Que faudrait-il pour que le Conseil constitutionnel se transforme en véritable Cour constitutionnelle ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Les réformes successives qui ont élargi les compétences du Conseil constitutionnel justifieraient l’appellation de "Cour constitutionnelle".
Les réformes successives qui ont élargi les compétences du Conseil constitutionnel justifieraient l’appellation de "Cour constitutionnelle".
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Abracadabra

Réformer le conseil constitutionnel fait partie des engagements de François Hollande. A l'avenir, exit les anciens présidents membres de droit et bonjour la vraie séparation des pouvoirs. Une décision approuvée par le président même du conseil, Jean-Louis Debré, pour qui le conseil est un "véritable boulot" qui ne peut tolérer l'absence répétée de certains de ses membres.

Didier Maus

Didier Maus

Didier Maus est Président émérite de l’association française de droit constitutionnel et ancien maire de Samois-sur-Seine (2014-2020).

 

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Atlantico : Jean Louis Debré a déclaré hier, en réemployant les propres termes de François Hollande, que le Conseil Constitutionnel avait vocation à devenir une "Cour constitutionnelle". Au delà de la sémantique que signifie ce changement dans les faits ? Quelles mesures devront être adoptées pour le mener à bien ?

Didier Maus : En 1958 la dénomination "Conseil constitutionnel" a été choisie pour deux raisons :

- l’une explicite qui est le refus d’instituer une cour suprême sur le modèle américain ;

- l’autre, implicite, pour tenir compte du prestige du Conseil d’État et du fait que malgré son titre de "conseil" il est une véritable juridiction.

Il est clair aujourd’hui que les réformes successives qui ont élargi les compétences du Conseil constitutionnel justifieraient l’appellation de "Cour constitutionnelle". Le Conseil possède en effet des attributions quasi identiques à celles des grandes cours constitutionnelles des pays européens, notamment depuis la réforme de 2008-2010 introduisant la Question prioritaire de constitutionnalité. Une réforme tendant au changement de nom avait été adoptée en 2008 au Sénat à l’initiative de Robert Badinter. La motivation était claire: "Il y a donc lieu de reconnaître à l'institution sa véritable identité de "cour" à l'instar de ses homologues européens". Malheureusement cet amendement n’a pas été voté en 2e lecture par l’Assemblée nationale et a donc été abandonné. Il serait justifié de le reprendre aujourd’hui, mais les symboles sont difficiles à modifier.

Dans les faits le Conseil constitutionnel est désormais parfaitement intégré au réseau des cours constitutionnelles européennes et mondiales. Pour éviter le dilemme "Cour/Conseil" on pourrait penser à "Tribunal constitutionnel" ce qui est la dénomination de l’instance concernée en Allemagne, en Espagne ou au Portugal. Il est souvent difficile d’expliquer à l’étranger que dans le vocabulaire français un "conseil" peut être une "cour".

Si prochaine étape il y a, elle pourrait consister à transformer ce qui est encore un contrôle abstrait de la loi en un véritable contrôle concret du respect des droits de l’homme par les juridictions ordinaires. Il serait possible de s’inspirer du recours constitutionnel allemand ou du recours en protection constitutionnelle (recours d’amparo) existant en Espagne. Laissons d’abord la QPC trouver toute sa place. Chaque chose en son temps.

Comment ses membres devraient-ils être nommés ? 

Je ne suis pas certain qu’il existe une solution idéale pour nommer les membres d’une juridiction constitutionnelle. Le système français (nomination par les trois plus hautes autorités de la République) a l’avantage de la simplicité et de la rapidité. Le fait que depuis la révision de 2008 les nominations proposées par le Président de la République et les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat soient soumises à l’avis des commissions des lois des deux assemblées obligera les autorités compétentes à faire plus attention à leurs propositions. Le système fonctionnera pour la première fois en février 2013, mais il est peu imaginable que les noms proposés puissent être remis en cause.

