Que faire pour retrouver un État efficace (et n’ayant plus besoin de McKinsey à tort et à travers…) ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Amélie de Montchalin s'exprime lors d'une conférence de presse sur l'utilisation par le gouvernement de cabinets de conseil, le 30 mars 2022.
Amélie de Montchalin s'exprime lors d'une conférence de presse sur l'utilisation par le gouvernement de cabinets de conseil, le 30 mars 2022.
©Eric PIERMONT / AFP

Réformes

Alors que le gouvernement tente de détourner la tempête politique du McKinseyGate agitée par les oppositions, ses propositions d’encadrement du recours aux cabinets de conseil ne font que chercher à effacer le symptôme plutôt que de traiter le mal.

Gilles Clavreul

Gilles Clavreul

Gilles Clavreul est un ancien délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah). Il a remis au gouvernement, en février 2018, un rapport sur la laïcité. Il a cofondé en 2015 le Printemps Républicain (avec le politologue Laurent Bouvet), et lance actuellement un think tank, "L'Aurore".

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Atlantico : Olivier Dussopt et Amélie de Montchalin se sont exprimés ce mercredi soir sur l’affaire McKinsey afin de défendre le recours aux cabinets de conseil pour certaines missions spécifiques. Ils ont également défendu la pertinence de la circulaire de janvier dernier visant à encadrer le recours aux cabinets de conseil. Néanmoins, se contenter de limiter le recours n’est-il pas une manière de réagir au symptôme plutôt que de traiter le mal, à savoir l’efficacité de l’Etat ?

Gilles Clavreul : Il est un peu difficile de faire comme si cette polémique n’intervenait pas dix jours avant le premier tour de l’élection présidentielle ; disons que ce n’est pas le contexte le plus propice à une prise de décision sereine après un débat lui-même apaisé et mesuré.

Mais j’oserais en premier lieu une question provocatrice : est-on sûr qu’il faille diminuer le recours aux cabinets de conseil ?

Après tout, 1 milliard, c’est moins de 0,3% du budget de l’Etat. D’autant que les deux tiers de ces dépenses concernent les systèmes d’information, un domaine où l’Etat n’a pas forcément intérêt ni vocation à développer des compétences internes et pérennes, sauf exception. Le problème n’est pas l’ampleur de la somme, mais son utilisation. Là-dessus, le débat public est bien évidemment légitime, comme le prévoit l’article 15 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen : ‘La Société a droit de demander compte à tout Agent public de son administration. ».

Ce qu’établit le fameux rapport sénatorial, c’est que le volume de leurs prestations a augmenté entre 2018 et 2021, mais en toute hypothèse il reste en-dessous de ce qu’il était en 2008-2010, et bien en-dessous de ce qui se pratique à l’étranger. Au fond, c’est un peu le regret que l’on peut avoir en renfermant ce document, dans l’ensemble très intéressant malgré une synthèse tapageuse et, pour tout dire, de parti pris : la commission sénatoriale ne s’aventure pas à nous dire ce que serait le « bon » volume de prestations externalisées, ni à plus forte raison lesquelles.

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Il y a même quelque chose d’un peu contradictoire à réclamer davantage de pilotage, de centralisation et d’évaluation, tout en déplorant l’envahissement de l’Etat par la culture du « reporting ». En somme, on peut toujours jouer au jeu de chamboule-tout et ironiser, comme le fait la synthèse du rapport, sur les « perles de consultants » : bien évidemment, il y en a. Tout comme il y a des projets dont on peine à percevoir l’utilité, et qui sont d’ailleurs remisés au placard. Bien sûr, il peut arriver que le consultant fasse mal son travail ; le rapport cite quelques exemples, assez convaincants, dont un sur un projet de réorganisation au ministère de la Justice, qui a obtenu la note de 1/5. Là, le problème est que l’on paie quand même. Mais beaucoup plus souvent, l’Etat obtient de mauvaises réponses…parce qu’il a posé de mauvaises questions ! C’est-à-dire qu’il a mal défini le besoin, voire qu’il ne l’a pas défini du tout. Ou qu’il a besoin de légitimer des décisions – presque – déjà prises : cela explique le développement des missions d’assistance aux « consultations citoyennes » et assimilées, notamment.

Dans quelle mesure ce recours aux cabinets de conseil, pouvant être utile pour des services ponctuels, s'est-il amplifié à la faveur d’une perte de confiance dans les fonctionnaires mais aussi du manque de  certaines compétences et d’une certaine audace au sein de la fonction publique ? Comment corriger le tir ?

La puissance publique a toujours eu recours à des modes de gestion autres que la gestion directe, en régie, et c’est là encore, en tant que tel, légitime. C’est légitime pour des besoins ponctuels ou irréguliers, notamment lors des crises ; ça l’est aussi lorsque vous ne disposez pas de la ressource interne et qu’il vous coûterait beaucoup plus cher de la recruter, de la former et de la payer que d’acheter la prestation sur le marché ; ça l’est, enfin, lorsque vous avez besoin de compétences spécialisées. Représentons-nous un ministère comme un orchestre : pour son répertoire habituel, il aura besoin de musiciens permanents – cordes, cuivres, vents, etc. Mais si le chef décide d’inscrire au programme ce concerto de Schumann qui requiert une octobasse – sorte de contrebasse géante très rare – il va louer l’instrument et peut-être engager ponctuellement l’instrumentiste, et non l’embaucher de façon permanente .

