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L’état d’urgence n’est pas la panacée contre l’émeute. Sur le plan juridique, il ne donnerait pas aux pouvoirs publics une latitude d’action très supérieure à ce qu’elle est aujourd’hui
L’état d’urgence n’est pas la panacée contre l’émeute. Sur le plan juridique, il ne donnerait pas aux pouvoirs publics une latitude d’action très supérieure à ce qu’elle est aujourd’hui
©PATRICK HERTZOG / AFP

Urgence

Pour les pouvoirs publics, l’urgence est de se montrer résolus dans la mise hors d’état de nuire des casseurs et des pilleurs.

Jean-Eric Schoettl

Jean-Eric Schoettl

Jean-Éric Schoettl est ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel entre 1997 et 2007. Il a publié La Démocratie au péril des prétoires aux éditions Gallimard, en 2022.

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Face aux émeutes urbaines, quelles sont les urgences ? 

Pour les pouvoirs publics, l’urgence est de se montrer résolus dans la mise hors d’état de nuire des casseurs et des pilleurs. Pour cela, il faut donner comme consigne aux forces de l’ordre d’aller au contact des fauteurs de troubles et de les interpeller sur une plus grande échelle que ces jours derniers. Nos forces de l’ordre en ont assez de recevoir des injonctions contradictoires du type « occupez le terrain, mais évitez la confrontation ».

Eu égard au degré de gravité atteint par la situation - le terme de guérilla urbaine n’est pas exagéré - , le mot d’ordre « plutôt une vitre brisée qu’un corps meurtri » est dangereux. Par l’abstention, et donc l’impunité, qu’il implique, il peut conduire au contraire de ce qu’il veut éviter :  davantage de vitres cassées et des vies d’innocents brisées. Nous avons échappé de justesse à plusieurs drames ces nuits dernières. La famille du maire de L’Haÿ-les-Roses a pu échapper à une tentative d’assassinat, mais nous déplorons déjà, outre de considérables dégâts économiques et matériels, outre une grave détérioration de l’image internationale de la France, des centaines de policiers et de gendarmes blessés, ainsi que la mort d’un jeune sapeur-pompier. Aura-t-il droit, comme Nahel, à une minute de silence à l’Assemblée nationale ?

Une seconde condition sine qua non du retour à l’ordre est la réponse pénale, aujourd’hui insuffisante pour de nombreuses raisons : matérielles, juridiques et, il faut bien le dire, idéologiques. En dehors de la mise en détention provisoire du policier impliqué dans la mort de Nahel, combien d’incarcérations effectives ont-elles été décidées depuis le début des évènements ?

Pourquoi ne pas instaurer l’état d’urgence ?

L’état d’urgence n’est pas la panacée contre l’émeute. Sur le plan juridique, il ne donnerait pas aux pouvoirs publics une latitude d’action très supérieure à ce qu’elle est aujourd’hui. Pourquoi ? Parce que, si des limites doivent s’imposer à l’action des forces de l’ordre, même sous l’empire de l’état d’urgence, le cadre actuel (loi du 3 avril 1955 modifiée) est trop contraignant – en tout cas inadapté - pour faire face à des émeutes urbaines de la nature et de l’ampleur que nous connaissons.

La mise en œuvre de l’état d’urgence (toutes les conditions légales en sont réunies) n'en comporterait pas moins, outre la signification symbolique et la portée psychologique qu’elle revêtirait, des mesures utiles sur le plan opérationnel. Elle serait plus utile encore si on étoffait les dispositions actuelles de la loi de 1955 afin de mieux répondre aux caractéristiques des troubles que nous connaissons, qui sont d’une intensité et d’une envergure sans précédent.

Quels avantages présenterait l’état d’urgence ?

La disposition actuelle la plus utile serait l’interdiction préfectorale de circulation des personnes et des véhicules à certaines heures et dans certains lieux (article 5 de la loi de 1955 modifiée). Elle n'empêcherait pas la présence des fauteurs de troubles dans les rues, mais permettrait au moins d’avoir un fondement sûr pour condamner les personnes interpellées. Contrevenir à l’interdiction de circulation est en effet un délit puni de six mois de prison et de 7500 euros d’amende par l’article 13. C’est déjà ça. Mais ne nous faisons pas trop d’illusions sur le caractère dissuasif de telles sanctions : comme toutes les peines pénales, ce ne sont que des plafonds et le quantum effectivement prononcé est à la discrétion du juge. De plus, l’incarcération effective est exclue en-dessous d’un an d’emprisonnement… Il faudrait donc majorer la peine de prison prévue, sinon prévoir une peine minimale.