Dans beaucoup de pays les membres de la cour constitutionnelle doivent remplir certaines capacités juridiques ou avoir exercés de hautes fonctions publiques. Mêmes sans ces conditions, les nominations intervenues en France correspondent à ces critères. Le fait d’exiger une majorité qualifiée du Parlement (par exemple les 2/3 des voix) a de nombreux partisans. Elle conduit souvent à un véritable partage politique entre majorité et opposition, ce qui n’est pas mieux. En Espagne, récemment, le Tribunal constitutionnel a fonctionné avec des membres dont le mandat était expiré ou avec des sièges vacants en raison de désaccords politiques au Parlement.

Il est à remarquer qu’aucune commission officielle (Vedel, Balladur ou Jospin) n’a proposé de modifier le mode de désignation des membres du Conseil constitutionnel.

Le Conseil constitutionnel est devenu de plus en plus actif depuis 2008 en multipliant par 8 les décisions rendues chaque année (30/35 par an en 2007 pour 250 aujourd'hui). Comment expliquer ce regain soudain d'activité ?

L’explication tient à la réforme introduisant la Question prioritaire de constitutionnalité dans le droit français. Il est désormais possible à un justiciable, au terme d’une procédure assez rapide, de faire examiner par le Conseil constitutionnel la conformité à la Constitution d’une disposition législative applicable au procès qui le concerne. Cette innovation est un véritable succès. Le Conseil constitutionnel  rend entre 7 et 8 décisions par mois sur ce sujet depuis le printemps 2010. Il n’y a donc aucun mystère, mais simplement la réussite d’une réforme destinée à mieux garantir les Droits de l’homme en France.

Sachant que le Conseil d'État et la Cour de Cassation se partagent déjà le pouvoir juridique n'y-a-t-il pas un risque de créer un nouveau mille-feuille administratif ? Comment l'éviter ?

Le Conseil constitutionnel n’est pas devenu une cour suprême. Il n’a pas une compétence générale comme la Cour suprême des États-Unis. Le Conseil d’État et la Cour de cassation demeurent, chacun dans son ordre de juridiction, le juge supérieur de droit commun. Il y a simplement la possibilité pour ces deux juridictions de renvoyer au Conseil constitutionnel la décision relative à la validité, au regard des droits et libertés inscrits dans la Constitution, de dispositions législatives douteuses. Comme les délais sont brefs (3 mois pour le Conseil d’État et la Cour de cassation, puis  3 mois pour le Conseil constitutionnel) les procès ne sont guère allongés. Ce délai supplémentaire est parfaitement acceptable lorsqu’il s’agit de vérifier que les droits fondamentaux des hommes et des femmes du XXIe siècle sont bien respectés. Le respect des libertés a besoin d’un peu de temps.

Le Conseil avait été crée en 1958 pour, entre autres, parer toute tentative de contrôle du pouvoir législatif sur l'exécutif, ce qui en faisait une pierre angulaire de la Ve République. Une Cour constitutionnelle aurait-elle aussi cette fonction ? 

L’idée de 1958 de bien distinguer les domaines de la loi et du règlement et de charger le Conseil constitutionnel de veiller à leur stricte délimitation n’a pas été un succès. Cette attribution, si elle existe toujours, ne représente pas un travail considérable. De manière paradoxale le Conseil constitutionnel est devenu un censeur pointilleux des activités du Gouvernement ou plus exactement de la manière dont le Gouvernement utilise ses prérogatives et son influence sur le Parlement. Pour ne reprendre que les exemples récents de la loi de finances pour 2013 les censures du Conseil constitutionnel portent formellement sur le texte adopté par le Parlement, mais l’essentiel avait été proposé, voire imposé, par le Gouvernement. La réaction de l’opinion publique a été de dire "Le Conseil constitutionnel censure M. Hollande", ce qui juridiquement inexact, mais politiquement réaliste. Le rôle d’une cour constitutionnelle est de placer la Constitution au-dessus de toutes les autres normes juridiques de droit interne. Il lui appartient, en fonction des circonstances, de l’interpréter et, de manière prudente, de tenir compte des évolutions de la société.

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