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Par ailleurs, il faut bien évidemment que l’Etat soit un acheteur exigeant ; là-dessus, je crois volontiers les professionnels du conseil : non seulement le secteur public paie moins bien que les entreprises, mais comme le dit l’un des dirigeants interrogés par la commission sénatoriale, l’Etat exerce un suivi plutôt plus rigoureux que le secteur privé. Sauf exception, notamment dans les « petits » ministères qui souffrent de capacité de pilotage de façon structurelle, l’exécution n’est pas trop mal couverte. Il n’en est pas moins vrai que le recours à la consultance trahit pour l’Etat un travers que François Dupuy, sociologue et lui-même conseil de nombreux organismes publics et privés, a identifié depuis longtemps : celui de la « réassurance » par l’intervention d’un tiers expert. En gros, on appelle un consultant non pas pour savoir ce que l’on doit faire, mais pour se légitimer.

Dans cette perspective, il est certain que le recours accru à l’expertise des cabinets, et plus généralement à des tierces expertises, tel qu’on le voit se développer depuis une trentaine d’années, trahit l’affaissement de la légitimité de la puissance publique. C’est un point sur lequel je m’attarde dans mon livre « Dans le silence de l’Etat » (Ed. L’Observatoire). Ce qui est en cause n’est donc ni l’exécution de la prestation ni son montant, ni même nécessairement l’expression du besoin : c’est, en amont, le principe même de l’action publique. S’inspirer du privé n’est pas forcément un problème en soi – là aussi, autre paradoxe que les contempteurs du consulting oublient un peu vite : sont-ils sûrs que l’Etat sait tout sur tout ? – mais se résigner à ce que la décision publique ne puisse être acceptée que parce qu’elle est validée depuis l’extérieur, et à plus forte raison sur un modèle managérial dicté par le profit, ça c’est un vrai problème.

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Est-ce aussi un problème de définition ou de vision de ce que doit être le périmètre de l’Etat et de la puissance publique qui a mené à cela ? Comment le (re)définir ?

J’observe que trois gros consommateurs de prestations de conseil échappent pour le moment à la polémique : les « opérateurs », agences et entreprises, qui ne sont que très marginalement passées sur le grill par l’enquête du Sénat ; l’hôpital public ; et enfin et surtout, les collectivités locales. En fait, il ne faut pas raisonner sur l’Etat seul, mais sur tout le périmètre de l’action publique – et on risque alors de s’apercevoir que l’Etat stricto sensu n’est qu’une petite partie du problème, et sans doute même pas la plus problématique.

Le vrai sujet est : que veut la puissance publique ? C’est une question d’une complexité redoutable : tout comme dans les grandes entreprises, on doit gérer simultanément le temps long et le temps court, des problèmes ancillaires et des réflexions à très long terme. Mais le secteur privé a au moins la « chance », si c’en est une, de voir le fruit de ses efforts sanctionné, en positif ou en négatif, par une donnée objective, qui est l’évolution de son compte de résultat. Cela permet aussi, par la même occasion, d’évaluer sans trop de dispute l’impact d’une mission de consulting. Dans le public, cette évaluation est beaucoup plus difficile, puisqu’elle se fait à partir d’une question à multiples entrées : qu’est-ce que l’intérêt général ? Cela, en dernier ressort, seul le peuple souverain en est juge. Or le peuple souverain n’a ni le temps ni le souci, et c’est bien normal, d’entrer dans le détail des réogranisations, des optimisations ou des choix de logiciel de l’administration pénitentiaire, de Pôle emploi ou de l’Elysée. Il y a spécialisation et délégation, c’est ainsi que la démocratie fonctionne.

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Reste que nous avons indéniablement perdu un peu de vue, collectivement et au sein même de l’appareil d’Etat, le sens de ce que nous appelons l’intérêt public. Et je crois que l’intensité de la polémique d’aujourd’hui, contexte électoral mis à part, traduit cela : ce qu’une partie des Français ressent confusément, ce que la différenciation public/privé, historiquement très forte en France, s’est considérablement estompée, et que l’Etat ne sait plus très bien ce qui le caractérise en propre – d’où le recours à une tierce expertise. En fait, ce qui fait problème n’est pas la puissance des cabinets de conseils : c’est la faiblesse de l’Etat. De l’Etat pris comme principe de légitimité, alors même, le rapport le souligne assez, que les fonctionnaires sont plutôt vigilants et présents, qu’ils contrôlent leurs prestataires et qu’ils sont créatifs et moteurs du changement.

Face à une puissance publique coûteuse et de moins en moins efficace, qu’est-il possible de faire pour redonner de l’efficacité et donc se passer des cabinets de conseil autant que faire se peut ? Comment réformer véritablement un Etat qui semble irréformable ?

L’Etat est totalement réformable si ses mandants, c’est-à-dire nous-mêmes, le veulent, s’ils comprennent et soutiennent l’ambition générale qui se manifeste à travers ce que l’on appelle désormais la « transformation », et qui s’est appelé successivement « modernisation », « réforme », etc. Pour cela, il y a trois conditions fortes : d’abord, une volonté politique explicite, un dessein clair que chacun peut identifier, sur ce que doit être l’Etat dans cinq, dix, vingt ans. Ensuite, une adhésion des fonctionnaires. Ce sont eux qui sont en première ligne, eux qui mettent en œuvre, mais aussi eux qui imaginent, s’adaptent, inventent et compensent tout ce qui n’a pas été correctement anticipé au départ. Enfin, un contrat social solide sur le rôle de la puissance publique. La maîtrise de notre collectif passe par un Etat et des services publics forts, alors qu’il se sont plutôt affaiblis sur les quarante dernières années.  

Gilles Clavreul a publié "Dans le silence de l'Etat" aux éditions de l'Observatoire

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