Les articles 6, sur l’assignation à résidence, et 11, sur les perquisitions administratives, pourraient être utilement actionnés à condition que les services de renseignements connaissent l’identité et le domicile des fauteurs de troubles.

L’article 8 (fermeture de salles et interdiction de cortèges) pourrait être également utile (il est pénalement sanctionné aussi à l’article 13), mais le dernier alinéa est très contraignant pour l’administration (qui doit justifier ne pas être en mesure d'assurer la sécurité de la manifestation compte tenu des moyens dont elle dispose). Il faudrait l'assouplir.

L’article 8-1 (contrôle administratif d’identité et fouilles de véhicules) serait très utile si le Conseil constitutionnel ne l’avait pas censuré en décembre 2017. Il l’a fait non sur le principe mais sur l’insuffisance d’encadrement : on pourrait le rétablir en resserrant un peu ses conditions d’emploi.

Comme dispositions entièrement nouvelles à introduire dans la loi de 1955, on pense à la diffusion de messages sur les réseaux sociaux et au régime des gardes à vue.

En tout état de cause, il conviendrait d’aggraver les peines prévues à l’article 13 en passant de six mois à un an, de manière à rendre possible l’incarcération effective.

Activer - et plus encore renforcer- la loi de 1955 (ce qu’il faudrait faire en urgence) ne serait évidemment pas de tout repos avec une Nupes d’autant plus incandescente qu’elle se sent aujourd’hui prise à partie par la Nation.

Doit-on agir contre les propos tenus par certains groupes politiques ou personnalités qui jettent de l’huile sur le feu ?

On pourrait songer à agir plus énergiquement contre les associations ou groupements politiques qui attisent les flammes. A cet égard, pourraient être renforcées, pendant l’état d’urgence, les dispositions de l’article L 212-1 du code de la sécurité intérieure relatives à la dissolution des associations qui « provoquent à des agissements violents à l'encontre des personnes ou des biens », ainsi que celles des articles 23 et 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse relatives à la provocation à commettre des crimes ou délits par tout moyen de communication au public.

Si irresponsables soient-ils sur le plan moral et politique, les propos d’élus d’extrême gauche refusant d’appeler au calme et de condamner les attaques de commissariats ou la destruction de biens privés et d’outils de travail tombent en effet aujourd’hui difficilement sous le coup de ces dispositions, car la provocation doit être explicite et directe. Ce n’est que si la France insoumise lançait à la « jeunesse » un appel à « la résistance » qu’un tel comportement pourrait être regardé comme une « provocation » au sens des dispositions en vigueur.

Ceci dit, la vraie réplique aux dérives séditieuses de la France insoumise et de ses alliés me semble se trouver dans le désaveu que lui infligerait l’électorat après une dissolution.

Que faire à plus long terme ?

A des fléaux permanents, comme la violence urbaine et le terrorisme, la société doit répondre par des outils pérennes et non par une succession d’états d’urgence. Ces réponses relèvent de plusieurs dimensions. Si les pouvoirs publics ne s’en saisissent pas avec détermination, la société française continuera à se désarticuler.

Il y a une dimension policière incontournable : les délinquants doivent retrouver la peur du gendarme, ce qui veut dire que les marges d'action des forces de l’ordre soient élargies (y compris en matière d'utilisation des armes) et que les agents soient soutenus au lieu d’être désavoués au premier incident ou désignés comme boucs émissaires en cas de drame.

Il y a bien sûr aussi une dimension éducative. Elle suppose la responsabilisation financière des parents, la restauration de l’autorité à l’école, le recentrage de l’éducation civique et morale sur les disciplines véritablement civiques et le développement des internats.

Il y a une dimension culturelle qui commande une application intransigeante du principe de laïcité.

Il y a une dimension pénale qui appelle l’exécution des courtes peines (et donc la construction de places de prison et de centres éducatifs fermés) et l’abaissement de la majorité pénale (aujourd’hui inadaptée au profil des jeunes délinquants).

Il faut évidemment repenser le projet de loi sur l’immigration pour (enfin) tirer les conséquences des processus qui ont conduit au sécessionnisme d’une partie de la population des quartiers. Comment ne pas voir que l’insurrection en cours exprime une bouffée de haine communautaire contre le pays d’accueil ?

Faut-il lancer un nouveau plan Marshall des banlieues ? Les efforts faits après 2005 ne semblent pas avoir été payés de retour. Mais il faut en tout cas ré-ouvrir le rapport Borloo.

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