un certain nombre de réformes du marché du travail. En 2016, il a été membre du groupe d'experts conseillant le gouvernement grec et la Commission européenne sur les réformes du marché du travail. Entre 2004 et 2021, il était à l'Université Queen Mary de Londres (Professeur, 2009-2021). Il est titulaire d'un doctorat en économie de l'Université de Warwick. 

Ses intérêts de recherche actuels comprennent les services de l'emploi, le droit du travail, la négociation collective et la protection sociale. Ses recherches sont publiées dans le Journal of Labor Economics, American Economic Journal: Macroeconomics, European Economic Review, Journal of the European Economic Association, British Journal of Industrial Relations et d'autres revues et volumes édités.

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Atlantico : Dans une récente étude pour l’Institute for the Study of Labor (intitulée "Employment effects of restricting fixed-term contracts: Theory and evidence"), vous analysez les effets de la réforme du marché du travail au Portugal qui visait à limiter le recours au CDD. Vous concluez que si la réforme a réussi à réduire le nombre d'emplois à durée déterminée, elle n'a pas augmenté le nombre de contrats à durée indéterminée et elle a diminué l'emploi dans les grandes entreprises.  Comment expliquer ces résultats ?

Pierre Cahuc, Pauline Carry, Franck Malherbet, Pedro S. Martins : Pour répondre à cette question, il est important de préciser le contexte institutionnel qui prévaut au Portugal. Avant 2009, le recours aux contrats courts était autorisé dans trois cas :

  1. Lorsqu’une entreprise était confrontée à un surcroît d’activité.
  2. Lorsqu’une entreprise embauchait un chômeur de longue durée.
  3. Lorsqu’une entreprise créait un nouvel établissement.

Notre étude porte sur le troisième point. En 2009, le législateur a restreint la possibilité d’embaucher en contrats courts pour les entreprises de plus de 750 salariés lors de la création de nouveaux établissements. Plus précisément, la législation est restée inchangée pour les entreprises de moins de 750 salariés alors qu’elle devenait plus coercitive pour les entreprises de plus de 750 salariés.

La réforme impacte donc en premier lieu les grandes entreprises. Pour ces dernières, nous montrons que la réforme réduit effectivement la création des contrats courts mais n’a pas d’effet significatif sur la création des contrats longs. Ce résultat s’explique par le fait que suite à la réforme, les grandes entreprises de plus de 750 salariés, directement affectées par la réforme, ont créé moins de nouveaux établissements. Nos résultats montrent que les grandes entreprises n'ont pas créé plus de contrats longs. Par voie de conséquence, ils suggèrent également qu’il existe une substituabilité limitée entre les contrats courts et les contrats longs.

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D’une façon plus générale, nous montrons également que la réforme affecte indirectement les petites entreprises (celles de moins de 750 salariés). Par exemple, les petites entreprises présentes dans le même bassin d’emploi que les grandes entreprises bénéficient d’un avantage comparatif dans la mesure où elles sont confrontées à une législation moins contraignante. Il y a donc des effets de débordement (spillover dans littérature anglo-saxonne), le plus souvent non anticipés par le législateur, qui affectent positivement l’emploi des petites firmes, et donc la création de contrats courts, ce qui contrevient à l’objectif premier du législateur.

Que sont devenus les emplois qui ont cessé d'être des CDD s'ils ne sont pas devenus des CDI ?

Ils ont été détruits ou se sont déplacés vers d’autres entreprises. La méthodologie utilisée pour analyser la réforme est une méthode dite de « régression par discontinuité ». Elle consiste à analyser le comportement des entreprises de part et d’autre d’un seuil, la taille de l’entreprise dans notre étude. L’idée est que les entreprises juste en dessous du seuil ne sont pas statistiquement différentes de celles juste au-dessus du seuil. Il est alors possible de quantifier quel aurait été le comportement en termes d’embauches (et donc de création de contrats courts) des entreprises en l’absence de la réforme. Et ceci nous conduit à constater que les grandes entreprises ont créé moins d’emploi du fait de ce changement de législation. En contrepartie, les entreprises plus petites en ont créé un peu plus. Mais au total, l’emploi a diminué.

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Quelles seraient les conséquences estimées d’une généralisation de cette mesure ?

Nous avons estimé les conséquences de la réforme au Portugal sous l’hypothèse qu’elle s’applique à toutes les entreprises indépendamment de leur taille. Dans ce cas l’avantage comparatif dont bénéficiait les petites entreprises disparait et l’impact global négatif sur l’emploi serait plus important. Nous estimons alors une baisse de l’emploi agrégé de l’ordre de 0.45% (contre 0.1% dans la première partie de notre étude).

Toute mesure similaire de restriction du recours aux CDD sur le marché de l’emploi, par exemple en France, mènerait-elle aux mêmes conséquences ?

Il est très difficile de généraliser les effets d’une réforme dans un pays à un autre pays tant les différences institutionnelles sont importantes. En France par exemple, il n’existe pas de disposition spécifique conditionnant le recours aux contrats courts (CDD) à la taille de l’entreprise. En revanche, nos travaux montrent que les effets indirects des réformes (les effets de débordement évoqués précédemment) doivent être pris en compte dans le cadre de l’évaluation des politiques publiques dans la mesure où les réformes sont susceptibles d’engendrer des effets pervers qui en réduisent l’efficacité.

L’exemple du Portugal doit-il nous amener à abandonner toute tentative d’agir sur la structure du marché de l’emploi et notamment sur l’usage des CDD ?

Non bien au contraire. Il faut cependant garder à l’esprit que la segmentation du marché du travail entre contrats courts et contrats longs est intimement liée aux spécificités institutionnelles de chaque pays. Il existe en effet de nombreuses complémentarités entre les institutions (assurance chômage, protection de l’emploi, fiscalité, etc…) et le recours aux emplois courts. Nos connaissances en ce domaine restent encore limitées et appellent à de nouveaux travaux d’évaluation.

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Pour retrouver l'étude de Pierre Cahuc, Pauline Carry, Franck Malherbet, Pedro S. Martins publiée sur VoxEU : cliquez ICI

"En 2009, le Portugal a limité le recours aux contrats à durée déterminée par les entreprises de plus de 750 salariés. Cette étude constate que si la réforme a réussi à réduire le nombre d'emplois à durée déterminée, elle n'a pas augmenté le nombre de contrats à durée indéterminée et a diminué l'emploi dans les grandes entreprises. Malgré des retombées positives sur les petites entreprises, la réforme a réduit l'emploi total et a eu des effets négatifs sur le bien-être des salariés et des chômeurs".

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