Quand un économiste de Harvard conseille à l'Europe de racheter de la dette américaine pour sauver l'euro. Explications<!-- --> | Atlantico.fr
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Jeffrey Frankel suggère à l'Europe de sortir de la crise en rachetant de la dette américaine.
Jeffrey Frankel suggère à l'Europe de sortir de la crise en rachetant de la dette américaine.
©Reuters

Huggy les bons tuyaux

Jeffrey Frankel, professeur d'économie de l'université de Harvard, suggère à l'Europe de sortir de la crise en rachetant de la dette américaine. Loin d'être une provocation, l'analyse de cette proposition permet d'évacuer les discours les plus populistes.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Dans un article publié le 24 mars, Le très influent Jeffrey Frankel, professeur d’économie de l’Université de Harvard, propose une solution pour sortir la zone euro de la crise : la Banque centrale européenne doit acheter de la dette américaine. Alors que bon nombre de responsables politiques font leurs choux gras de la proposition de "monétiser" la dette européenne, dans l’objectif de sortir les états des griffes de la supposée toute puissance financière, cette proposition pourrait sembler provocatrice. En réalité, elle ne l’est pas. Elle permet simplement de mettre un peu plus en évidence le vide sur lequel repose la proposition de rachat de dette européenne, définie en tant qu’objectif.

Lorsqu’un responsable politique déroule ce type de discours, son intention est de persuader le public que le rachat de dettes en question va permettre d’effacer cette même dette, ou, du moins, d’effacer le paiement de ses intérêts. Ce type de proposition est régulièrement associé à l’argument récurrent "les américaines font la même chose". La différence est que ce qui n’est qu’une méthode pour les Etats-Unis est ici transformée en un objectif.

En effet, les "américains" ne monétisent pas leur dette pour tenter de la faire glisser sous le tapis ou pour échapper au paiement des intérêts, ils achètent de la dette car il s’agit du seul marché qui puisse supporter une intervention d’une telle ampleur. Parce que l’objectif réel de la Fed est d’accroître l’offre de monnaie disponible pour le marché. Pour cela, il va "créer de la monnaie", puis, afin de l’injecter dans l’économie, il va acheter de la dette d’état. La dette en question va se retrouver au bilan de la banque centrale et la monnaie toute fraîche va se retrouver entre les mains du vendeur, une banque en général. Mais pour l’état en question, cela ne change rien, il va falloir payer ses dettes, aussi bien les intérêts que le principal. A la fin de le journée, rien n’ a changé en dehors de la mise en circulation d’une quantité de monnaie supplémentaire.

Mais alors, pourquoi de la dette ? Parce qu’il s’agit du plus grand marché du monde et qu’il est le moins à même de subir une distorsion du fait des achats effectués. La Fed a en effet procédé à une injection proche de 1000 milliards de dollars au cours de l’année 2013, ce qui aurait perturbé n’importe quel marché. Mais pas le marché obligataire puisqu’un tel montant ne correspond en fait qu’à une journée d’échanges sur ce qui est de fait "le plus grand marché du monde", très loin devant le marché actions.

Fondamentalement, que la Fed achète des obligations d’état, des actions, des raviolis ou des cotons tiges, n’a pas d’importance. L’objectif n’est pas d’acheter de la dette, l’objectif est de permettre une augmentation de l’offre de monnaie. Reste que la distorsion du marché du ravioli paraît probable si 1000 milliards sont en jeu. Alors que pour la dette, ce n’est pas le cas. Il est à noter que la Banque du Japon procède de la même façon mais opère également sur d’autres marchés ; actions, immobilier etc…

De telles interventions ont d’ailleurs des effets totalement contrintuitifs. Il est généralement admis que le rachat de dette mis en place aux Etats-Unis aurait pour objectif de faire baisser les taux d’intérêts. Si cela était réellement le but, l’échec serait flagrant :

Evolution des taux d’intérêts US à 10 ans pendant les périodes d’assouplissement quantitatif

Source / David Beckworth. MacroMarketMusing

Les trois programmes de Quantitative Easing ont bien eu un effet sur les taux, mais contrairement à une idée reçue, ceux-ci ont progressé. Bien que la FED ait racheté 1000 milliards de dollars en titres en 2013, cela n’a pas suffi à contrer les anticipations du marché : celui-ci comprend que l’injection de monnaie a vocation à stimuler la demande intérieure, ce qui vient modifier les anticipations de croissance et d’inflation à la hausse. Le résultat est la hausse des taux d’intérêts. Il est à noter qu’à l’issue de chaque programme, les taux rechutent, signe que l’inquiétude du marché grandit dans l’expectative d’un arrêt du dit programme.

Mais cette réalité semble largement passer au-dessus de la tête des partisans de la "monétisation" en Europe. Encore une fois, la monétisation n’est qu’un moyen, elle n’est en rien l’objectif. Voilà pourquoi La proposition de Jeffrey Frankel est une solution intéressante, et n’est en rien une provocation. Elle permet à la BCE d’accroître l’offre d’"euros" en circulation, et ce, sans perturber le marché de la dette européenne qui reste fragmenté, au contraire des Etats-Unis. A une dette fédérale unique, les états européens répondent par 18 dettes nationales. Pour régler le problème de savoir quelle dette acheter, autant l’éviter et prendre celle des Etats-Unis.

Une telle solution viendrait également apaiser les fans de la "politique de change" car l’achat de dette américaine suppose d’acheter des dollars et de…vendre des euros. Ici encore, ce n’est pas cette action qui permettra la baisse effective de la monnaie européenne, mais les "politiquedechangistes" y croiront dur comme fer. Car c’est la création de monnaie qui donnera le signal au marché que l’euro n’est plus le refuge ultime anti-inflation qu’il est aujourd’hui, ce qui viendra peser sur la monnaie européenne à la baisse. Soutien à la demande intérieure européenne, baisse de l’euro, les objectifs sont remplis.

Pour lire le Hors-Série Atlantico, c'est ici : "France, encéphalogramme plat : Chronique d'une débâcle économique et politique"

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